Portrait. Tamy Tazi, l’amie d’Yves Saint Laurent qui a modernisé le caftan marocain

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Rien ne prédestinait au départ Tamy Tazi à devenir pionnière dans la création de mode. Crédits photo : Dounia Productions

Créatrice marocaine pionnière de la mode contemporaine, Tamy Tazi a marqué l’histoire du caftan. C’est grâce à ses passions du dessin et de la broderie que son talent sera révélé au grand jour dans les années 1960. Elle est également l’une des premières amitiés de Yves Saint Laurent à Marrakech. Portrait d’une femme qui a révolutionné le vêtement féminin marocain.

Elle a donné une nouvelle allure au caftan marocain, fait la Une de Vogue (en 1965), côtoyé les salons de Chanel, Givenchy Dior, entretenu une amitié avec Yves Saint Laurent… Tamy Tazi fait partie de la première génération de créateurs marocains dans les années 1960 qui ont révolutionné la mode marocaine contemporaine comme Zina Guessous (1925-1998), Naima Bennis (1940-2008) ou encore Zhor Sebti (née en 1928).

Aujourd’hui âgée d’environ 90 ans, la créatrice laisse derrière elle une collection importante de caftans, djellabas, burnous, capes, takchitas, sarouel, robes… dont la particularité se situe entre respect de l’artisanat marocain et inspiration de la mode moderne.

Tamy Tazi – Tunique et pantalon en mousselines de soie bleu Majorelle et de soie mauve, brodées de fleurs multicolores. (Collection Tamy Tazi Mezian, Casablanca)

Rien ne prédestinait au départ Tamy Tazi à devenir pionnière dans la création de mode. Née en 1930, à Melilla, dans une famille de cinq sœurs, Tamy Tazi est la fille de l’ancien ministre de la Défense marocain Mohammed Mizzian. Elle a grandi dans une atmosphère espagnole, effectuant sa scolarité à l’école espagnole, poursuivant ses études supérieures à Grenade, une ville que la créatrice « adore pour tous les vestiges laissés par les Nasrides ». Très « intéressée et émue » par l’Andalousie, cet aspect se retrouvera dans ses créations.

Après ses études, Tamy Tazi s’est mariée et eu des enfants. Elle vit à Casablanca. A cette époque, la jeune femme « se dit qu’il faut quand même trouver une activité ». Elle tente ainsi plusieurs voies avant de devenir créatrice, notamment le bénévolat. Grande sportive, pratiquant régulièrement l’équitation, elle est présidente du club équestre de l’étrier de Casablanca pendant 15 ans. Mais Tamy Tazi n’était pas satisfaite par cette activité qu’elle considérait comme « un hobby mais pas un travail ».

C’est à travers son talent de dessinatrice que Tamy Tazi rencontre finalement la création. « Je n’étais pas couturière mais dans ma famille, nous faisions du dessin tous les jours avec un professeur », raconte-t-elle. Une fois, une amie lui commande des tenues pour un reportage à Marbella. Subjuguée par la beauté des vêtements, cette dernière l’encourage à se lancer dans ce domaine et grâce à ses contacts, Tamy Tazi obtient ses premières commandes. C’est un grand succès.

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Elle ouvre un atelier à Casablanca avec une couturière espagnole, Lolita. Si sa mère exprime au début sa réticence, son père l’encourage et salue son goût. « Je me suis rendue compte qu’il y avait un créneau intéressant: le vêtement traditionnel que j’ai toujours beaucoup admiré. J’ai voulu l’alléger et le rendre plus facile à porter », explique la créatrice. « Au début les femmes n’ont pas compris puis elles ont aimé ».

Création de Tamy Tazi présentée à Marbella en 1978 et publiée dans le magazine espagnol Gran Mundo. Photographie prise par Angela Jansen, 2014.

Mais le grand succès de Tamy Tazi réside aussi dans une autre de ses passions: la broderie. Depuis petite, la styliste aime flâner dans les bazars et chez les antiquaires à la recherche de tissus précieux aux motifs ancestraux. Elle s’attèle à les collectionner et développe une connaissance pointue des broderies en fonction des villes et des régions.

A gauche, panneau de broderie de Chaouen (détail), début XXe siècle, coton brodé de soie naturelle avec, au centre un décor en forme d’étoile stylisée et, aux deux extrémités, un décor formant des mosaïques polychromes.
A droite, panneau de broderie de Meknès (détail), début XXe siècle, coton brodé de soie naturelle, polychrome formant un décor géométrique stylisé dense aux extrémités et en pointillés au centre (Collection Tamy Tazi Mezian, Casablanca).

Les plus belles selon elle? Celles de Tétouan, la seule ville au Maroc qui brode avec un support de soie, et non de coton, comme dans la plupart des autres villes marocaines. Les broderies de Chaouen sont aussi connues comme étant les plus élaborées du Maroc.

A l’origine utilisée pour les rideaux, les coussins, les nappes, les draps, les bords de divan… Tamy Tazi détourne la broderie au service du caftan et l’adapte aux vêtements. Son objectif: préserver le patrimoine de la broderie marocaine au travers de la mode. On a souvent d’ailleurs dit que grâce à son travail, les broderies resteraient vivantes, une « reconnaissance », confie-t-elle. Un patrimoine essentiellement féminin, concède la créatrice qui à travers son œuvre lutte également pour l’indépendance des femmes par le travail.

A gauche: Tamy Tazi – Caftan, bourrette de soie ornée d’une broderie inspirée de Chaouen. A droite: Tamy Tazi – Tunique courte, soie blanche enrichie de broderies inspirées de Meknès (Collection Tamy Tazi Mezian, Casablanca).

Tamy Tazi a ainsi modernisé le caftan, l’a rendu plus facile à porter en rompant avec une certaine lourdeur protocolaire. Des tissus légers, des coupes plus fluides, des silhouettes plus affinées, et voilà qu’un véritable mouvement a vu le jour, proposant à la femme marocaine active et urbaine un vêtement alliant le sublime des motifs traditionnels au confort des coupes plus actuelles.

La force de Tamy Tazi consiste également à adapter des vêtements masculins au féminin, point commun avec le célèbre créateur français Yves Saint Laurent avec qui elle nouera une grande amitié longue de 40 ans.

L’amitié avec YSL

Initiée dans les années 1960, cette « amitié marocaine » fait l’objet actuellement d’une exposition inédite au Musée Yves Saint Laurent de Marrakech depuis octobre dernier. Elle inclut également le créateur belge Fernando Sanchez (1935-2006), connu quant à lui pour ses lignes de sous-vêtements audacieux. Ces trois couturiers vouent une passion commune pour le Maroc, « ses couleurs, son exubérance, le foisonnement de ses richesses ». Leurs œuvres entrent souvent en résonance les unes avec les autres.

Capes ou burnous créés respectivement de gauche à droite par Tamy Tazi (pour femme), Fernando Sanchez et YSL (pour femme).

Yves Saint Laurent découvre Marrakech pour la première fois en 1966. Dès lors, son travail s’imprègne d’une nouvelle identité. Lui qui favorisait la couleur noire dans ses créations s’intéresse soudainement à la couleur. « J’ai découvert Marrakech très tard et ça a été un choc extraordinaire. Surtout pour la couleur. Cette ville m’a amené la couleur… », confie le styliste iconique.

Ce dernier a toujours reconnu l’influence du Maroc dans sa création. Il a su s’approprier et réinventer le burnous, le saroual, et d’autres vêtements traditionnellement masculins, dans le but de dessiner de nouvelles silhouettes féminines. «Les audaces qui sont les miennes, je les dois à ce pays, à la violence des accords, à l’insolence des mélanges, à l’ardeur des inventions » affirme encore le couturier.

Tamy Tazi et Yves Saint Laurent lors d’un déjeuner en plein air organisé par Tamy Tazi, Marrakech,
début des années 1970. (Fondation Jardin Majorelle, Marrakech)

Ainsi, Tamy Tazi est l’une des premières amitiés d’YSL à Marrakech. Une influence mutuelle germe entre les deux créateurs qui se soutiennent et s’encouragent tout le long de leurs carrières. C’est elle qui va l’initier à la broderie marocaine tandis qu’il lui confie la représentation de sa maison de couture au Maroc, lui donnant accès aux tissus exclusivement dessinés par les grands fabricants de textile pour le couturier français (jerseys de laine, mousselines de soie, imprimés). Yves Saint Laurent permet ainsi à Tamy Tazi de mettre un pied dans le monde de la haute couture, et de hisser par la même occasion le caftan qu’elle réinvente, et le style marocain, à ce rang prestigieux.

Tamy Tazi – Caftan traditionnel composé de deux pièces (kamis et dfina), lamé de soie orné d’une triple dfira et de grandes volutes brodées au fil d’or, elles-mêmes soulignées de picots en soie turquoise et corail (Collection Tamy Tazi Mezian, Casablanca)

De son coté, Yves Saint Laurent transpose avec sobriété l’art de la broderie et de la passementerie dans des vêtements confortables, pensés pour habiller la citadine dans son quotidien. Il puise également dans le répertoire des zelliges, des décors de stucs, des boiseries sculptées pour créer des imprimés inédits.

« Yves Saint Laurent avait beaucoup d’admiration pour ce que faisait Tamy Tazi. Je pense même qu’il lui a parfois envié certaines créations marocaines que d’ailleurs Saint Laurent a beaucoup reprises dans son œuvre. Tamy Tazi est une couturière qui a su avec un grand talent s’inspirer du travail de l’artisanat, des passementeries et broderies marocaines qui sont si importantes, sans pour autant tourner le dos au présent. Et la plus grande qualité de Tamy Tazi est d’avoir su mêler la tradition et le futur. C’est en cela quelle est une réelle créatrice », témoigne Pierre Bergé, compagnon de YSL, en hommage à son amie, lors du défilé de la Rétrospectives caftan 1973-2013 de Tamy Tazi aux Habous, à Casablanca, le 19 janvier 2013.

De cette amitié portée par l’amour de la beauté, nous retenons un dialogue artistique au confluent de l’Orient et de l’Occident, de la tradition et de la modernité, du passé et du présent, incarné dans le vêtement.

 

Principales sources utilisées:
– Dossier de presse « Une amitié marocaine », Musée Yves Saint Laurent de Marrakech;
– Documentaire « Tamy Tazi: créations au fil du temps », réalisé par Farida Benlyazid, Dounia Productions;
– Blog de Victoria & Albert Museum, Londres, Angleterre.

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