Les tabous brisés avec le #Metoo tunisien

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De la simple remarque salace à la pédocriminalité, en passant par le viol: des centaines de victimes de harcèlement et d’agressions sexuelles brisent les tabous en Tunisie et témoignent spontanément sur les réseaux sociaux, avec le hashtag #EnaZeda, le #Metoo tunisien.

Le déclic a été la diffusion virale le 11 octobre d’une vidéo filmée par une jeune fille montrant un député fraîchement élu, qui semble en train de se masturber devant un lycée.

On y voit l’élu moustachu, t-shirt floqué du logo de son parti, le pantalon baissé jusqu’aux genoux. Poursuivi par la justice, il a assuré qu’il urinait, et menacé son accusatrice.

Des femmes indignées ont commencé à raconter sur les réseaux sociaux les harcèlements sexuels qu’elles subissent, un sujet jusqu’alors réservé à quelques émissions de télévision.

Le hashtag #EnaZeda, « moi aussi » en dialecte tunisien, fait référence au mouvement #Metoo qui avait libéré la parole de femmes victimes de harcèlement ou d’agressions sexuelles après l’affaire Harvey Weinstein en 2017 aux Etats-Unis.

Face à l’avalanche de témoignages, des militantes, dont celles de l’ONG tunisienne Aswat Nissa (« Voix des femmes »), ont mis en place des groupes sur Facebook qui relaient les récits de victimes, anonymes ou pas.

Des témoignages poignants affluent chaque jour sur le principal groupe #EnaZeda, comptant 19.000 membres. Aswat Nissa estime en avoir récolté plus de 70.000.

Attitude indécente d’un enseignant réputé ou d’une personnalité, incidents dans la rue ou le bus, attouchements par un proche durant l’enfance ou viol: les militantes ont été surprises par l’ampleur du déballage.

– « J’ai osé » –

« Nous avons créé le groupe pour défendre la jeune fille qui a filmé le député car elle a subi beaucoup de critiques et de pressions », raconte Myriam Bouattour, présidente d’Aswat Nissa. « Puis les femmes, et parfois des hommes aussi, ont témoigné spontanément, et aujourd’hui nous essayons d’organiser des groupes de parole avec des psychologues ».

« Les réseaux sociaux facilitent ce passage du silence à l’expression », explique à l’AFP l’expert en psychologie Abdelwaheb Mahjoub.

Mme Bouattour dit avoir reçu des témoignages de gens qui « ont brisé le tabou familial » en parlant des agressions sexuelles « avec leurs enfants, après avoir lu des témoignages sur la pédophilie ».

Mais le tabou reste assez fort dans un pays pourtant considéré comme pionnier des droits des femmes dans le monde arabe et musulman, avec l’adoption en 1956 du code du statut personnel qui a notamment aboli polygamie et répudiation.

Rares sont les victimes à porter plainte bien que la loi punisse les agressions et, depuis juillet 2017, le harcèlement sexuel dans les lieux publics, est passible d’un an de prison et de 3.000 dinars (environ 950 euros) d’amende.

Selon Aswat Nissa, certaines femmes se sont décidées à porter plainte après avoir lu des témoignages d’autres victimes. Et d’autres ont trouvé le courage de répondre aux agresseurs.

« Ce soir, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Ce soir, j’ai été harcelée et personne n’a pris la peine de réagir », témoigne une internaute, Lina Kaboudi.

Mais « à la différence de tous les autres soirs, j’ai osé répondre à mon harceleur. Je n’ai pas continué de marcher, faisant semblant de ne pas l’entendre. Je me suis arrêtée et je lui ai tenu tête. »

– « Le harceleur #MaYerkebch » –

Comme nombre d’autres victimes, Lina Kaboudi regrette la passivité de la police « qui était à deux pas » et qui « n’a pas bougé le petit doigt », et des témoins qui « n’ont rien fait ».

En octobre, une institution gouvernementale, le Centre de recherche, d’études, de documentation et d’information sur la femme (Credif), a lancé une campagne de sensibilisation sur le harcèlement sexuel dans les transports en commun.

Baptisée « le harceleur #MaYerkebch (ne monte pas) avec nous », elle met à disposition une application qui permet à un témoin ou une victime de laisser son téléphone parler et rappeler la loi.

Via un chat bot, un assistant virtuel qui permet une discussion robotisée, on y indique le type de harcèlement et son lieu, et une voix se déclenche pour « intimider et faire peur au harceleur » en s’exprimant en dialecte tunisien, explique à l’AFP Najla Allani, directrice générale du Credif.

« Des personnes n’osent pas parler, mais avec cette voix off, elles seront davantage encouragées à réagir. »

Reste à savoir quel impact auront les témoignages à long terme pour lutter contre les agressions sexuelles.

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