Interview. Jawad Abu Hatab: "la révolution syrienne est toujours vivante"

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Jawad Abu Hatab, premier ministre du gouvernement de transition syrien.

Pour le premier ministre du gouvernement de transition syrien (organe de l’opposition modérée qui assure la gestion des zones dites « libérées » de l’intérieur du pays), les défis sont nombreux : bombardements renforcés des zones rebelles par le régime et ses alliés, tentative hégémonique des djihadistes sur l’opposition modérée…. Mais si la guerre a perverti la révolution, elle ne l’a pas tué, estime-t-il.
Propos recueillis par Delphine Minoui à Gaziantep (Turquie)

Trois semaines après le lancement par Ankara de l’opération «Rameau d’olivier» (visant à déloger les combattants kurdes du PYG de l’enclave syrienne d’Afrine, au nord du pays), ne craignez-vous pas que cette offensive ne complique encore plus la guerre syrienne?
Si elle parvient à nettoyer le nord du pays des forces terroristes, cette opération ne peut qu’être bénéfique pour la Syrie. Je ne fais aucune différence entre les combattants de l’YPG, Daech ou encore Al Nosra (ndlr: ex-branche d’Al Qaeda en Syrie). Ils veulent imposer leur contrôle sur Afrine de la même manière que l’EI et Nosra cherchent à contrôler d’autres régions, au risque d’une partition du pays. Ce n’est qu’en se débarrassant de ces diverses forces extrémistes que nous parviendrons à établir des Conseils locaux et à garantir l’unité, la sécurité et l’accès aux services à nos citoyens.
Quid de la Turquie? Ne risque-t-elle pas de revendiquer une présence militaire, une fois l’opération terminée?
Je ne pense pas que les Turcs resteront en Syrie. Les Syriens aspirent à regagner leur liberté. Ils revendiquent leur indépendance. Ils n’attendent pas de leurs frères turcs qu’ils demeurent en Syrie. En revanche, nous pouvons bénéficier de leur expertise et de leur aide pour reconstruire notre pays.
La Ghouta orientale, dans la banlieue de Damas, se trouve sous le feu des bombardements syro-russes. Qu’attendez-vous de la Communauté Internationale?
C’est un crime de guerre qu’il est urgent de sanctionner. Aujourd’hui, 400.000 personnes sont piégées dans l’enfer de la Ghouta. Plus de 200 personnes y sont mortes en cinq jours. 99 % des bombardements visent des installations civiles. Rien n’est épargné: les hôpitaux, les écoles, les universités… Il est temps que cela cesse, tout comme dans la région rebelle d’Idlib. Là-bas aussi, ce n’est pas la ligne de front qui est touchée mais les zones civiles. À Maarat al Numan ou encore à Saraqeb, installations médicales et civiles sont régulièrement visées.
Le régime de Damas dit vouloir combattre les djihadistes à Idlib où se trouve,une importance présence de Hayat Tahrir al Cham ( HTS, émanation de l’ex-Front al Nosra). Comment le gouvernement intérimaire parvient-il à fonctionner face à l’emprise croissante de HTS dans cette région rebelle du nord du pays?
Tout d’abord, nous rejetons en bloc HTS, tout comme le nouveau Gouvernement de Salut (ndlr: un gouvernement parallèle récemment formé à Idlib par une alliance qui gravite autour de HTS). Cette nouvelle entité n’est que la vitrine politique de Nosra. Elle ne représente ni la population, ni la révolution. Elle n’a aucune légitimité et ne bénéficie d’aucune reconnaissance internationale. En plus, elle s’attaque régulièrement à nos institutions: centres éducatifs, universités… Ces gens-là sont comme Daech: ils imposent leurs propres lois. Leur idéologie islamique est en contradiction avec notre culture. Ils trahissent le vrai islam. Nous ferons tout pour nous y opposer. Malgré la pression, nous continuerons à travailler à Idlib, par l’intermédiaire des Conseils locaux.
La tension monte entre Israël et le régime de Damas après qu’un avion de combat israélien a été abattu, samedi, par l’armée syrienne. Comment appréhendez-vous cette escalade?
Au sein du gouvernement intérimaire, nous refusons toute forme d’ingérence ou de bombardement israélien sur la Syrie. Les Israéliens n’ont aucun droit d’attaquer la Syrie. C’est le peuple syrien et lui seul qui doit faire tomber le régime. Israël est une force d’occupation. Ils occupent le plateau du Golan. Ils n’ont pas le droit d’intervenir dans les affaires internes syriennes.
Israël, Turquie, États-Unis, Russie, Iran… Les forces en présence dans le conflit syrien ne cessent de se démultiplier. Sept ans après le début du soulèvement contre Bachar al-Assad, l’avenir de la Syrie semble aujourd’hui échapper aux Syriens…
Le peuple syrien a payé un prix très élevé pour sa liberté. Cela nous a valu de nombreux sacrifices. Mais nous n’avons pas perdu espoir et entendons bien atteindre nos objectifs. Regardez la révolution française: elle ne s’est pas faite du jour au lendemain. Cela prendra le temps qu’il faudra. Et j’espère bien qu’un jour nos enfants bénéficieront de notre combat pour la paix. Nous sommes un peuple civilisé, riche en histoire. Je veux continuer à rêver du jour où nous serons la capitale de la musique et de la culture. Nous finirons par nous en sortir!
En sept ans de conflit, des centaines de milliers de Syriens ont perdu la vie, des milliers de personnes sont encore derrière les barreaux. Seul un habitant sur deux vit encore chez lui. Dans ce contexte, que reste-t-il de la révolution de 2011?

Il y a encore des millions de Syriens à l’intérieur du pays qui soutiennent la révolution. Les millions de réfugiés qui vivent à l’étranger sont eux aussi de fervents défenseurs de notre révolution. En Syrie, les extrémistes se comptent par milliers. Mais les révolutionnaires se comptent par millions. Ils représentent la majorité de la population. En dépit de la répression et de la violence du régime, notre société civile est encore très active. Regardez toutes ces ONGs dans la Ghouta, ces Conseils locaux à Idlib, ces écoles… À ce jour, il existe encore 350 Conseils locaux à travers le pays qui représentent les valeurs de la révolution. Nous avons quelque 23.000 étudiants qui suivent notre cursus et chapeautons 3200 écoles à travers le pays. Nous comptons aussi sur la protection de 150.000 combattants rebelles de l’Armée Syrienne Libre. Les forces extrémistes sont minoritaires, et nous sommes déterminés à les combattre jusqu’au bout. Nous ne laisserons personne nous imposer ses idées. La révolution est encore vivante.

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