Référendum: les autorités catalanes revendiquent 90% de «oui»

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Le référendum d’indépendance a bel et bien eu lieu, mais de nombreuses entorses aux règles électorales font douter de sa crédibilité.

La journée électorale de ce référendum d’indépendance interdit promettait d’être atypique. Le scrutin, suspendu par la Cour constitutionnelle et dont le gouvernement espagnol promettait qu’il n’aurait pas lieu, alors que l’exécutif catalan assurait qu’il se tiendrait, ne pouvait pas être normal. Dès le dimanche matin, le gouvernement indépendantiste confirmait l’étrange nature de ce vote, en autorisant les électeurs à placer des bulletins sans enveloppe dans des urnes opaques achetées sur Alibaba ; il permettait également de voter dans n’importe quel bureau, en vertu de listes électorales soudainement déclarées «universelles». Et au même moment ou presque, les charges policières ont transformé l’étrange journée électorale en un psychodrame national. Dimanche, l’interminable débat sur la possibilité ou non pour les indépendantistes catalans d’avancer vers leur horizon souverainiste a changé de nature. Les 844 blessés, selon le bilan du gouvernement catalan, et les images de citoyens de tous âges frappés par les forces de l’ordre espagnoles sont désormais au centre du débat.

Dès le départ, rien n’a fonctionné comme prévu. Les Mossos d’Esquadra, 17.000 hommes payés par l’administration régionale pour faire respecter la loi nationale, n’ont jamais semblé prendre au sérieux l’ordre de la justice d’empêcher le scrutin. La direction de la police catalane a envoyé deux ou quatre agents dans des lieux de vote qu’elle savait occupés par des centaines d’électeurs. Ses hommes les avaient visités à plusieurs reprises la veille et l’avant-veille. Ils avaient constaté par eux-mêmes que des parents d’élèves feignaient d’y organiser des kermesses et autres fêtes de rentrée pour mieux enfreindre l’interdiction des tribunaux. À Lérida, capitale de l’une des quatre provinces catalanes, un juge a ouvert une enquête contre les Mossos pour désobéissance.

Des cibles choisies par la police

La police nationale et la garde civile ont semblé pour leur part choisir leurs cibles en fonction de leur valeur symbolique. Les premières images de la garde civile chargeant contre des citoyens en très grande majorité pacifiques proviennent de Sant Julià de Ramis. C’est là que le président régional, l’indépendantiste Carles Puigdemont, devait se rendre, avant que ses services ne décrètent la possibilité de voter n’importe où. Le bureau de vote prévu pour Carme Forcadell, la présidente du Parlement régional et figure historique de l’indépendantisme, ainsi que celui de l’ex-président catalan Artur Mas ont également été démantelés. Pour le reste, selon les informations du gouvernement régional, 319 lieux de vote ont été fermés sur un total de 2315. Devant certains centres de vote, des militants indépendantistes ont élevé des barricades pour les protéger de l’intervention de la police.

«Il n’y pas eu de référendum aujourd’hui en Catalogne.» Mariano Rajoy, le président du gouvernement espagnol

Les accusations croisées, habituelles depuis la conversion des institutions catalanes à l’indépendantisme il y a cinq ans, ont franchi une nouvelle frontière ce dimanche. À la mi journée, Carles Puigdemont enregistrait une allocution pour dénoncer «l’usage injustifié, irrationnel et irresponsable de la violence par l’État espagnol», qui, disait-il, «lui fera honte éternellement». Dans la soirée, le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, répliquait: «Les seuls responsables sont ceux qui ont brisé le vivre ensemble». Il affirmait également «Il n’y pas eu de référendum aujourd’hui en Catalogne.»

Le gouvernement séparatiste a affirmé dans la nuit de dimanche à lundi que le «oui» l’avait emporté, avec 90% des voix: 2,26 millions de personnes auraient ainsi participé au scrutin, 2,02 millions votant «oui». Le taux de participation atteindrait, selon les comptes de l’exécutif catalan, 42,3%. Malgré ces chiffres, il semble difficile de parler de référendum. La Commission électorale, dissoute pour cause d’amendes contre ses membres, a été remplacée au pied levé par des observateurs internationaux issus de Parlements européens. Les règles du jeu ont été modifiées le matin même. De nombreux présidents et assesseurs introuvables ont été remplacés par des volontaires. Les listes électorales ont été substituées par une application mobile à la connexion aléatoire. Certains journalistes et l’association anti-indépendantiste Societat Civil Catalana, affirment, photos à l’appui, avoir voté plusieurs fois dans des bureaux différents. Selon le décompte du journal en ligne El Confidencial, le supposé scrutin enfreint 20 des 34 articles de la loi sur le référendum censé l’encadrer.

Au terme de la journée, il semble que le match que chacun des deux camps s’obstinait à gagner se solde par l’échec de tous.

Un échec pour tous

Le gouvernement espagnol se disait disposé à assumer l’image des forces de l’ordre saisissant des urnes. Mais les photos et vidéos des charges violentes ont choqué l’opinion au delà de la Catalogne et de l’Espagne. Rajoy a entrouvert une porte à un dialogue qui semble aujourd’hui plus impossible que jamais, en annonçant son intention de réunir l’ensemble des formations parlementaires, ce qui inclue deux partis indépendantistes catalans, pour «réfléchir sur l’avenir que nous devons affronter ensemble». Puigdemont, lui, s’est rapproché d’une déclaration unilatérale d’indépendance, en annonçant qu’il transmettrait au Parlement catalan les résultats du scrutin. Or, une loi votée par la majorité indépendantiste prévoit, en cas de victoire du «oui», que le Parlement proclamera l’indépendance 48 heures après l’annonce des résultats. Une quarantaine d’organisations syndicales, politiques et sociales de Catalogne ont lancé dimanche soir un appel à la grève générale dans la région pour mardi, en réaction à l’intervention de l’Etat espagnol.

Les dirigeants indépendantistes, imaginant volontiers leur défi à l’État comme une partie d’échecs, n’ont jamais fait mystère de leur double plan: s’ils étaient incapables de vaincre le gouvernement espagnol, au moins pourraient-ils le pousser à la faute. Depuis plusieurs mois, l’attitude de chaque partie rappelle davantage les courses de «chicken run», où chaque pilote se précipitant vers l’autre est convaincu que l’adversaire abandonnera avant lui. Ce dimanche, aucun conducteur n’a effleuré la pédale de frein..

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