Tunisie: la campagne fantôme du candidat Karoui, derrière les barreaux

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En prison depuis deux semaines, l’un des principaux candidats de la présidentielle du 15 septembre fait campagne par procuration en Tunisie: son épouse, et des militants du parti assurent les meetings et conférences de presse qu’il ne peut honorer.

« Il n’est pas avec nous aujourd’hui mais il est présent dans tous les coeurs », a plaidé lundi soir avec émotion son épouse, Salwa Smaoui, lors du premier meeting de campagne du parti de Nabil Karoui, un publicitaire et homme des médias controversé, arrêté le 23 août pour blanchiment d’argent.

Discrète et sobre, cette quinquagénaire cadre de Microsoft n’est pas dans les instances du parti de son époux, Qalb Tounes (le coeur de la Tunisie), mais elle a été ovationnée dans une salle comble dans la ville minière de Gafsa, dont elle est originaire.

« Nous allons faire la fête, mais il y a un peu de tristesse — car je ne suis pas à ma place ici, c’est la place de Nabil! », a-t-elle lancée, entourée d’anciens piliers du parti présidentiel Nidaa Tounes.

La justice tunisienne a rejeté mardi en appel une demande de libération de M. Karoui, mais sa candidature à la présidentielle reste valide.

– « Révolution des urnes » –

Il est détenu à 20 km de Tunis, à la prison de la Mornaguia, ce qui n’empêche pas son équipe de campagne de continuer à sillonner le pays, et communiquer sur les réseaux sociaux.

Devant 2.000 personnes à Gafsa, une responsable du parti fondé par M. Karoui il y a quelques mois, a lu une lettre écrite depuis sa prison, où il appelle les Tunisiens à aller voter pour « faire la révolution des urnes » et « rendre la Tunisie au peuple ».

Lors d’une conférence de presse à Tunis, ce sont des dirigeants de Qalb Tounes qui ont présenté le programme du parti, qui place « la bataille contre la pauvreté et le chômage » au premier rang de ses priorités et évoque un « pacte social » au contenu flou.

Les avocats ont réclamé qu’il puisse faire campagne comme les autres, l’un d’eux qualifiant son client de « prisonnier politique ».

M. Karoui sera, sauf coup de théâtre, absent du débat télévisé organisé à partir de samedi et sur trois jours entre les 26 candidats.

M. Karoui n’est pas le seul candidat absent pour cause de démêlés avec la justice. Slim Riahi, politicien et homme d’affaires poursuivi pour blanchiment d’argent, est en exil depuis fin 2018.

Mais cela n’a pas empêché M. Riahi, ancien dirigeant d’un des principaux clubs de foot du pays, de faire campagne dans les médias tunisiens depuis une luxueuse demeure qui serait située à Saint Tropez, dans le sud de la France. Il est même apparu via un hologramme lors du congrès de lancement de son nouveau parti fin août.

M. Karoui et son frère Ghazi sont visés par une instruction judiciaire du pôle financier depuis 2017, après le dépôt par l’ONG anti-corruption I-Watch d’un dossier l’accusant de fraude fiscale.

Le candidat inculpé le 8 juillet a été arrêté de façon rocambolesque par des policiers en civil qui ont encerclé sa voiture alors qu’il rentrait d’une tournée pré-électorale, à quelques semaines du premier tour de la présidentielle.

– Justice instrumentalisée ? –

Ses partisans soulignent que cette arrestation est entachée d’irrégularités, accusant son rival, le chef du gouvernement Youssef Chahed, d’en être l’instigateur, ce que ce dernier a démenti.

Nombre d’observateurs estiment que la justice a été instrumentalisée dans cette affaire. Le gouvernement avait déjà présenté une loi écartant M. Karoui de la course, mais cet amendement, voté, n’a pas été promulgué.

L’instance chargée des élections a confirmé la candidature de M. Karoui, soulignant qu’il reste éligible, même écroué.

L’instance interdit la publication de sondages, mais selon des études qui circulent, il aurait gagné des points depuis son incarcération.

Reste à savoir si cet élan de sympathie va se traduire en voix à défaut de campagne classique, d’autant qu’il n’y a quasiment pas de précédent à cette situation.

M. Karoui, qui s’est construit une réputation par des opérations caritatives diffusées quotidiennement sur Nessma, sa chaîne télévisée qu’il a fondée, peut toujours compter sur l’appui de cette dernière, bien qu’elle émette dans l’illégalité.

S’il atteignait le second tour, son incarcération alors qu’aucun procès n’est en cours deviendrait très difficile à justifier, soulignent plusieurs observateurs.

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