Vidéo. L'errance des femmes irakiennes qui ont vécu sous l'État islamique

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Les femmes qui ont vécu dans des territoires de l’Irak occupés par l’État islamique avant 2017 sont aujourd’hui rejetées par la société irakienne. Dans un rapport intitulé «Les condamnées», Amnesty International fait état de l’exclusion et des abus dont elles sont victimes.

D’après un rapport d’Amnesty International, les femmes irakiennes soupçonnées d’avoir entretenu des liens avec l’État islamique lorsque celui-ci contrôlait un tiers du pays sont victimes de violations des droits de l’homme. Elles vivent exclues de la société irakienne dans des camps de populations déplacées, où elles sont la cible de chantages et d’abus.
En janvier 2018, soit plus d’un an après la fin du conflit pour reprendre les territoires occupés par l’État islamique, 2,6 millions de personnes vivaient encore dans des camps de personnes déplacées d’après le rapport. Il s’agit en grande majorité de femmes et d’enfants. En effet, les hommes sont nombreux à être décédés pendant le conflit. Beaucoup d’entre eux ont également été victimes d’arrestations arbitraires par l’État irakien et sont aujourd’hui détenus ou victimes de disparitions forcées, estime Amnesty international. «À l’origine, nos chercheurs voulaient faire un rapport sur les familles irakiennes déplacées à cause des opérations militaires contre Daech. Sur place, ils se sont rendu compte que les familles soupçonnées d’avoir entretenu des liens avec Daech sont plus susceptibles que les autres d’êtres victimes de graves abus» raconte Nina Walch, chargée de campagne conflits armés chez Amnesty International France.

Chassées par les autorités locales

Les enquêteurs ont rencontré 92 femmes dans huit camps. Les raisons qui les amènent à être suspectées de liens avec l’État islamique sont diverses et parfois floues. Elles peuvent être liées au rôle joué par un homme de leur famille, proche ou lointaine, qui aurait servi l’État islamique. Néanmoins, cette définition est plus subtile, fait remarquer Nina Walch, qui souligne qu’aucune des 92 femmes interrogées par Amnesty International n’a été inculpée d’actes criminels. D’une part, il était difficile pour les hommes vivant dans des territoires occupés de ne pas avoir du tout affaire à l’État islamique. D’autre part, les femmes avaient rarement leur mot à dire dans les décisions de leur mari. «Si votre mari était avec l’État islamique, il vous forçait à l’accompagner. Quand il meurt, vous êtes punie pour lui» témoigne Farah, 18 ans, dans le camp Jedaa 6.
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À l’issue du conflit, ces femmes et leurs enfants ont du mal à quitter les camps de personnes déplacées dans lesquels elles ont trouvé un refuge tout relatif. En effet, il leur est particulièrement difficile, voire refusé, d’acquérir les papiers d’identité requis. «Je n’ai pas de carte d’identité. Personne ne nous autorise à en avoir une. Ils disent que les familles de l’État islamique n’ont pas de droits» relate Maha, qui vit dans le camp d’Hama al-Ali. Certains camps, comme celui dAl-Shahama oùvivent 180 familles, s’apparentent à des centres de détention. Il est impossible de le quitter sauf dans le cadre d’un rendez-vous médical, escorté par un officier de police. D’après les travailleurs sociaux et humanitaires d’Al-Shahama, il est possible d’être libéré à condition de passer une série de tests et de vérifications menés par les forces de sécurité irakiennes, les autorités locales et tribales des lieux de naissance des femmes, et par le commandant des opérations de Salah al-Din. Au total, réunir toutes ces approbations peut prendre plus de 18 mois.
Celles qui parviennent à quitter les camps ont également du mal à retourner dans leur village ou région d’origine, car elles en sont chassées par les autorités locales ou la communauté. Le rapport évoque par exemple des inscriptions «Daeshi» sur leurs maisons. «Certains villages autorisent les femmes à revenir mais refusent leurs enfants, notamment les garçons, par peur qu’ils deviennent des combattants de l’État islamique» ajoute Nina Walch.

Le terreau de tensions futures

À l’intérieur des camps de personnes déplacées, les femmes accusées d’être des «daeshi» et leurs enfants n’ont pas le même accès à l’aide humanitaire, à l’eau et à la nourriture que les autres. «Il y a des discriminations systématiques. Les secteurs dédiés aux familles «liées à l’État islamique» sont considérés comme non prioritaires lorsqu’on distribue de la nourriture» témoigne un membre d’une organisation humanitaire internationale. Certaines femmes disent aussi être empêchées d’avoir accès aux soins médicaux. «À la clinique, les infirmières se sont passé le mot: «elle vient d’une famille de l’État islamique, ne lui donnez rien». Mon fils est diabétique et une seringue coûte 100.000 dinars irakiens. Où est ce que je les trouve?» déplore Nour, âgée de 26 ans.
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À travers le chantage des forces de sécurité ou des gardiens, elles sont également victimes de harcèlement et d’exploitation sexuelle pour obtenir de la nourriture, des papiers, ou une compensation monétaire. Cette pratique a été confirmée et décrite à Amnesty International par 26 travailleurs humanitaires et par 19 femmes présentes dans les camps. Neuf d’entre elles au moins affirment avoir personnellement subi des pressions ou des moyens de coercition pour avoir des relations sexuelles avec des hommes. Tala, 28 ans, raconte avoir fini par accepter d’avoir des rapports sexuels avec une quinzaine d’hommes afin d’être autorisée à quitter le camp et de recevoir de l’argent. «J’étais forcée de coucher avec des membres de la coalition car j’avais besoin de tous les dinars que je pouvais avoir», raconte-t-elle. Lorsqu’on lui demande si elle se sent en sécurité dans le camp, Dana répond «je suis comme un cerf en pleine jungle, avec tous ces tigres et ces lions autour de moi».
Pour Nina Walch, il s’agit d’une «punition collective extrêmement humiliante, qui empêche la réconciliation nationale et risque d’être le terreau d’un futur conflit». En effet, les enfants victimes de ces discriminations risquent de développer un ressentiment certain à l’égard des autorités irakiennes. «Les enfants n’oublieront jamais avoir vu leurs familles humiliées» fait remarquer Maha«Les élections législatives de mai, dans la perspective desquelles les camps de personnes déplacées seront fermés, sont l’occasion pour le gouvernement de mettre fin à ce cycle de conflits, en cessant de stigmatiser une partie de la population pour éviter d’encourager des tensions futures», conclut Nina Walch.

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