Refonte du système de santé: le Maroc a besoin de plus de 32.000 médecins (Aït Taleb)

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Lundi 26 avril, le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, a dressé devant la Chambre des représentants le bilan stérile des réformes du système de santé élaborées jusqu’à présent, notamment le manque considérable de personnels de santé. 

La généralisation de la protection sociale dans le cadre de la refonte du système de santé actuel dévoile deux handicaps fondamentaux: le manque de professionnels de santé couplé à un besoin important en financement. Dans son intervention lundi devant la Chambre des représentants, le ministre de la Santé a énuméré une série de chiffres concernant le secteur, dévoilant un diagnostic peu glorieux.

Le royaume manque de 97.566 professionnels de santé, parmi lesquels 32.522 médecins et 65.044 infirmiers. Il est donc logique que le premier axe de la refonte attendue cité par le ministre soit celui de la valorisation des ressources humaines. Dans ce sens, une mise à niveau de la loi 131.13 concernant l’exercice de la profession permettra de recruter des médecins étrangers. Par ailleurs, on déplore le départ à l’étranger de quelque 600 à 800 médecins marocains chaque année.

À ce propos, Omar Hejira, parlementaire istiqlalien, a indiqué que ce phénomène a provoqué la fermeture de 170 centres de santé à travers le royaume, «des centres qui ont coûté des milliards de centimes d’investissements, mais qui se retrouvent aujourd’hui fermés à cause d’un manque en ressources humaines et en matériels», regrette-t-il.

Les professionnels s’accordent donc sur le fait qu’il faut rendre le secteur plus attractif pour retenir les médecins désireux de s’envoler vers d’autres cieux, et motiver les nouveaux diplômés. Pour ce faire, Khalid Aït Taleb a évoqué une réforme de la formation et la création d’un statut spécifique de la fonction publique de santé, distinct de celui de la fonction publique classique.

 

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« Quand on recrute un médecin après 9 ans d’étude, il gagne 8.400 DH seulement donc ces jeunes médecins préfèrent s’en aller à l’étranger. Il faut les retenir et réfléchir à comment faire revenir une partie de ceux qui sont déjà installés à l’étranger », commente Dr. Moulay Saïd Afif, pédiatre et président de la Société Marocaine des Sciences Médicales (SMSM).

Autre constat: plus de 50% des dépenses de santé pèsent sur les ménages marocains, lorsque les normes internationales préconisent ce taux à maximum 20-25%. Un taux considérable, qui n’étonne pas tant que ça quand on sait que le financement des assurances et mutuelles ne dépasse pas 25%, et que le budget alloué au secteur de la santé s’élève à 6% du budget total de l’État, soit la moitié de ce que recommande l’OMS.

« Pourquoi les ménages marocains supportent-ils plus de 50% de leurs dépenses sanitaires, soit un frein à l’accessibilité aux soins? Premièrement, c’est parce qu’il n’y a pas de couverture médicale chez toute la population; seulement 14 millions sont concernés actuellement par l’assurance maladie. Deuxièmement, cela est dû à un déficit de financement, le budget du ministère de la Santé étant insuffisant », explique Dr. Tayeb Hamdi, médecin généraliste et chercheur en systèmes de santé.

« L’assuré paye de sa poche entre 30 et 50% des frais médicaux »

« Même pour les 14 millions d’assurés, on a un problème qui s’appelle le reste à charge. Hormis la prise en charge de la mutuelle, l’assuré paye de sa poche entre 30 et 50% des frais médicaux. Cela représente donc aussi un handicap pour l’accès aux soins. Les fonctionnaires ou salariés à faible revenu renoncent aux soins à cause de ce reste à charge beaucoup trop élevés et qui plus est, augmente au fur et à mesure des années », renchérit l’expert.

Par rapport au financement des ménages, Dr. Afif souligne un autre problème: la grille tarifaire des prestations médicales qui date de 2006. « Normalement, il y aurait dû avoir une révision des tarifs tous les trois ans. Depuis 2009, on n’en est même pas à la première », s’insurge-t-il, invitant l’Agence Nationale de l’Assurance Maladie (ANAM) en collaboration avec le ministère de la Santé et les caisses à initier une étude réelle à ce sujet.

« On ne peut pas continuer à travailler avec des tarifs qui datent de 2006. Il faut réviser la nomenclature tarifaire sur la base du coût réel de chaque prestation, car il est illogique de continuer à rembourser une consultation de médecin généraliste à 80 DH et une consultation de spécialiste à 150 DH, ou plus grave encore, une journée de réanimation à 1.500 DH TTC. Cela n’existe nulle part. Il faut aussi augmenter les médicaments remboursables », abonde-t-il.

 

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Le deuxième axe fondamental de cette réforme qualifiée de « révolutionnaire » par les spécialistes tourne autour de la régionalisation des services de santé. Outre la réhabilitation d’un programme de santé régional, le ministre a mentionné l’élaboration d’une carte sanitaire régionale afin d’assurer l’équité dans la dispensation des soins. « La loi consacre la régionalisation avancée, il faut que ce soit effectif sur le terrain. La région, la mairie, la Direction régionale de la Santé, l’Intérieur… tous ces acteurs doivent s’unir et réfléchir à des mesures, par exemple comme en France où dans les régions éloignées, on fournit le logement, on accorde des incitations fiscales…, c’est important pour maintenir ces personnes », étaye Dr. Afif qui note également l’importance d’un partenariat public-privé effectif sur le terrain, et de la mutualisation des ressources dans une région.

Les troisième et quatrième axes de la réforme mentionnés par Aït Taleb lors de son élocution sont le renforcement de la gouvernance hospitalière et la planification territoriale, ainsi que la création d’un système d’information intégré. Dr. Afif relève l’importance de cette notion de « bonne gouvernance ». « On en a besoin, c’est ce qu’il manque », estime-t-il, se disant « confiant » quant aux mesures à venir. « C’est plus qu’une réforme, c’est une refonte du système de santé. C’est pour cela qu’on parle de révolution sur le plan social, car du jour au lendemain on va accueillir 22 millions de bénéficiaires », s’exclame le professionnel.

De son côté, Dr. Hamdi rappelle que le premier handicap du système de soins marocain réside dans le fait qu’il « n’est pas basé sur les soins primaires, sur la place de la médecine générale, de famille, de proximité, de première ligne, qui doit être prépondérante et au cœur du système de santé, sinon on perd de l’argent et des moyens ». Il soulève également « le manque de vision stratégique pour la santé au Maroc ».

En ce sens, le spécialiste appelle en priorité à fonder un Conseil supérieur de la Santé qui se chargerait d’élaborer cette vision sur le long terme, car « la santé est une affaire transgénérationnelle à planifier sur 20-25 ans ». « Il faut qu’il y ait des consultations de tous les acteurs, en premier lieu les professionnels de santé des secteurs privé et public, mais aussi les assurances maladies, les associations, la société civile, le législateur. C’est un débat sociétal très profond et il faut réfléchir ensemble pour accoucher cette réforme », conclut-il.

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