Les Obama célébrés par deux grands portraitistes noirs

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C. AFP / SAUL LOEB

Washington a découvert lundi les portraits de l’ancien couple présidentiel réalisés par Kehinde Wiley et Amy Sherald. Décontenancée, la presse anglo-saxonne a souvent été sévère. Explications.

Évidemment, dans la longue succession des portraits officiels des présidents américains, tous de gris sévères et de grandes pompes bannissant la moindre fantaisie, le portrait du 44e président, Barack Obama, 56 ans, peint sur fond de mille-fleurs par son jeune compatriote Kehinde Wiley, 40 ans, fait tache. C’est un peu comme si Niki de Saint Phalle avait fait le portrait d’Emmanuel Macron entouré de ses Nanas multicolores et guerrières.
L’histoire américaine a changé profondément avec l’accession au pouvoir suprême du premier président noir, formellement élu par les grands électeurs le 15 décembre 2008. Noir est d’ailleurs désormais un terme impropre, jusque dans les cartels des musées américains et dans les titres de leurs expositions. Afro-Américain, dit-on au pays qui inventa le politiquement correct. L’histoire de ses portraits officiels change donc aussi, qui rompt cette fois clairement avec les us et coutumes feutrés en matière de représentation, avec les codes les plus WASP (White Anglo Saxon Protestant) en matière de symboles. On est loin du «Park Avenue Taste», de son goût académique pour les dorures du Vieux Monde et les attitudes de pasteur ascétique. On entre dans un temps plus contemporain où l’art doit parler comme son époque, comme sa jeunesse, où il doit représenter tous ses concitoyens. La prise de conscience #BlackLivesMatter est aujourd’hui beaucoup plus vive.

À gauche l’artiste Kehinde Wiley, et à droite l’artiste Amy Sherald
C. Mark Wilson/AFP

Dévoilé lundi au National Portrait Gallery, cette commande du Smithsonian a suscité une immense attention – et aussitôt de vigoureuses critiques- de la presse anglo-saxonne en général et américaine en particulier pour plusieurs raisons. Obama n’est pas assis à son bureau, strictement habillé de noir, les joues bien roses et coiffé d’une perruque blanche comme dans le portrait of Thomas Jefferson seated at his desk par Gilbert Stuart (1805), souligne avec son humour britannique Ben Davis, le critique joyeusement acide entre arts et politique qui analyse le fait d’armes pour Artnet. Le caractère flottant du président américain dans cette grande huile sur toile si peu académique est, dit-il, un facteur déstabilisant et intéressant.
Ce très grand format montre un Barack Obama, assis, pensif, pour ne pas dire songeur après l’exercice laminant du pouvoir, du 20 janvier 2009 au 20 janvier 2017. Plus jeune, plus résolu, Obama se tenait debout en athlète et affichait un grand sourire de conquérant devant l’objectif de Pete Souza sur le portrait officiel qui devait marquer son second mandat, après le serment prêté le dimanche 20 janvier 2013 dans la Blue Room de la Maison-Blanche. Bien dans la veine suave de Kehinde Wiley, ce portrait géant bien contemporain est pimpant de couleurs, mais un peu las et plus sceptique de message. Il est loin de l’énergie ascendante dégagée par Hope, le poster rouge, beige et bleu pâle dessiné en un jour par l’artiste Shepard Fairey et devenu l’image iconique de son triomphe électoral après la campagne de 2008.

C. Mark Wilson/AFP

Lundi à Washington, son modèle, Barack Obama, était là en personne. Les cheveux très courts et désormais franchement gris, il a posé, presque enjoué, à côté du tableau qui est plus grand que nature. Comme si la charge l’avait transformé en statue de pierre à la froideur inattendue pour les siècles des siècles. La franche liberté de Kehinde Wiley n’est pas une surprise pour le monde de l’art qui connaît bien le talent insolent de ce peintre californien. Les Parisiens l’ont souvent vu, aimé, voire collectionné grâce au galeriste Daniel Templon.
Né en 1977 à Los Angeles d’un père Yoruba (Nigeria), Kehinde Wiley est aujourd’hui une star de la scène contemporaine qui a déjà eu les honneurs de nombre de musées, du Brooklyn Museum au Petit Palais. Il est fasciné par l’histoire de la peinture, par le jeu des portraits qui anoblissent leurs sujets, par la peinture d’histoire et ses codes. En virtuose, il a traduit son regard sur la société américaine en mettant en scène de jeunes Afro-Américains dans un jeu de rôles picturaux qui les transforment en rois, en généraux, en vainqueurs, en modèles de la nation. Souvent le fruit d’un casting opéré directement dans la rue d’Harlem ou de L. A., ils reprennent la posture des plus nobles ancêtres et des héros magnifiés par l’art. De la même manière, Kehinde Wiley a repéré dans les rues de Paris de jeunes Français d’origine africaine, comme il l’a fait avec de jeunes Africains dans leurs pays respectifs, leur conférant l’aura de nos grands peintres et la valeur intrinsèque portée par leurs morceaux de bravoure.
Comme toujours dans ses portraits, Kehinde Wiley pose ses modèles sur un large fond fleuri, presque un papier peint sur lequel les personnages semblent traverser le temps et incarner toutes les époques à la fois pour un avenir radieux. C’est l’élément pop et une forme de signature d’artiste. Il est le premier artiste noir à signer le portrait officiel d’un président américain. D’aucuns soulignent que Barack Obama s’est gardé de trop s’impliquer ouvertement dans la cause de l’identité noire lorsqu’il était au pouvoir. Et que ce doublé d’artistes qui signifie aussi #BlackLivesMatter vient un peu tard.
Le symbolisme des fleurs du portrait de POTUS (President of the United States of America) a été décortiqué: des chrysanthèmes, la fleur officielle de Chicago, ville de ses débuts politiques et de son épouse née Michelle Robinson, des jasmins pour évoquer son enfance à Honolulu (Hawaï) où il est né le 4 août 1961, des agapanthes bleues pour rappeler son ascendance paternelle africaine puisqu’il est le fils d’un Kényan noir et d’une Américaine blanche du Kansas de souche irlandaise. Ce langage des fleurs n’a pas plu à Jonathan Jones, l’un des critiques du quotidien britannique The Guardian qui a trouvé cette résurgence très XIXe mal venue et le tableau «terne, prenant la connaissance de soi pour de la profondeur», bref «un tableau trop rationnel, comme une froide statue de marbre dans un mausolée».
Les commentaires sont moins sévères pour le portrait de Michelle Obama par sa compatriote Amy Sherald, 44 ans, peintre noire née à Columbus (Géorgie) qui vit et travaille à Baltimore. Les tons pastel de ce format héroïque, le volume de sa robe de princesse , les motifs géométriques du tissu que d’aucuns n’hésitent pas à rapprocher du Portrait of Adele Bloch Bauer, l’icône de Gustav Klimt, donnent à FLOTUS (First Lady of the United States of America) un état de grâce, une réserve impériale et un certain air de défi mystérieux. Pourtant, si Kehinde Wiley a bien su attraper la ressemblance de Barack Obama dans ce visage si sérieux, presque glaçant de lucidité, Amy Sherald a quelque peu neutralisé le regard combatif et les traits puissants de Michelle Obama dont le sourire est irrésistible. C’est beaucoup plus doux, mais sans doute moins stratégique qu’un portrait du président.

C. Mark Wilson/AFP

Le tout fait déjà couler beaucoup d’encre. À ceux qui seraient tentés d’être trop durs dans la critique de ce double portrait au sommet, nous suggérons une visite à la National Portrait Gallery de Londres. Y est accroché l’horrible Portrait of Catherine, Duchess of Cambridge par Paul Emsley, vision fantomatique qui surgit d’un vert sapin et qui fut dévoilée au public en 2013. Elle y ressemble à une lointaine ancêtre de sa ravissante personne. Les plus respectueux sentiments ne font pas les meilleurs hommages.

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