Macron et Le Pen : leurs 6 erreurs de style oratoire

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S’exprimer devant un public est un art pour lequel même les plus grands orateurs ont des lacunes. Le Figaro a décrypté les erreurs des deux finalistes de l’élection présidentielle française.

Chacun son style. Politique ou pas, lorsque nous nous exprimons devant un groupe d’individus, nous avons tous notre gestuelle, notre joute oratoire, nos tournures de phrases… et nos petits défauts. Y compris les meilleurs orateurs d’entre nous. Le candidat d’En marche! Emmanuel Macron, vainqueur du premier tour de l’élection présidentielle ne déroge pas à la règle. Son style est très personnel: une richesse de vocabulaire, des phrases très (trop) intellectualisées et parfois «ampoulées»… Quant à la candidate du Front National, Marine Le Pen, elle a également des faiblesses de taille et parfois grossières: critique permanente – et parfois dédain – de ses concurrents, manque de cohérence et d’esprit d’analyse…

Karine Pichavant, fondatrice de KerHy Conseil et coach de dirigeants, détaille au Figaro les erreurs des deux candidats que nous ne devrions pas faire dans nos prises de parole professionnelles, peu importe le public. .

• Les faiblesses du style oratoire de Marine Le Pen.

1) Elle critique ses concurrents en permanence. Est-il nécessaire de critiquer son concurrent pour se sentir meilleur?«Dans le monde de l’entreprise et des affaires, critiquer son concurrent auprès de son client revient à avouer implicitement que l’on n’a pas confiance dans son offre ou dans son produit, et que l’on a besoin de détruire soi-même le concurrent que l’on craint, de peur que le client ne le fasse pas lui-même», analyse Karine Pichavant. En d’autres termes, critiquer son concurrent revient à faire comprendre à son client qu’il n’a pas le niveau pour savoir ce qui est le mieux pour lui, et c’est donc lui faire offense. Exemple lors de la prise de parole de Marine Le Pen le 23 avril dernier:«Ce n’est évidemment pas avec l’héritier de François Hollande et de tous les échecs de ce quinquennat catastrophique que cette alternance tant attendue viendra»

2) Elle oublie de se différencier. C’est un problème de taille! Utiliser les mêmes mots que tous ses concurrents pourraient utiliser également revient à vider ces mots de leur sens. «Imaginer que chaque personne saura d’elle-même mettre le sens que l’on souhaite dans ces mots, et comprendre elle-même la différence que l’on veut apporter sans la dire précisément, est impossible.» Illustration avec cette phrase prononcée par la candidate du Front National:«Ce résultat s’interprète comme un acte de fierté française, celui d’un peuple qui relève la tête, celui d’un peuple sûr de ses valeurs et confiant en l’avenir.»

3) Elle ne prend pas «au sérieux» ses concurrents. Dans le monde des affaires (et du travail en règle générale), un concurrent fort vous oblige à atteindre vous-même un niveau élevé, pour être en mesure de gagner la bataille. À ce titre, le «fair-play» consisterait à le remercier de vous faire devenir meilleur. «Reconnaître la valeur de son concurrent permet de donner une image plus positive de vous et de votre offre, et de valoriser votre client dans la sélection de sociétés qu’il a effectué.» Le dédain et parfois le mépris qui se dégage du discours de Marine Le Pen ne respecte pas cette notion de «fair-play».

4) Elle mélange deux étapes distinctes dans sa prise de parole. Parler de la victoire présente, et lancer la séquence qui permettra d’atteindre l’objectif suivant dans la même prise de parole manque d’efficacité. «Dans l’entreprise, la recommandation est de le faire en deux étapes distinctes et séparées d’une semaine au moins: valoriser le succès passé et en faire le bilan dans une première réunion, puis lancer la période suivante en communiquant l’objectif et en donnant envie à l’équipe de se remettre en action dans la deuxième étape.»

5) Ses propos manquent très souvent de cohérence. Prôner la rupture et la continuité dans la même prise de parole revient à troubler le message et à appuyer sur le frein: comment se mettre en action, si je ne sais pas clairement la stratégie retenue: sommes-nous dans une approche stratégique visionnaire, et nous lançons-nous à la poursuite de quelque chose que notre concurrent ne voit pas encore, ou sommes-nous dans une approche adaptative, où nous avançons par petits pas successifs? Voici un exemple frappant, prononcé par Marine Le Pen le 23 avril: «Ce que je vous propose est l’alternance fondamentale» et quelques lignes plus bas «C’est ce principe qui, durant les 1500 années de son histoire, a façonné la France que nous aimons. C’est ce principe que je mettrai en œuvre.» Mélanger plusieurs objectifs dans la même prise de parole revient aussi à manquer de cohérence, donc de clarté.

6) Marine Le Pen manque d’esprit d’analyse. Faire croire que l’on peut trouver un seul fautif à chaque situation, ou imaginer qu’il y a un homme/une femme providentiel(le) pour sauver un projet, est souvent une utopie en politique, et tout le temps utopique dans le monde imprévisible et économiquement chahuté de l’entreprise. «Deux chiffres montrent que la situation n’est jamais limpide ni simple: 94% des managers pensent être de bons managers quand on les interroge, et 36 % des managés sont sûrs de ne pas avoir un bon chef.» Qui a tort? Qui a raison? Seule une analyse objective et nuancée de la situation permet de prendre les décisions appropriées pour lancer ou sauver un projet.

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• Les faiblesses du style oratoire d’Emmanuel Macron

1) Ses objectifs ne sont pas toujours clairement identifiables. Lorsqu’on mélange trop d’objectifs, que l’on divulgue trop d’informations, cela forme un patchwork flou et indigeste. À tel point que faute de retenir tous ces buts, on finit par ne pas en retenir un seul! «Le premier objectif d’Emmanuel Macron est que les citoyens mettent son nom dans l’urne le 7 mai prochain au deuxième tour de l’élection. Sans la concrétisation de ce premier objectif, il ne pourra pas réussir les autres. C’est pour cela qu’il faut bien choisir et hiérarchiser ses combats.»

2) Le langage de Macron est parfois trop abstrait. La richesse de vocabulaire du candidat d’En Marche! le rend parfois coupable de prononcer des phrases difficilement compréhensibles. «Phrases trop longues, trop d’effets de style, des tournures trop lourdes, trop lettrées… Il est parfois difficile de traduire certaines phrases. Or, il doit être compris du plus grand nombre pour gagner.» Exemple avec la phrase suivante, qui a été prononcé le 23 avril dernier: «Le sentiment profond, organique, millénaire, qui a toujours porté notre peuple.»

3) Il laisse parfois trop de place au doute. Avoir des doutes est le propre de chaque être humain. Mais dans certains contextes, il faut savoir prendre le dessus pour ne rien laisser transparaître. Dans son discours, il a prononcé la phrase suivante: «J’aurais besoin de votre confiance.» «Est-ce du conditionnel? Du futur? Cette tournure laisse transparaître une hésitation, comme s’il s’excusait, qui donne l’effet inverse que ce que la phrase est censé donner.»

4) Il utilise des éléments trop anxiogènes. Une phrase révèle cette tendance à elle toute seule: «Prenez la part de risque qui vous revient.» C’est un propos périlleux, qui demande de la réflexion, et a fortiori qui inquiète celui qui l’entend à cause de la présence du mot «risque».

5) Macron est parfois un peu trop donneur de leçons. Moralisateur, Emmanuel Macron? Pas vraiment, mais certains de ses propos peuvent prêter à confusion. Cette phrase, à titre d’exemple: «On ne fait rien de bien en oubliant qui l’on est et d’où l’on vient.» De qui parle-t-il? Dois-je prendre cela pour moi? «Évidemment, il parle de lui-même et de l’homme qu’il est devenu grâce à son épouse Brigitte Macron mais il met une distance qui n’est pas nécessaire! Il est préférable d’aller droit au but et de ne laisser que très peu de place à l’interprétation.»

6) L’émotion ne doit pas s’estomper! «Quand on a le talent, comme Emmanuel Macron, de créer de l’émotion et de galvaniser les foules, l’intensité ne doit jamais baisser. C’est très complexe à réaliser, mais il faut garder la flamme allumée. Du début à la fin.» Or, le 23 avril dernier, Emmanuel Macron n’était ni triomphal, ni enhardi comme lors de son premier grand meeting parisien, qu’il avait terminé en hurlant à pleins poumons. Tant que la route n’est pas terminée, il ne faut pas s’arrêter sur le chemin de l’émotion.

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