Espagne: les « enfants » perdus de Ripoll, jihadistes dès 17 ans

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A Ripoll en Espagne, un enfant marocain de sept ans reste sans grands frères à la maison: deux ont été tués comme « terroristes », un autre a été arrêté. « Ils étaient «accros» à l’imam », dit-il, sans doute en répétant ce qu’il entend.

Mardi, cinq jours après les attentat jihadistes qui ont fait 15 morts et plus de cent blessés en Catalogne, Ripoll ne se remet pas d’avoir vu naître ou grandir la plupart des douze membres présumés de la cellule qui les aurait organisés, appartenant à quatre fratries.

Mais malgré la consternation – et la rancoeur qui pointe contre eux – ses habitants continuent souvent de dire affectueusement « les gamins » pour désigner ces jeunes hommes que la ville connaissait très bien et présumait « totalement intégrés ».

Sur une charmante petite place du centre historique, l’enfant de sept ans accompagne son père, Brahim Aallaa.

Son père, ouvrier marocain – « né en 1969 et arrivé en Espagne en 1999 » – a donné rendez-vous à l’AFP en bas de chez lui, lundi à 22H00, juste après avoir fini de travailler dans une usine textile.

« Deux de mes fils – Youssef et Said – sont morts parce qu’un imam leur a enseigné l’islam à l’envers, dit-il. Il ne savaient même pas l’arabe! Ils parlaient catalan, espagnol, berbère… ».

« L’autre, Mohamed, va aller en prison seulement pour avoir laissé sa voiture à son frère », ajoute-t-il dans un espagnol rudimentaire.

Mohamed Aallaa, 27 ans, le propriétaire d’une Audi qui a foncé dans la foule sur le bord de mer à Cambrils, au sud de Barcelone, comparaissait mardi devant un juge à Madrid, qui devait décider ou non de l’inculper.

Son frère cadet Saïd, qui aurait eu 19 dans trois jours, un des cinq occupants de l’Audi,

armés de couteaux et de haches, a été tué par la police pendant l’attaque.

Le père, Brahim Aallaa, assurait lundi soir ne pas encore vraiment savoir comment Youssef est mort, comme l’affirme la presse espagnole. La police ne l’a pas encore confirmé. Il aurait disparu dans l’explosion de la maison de Catalogne, bourréee de bonbonnes de gaz, où la police pense que se préparaient des attentats d’envergure.

« Pendant le mois de Ramadan (terminé le 25 juin), ils allaient prier avec l’imam toute la journée et le soir aussi », raconte-t-il. « Après, Youssef avait changé : il prenait la voiture de son frère et partait en disant chercher du travail ».

5% de Marocains
Ripoll, son monastère médiéval, son théâtre et son pont conçus par des architectes catalans de renom, ses « oui » à l’indépendance de la Catalogne qui s’affichent aux balcons… Nichée à 90 km au nord de Barcelone entre des montagnes boisées, jamais cette ville pyrénéenne paisible aux 10.000 habitants – dont moins de 5% de Marocains – n’avait été soupçonnée d’abriter un foyer de jihadisme.

Alors quand elle regarde l’organigramme de « la cellule de Catalogne » publié dans la presse, Nuria Perpinya a « le sang qui se glace ». « Ce sont des terroristes et ça me fend le coeur, c’est un sentiment contradictoire », dit cette éducatrice et médiatrice de 36 ans. « Certains sont comme mes enfants, je leur ai même appris à compter ».

Jusqu’en 2015, Nuria travaillait pour un programme régional de lutte contre l’exclusion. Elle n’a gardé que de « bons souvenirs de ces garçons normaux, totalement intégrés » qu’elle recevait. Seul bémol: « Ce n’étaient sans doute pas ceux qui avaient le plus de personnalité, mais les plus vulnérables ».

« Tuer les infidèles”
Dans un petit immeuble plutôt pimpant à l’entrée de Ripoll, Moussa Oubakir, 17 ans, vivait avec sa mère. Son frère aîné Driss Oubakir, 27 ans, est lui aussi soupçonné de faire partie de la cellule.

« Pour parler de Moussa, pas de qualificatifs négatifs : on le disait attentionné, bien élevé, joyeux », rapporte l’adjointe au maire chargée de l’intégration, Maria Dolors Vilalta.

Reste que sur le réseau social Kiwi Q&A, où il était actif il y a deux ans, Moussa assurait – entre deux messages de flirt – que s’il était maître du monde, il irait « tuer les infidèles pour ne garder que les musulmans qui suivent la religion ».

La nuit de jeudi à vendredi, il est tombé sous les balles de la police à Cambrils, avec quatre autres copains d’enfance.

Houssaine Abouyaaqoub, dit « Houssa », également mineur, a été abattu en même temps que lui.

Et, lundi, c’est le grand frère de ce dernier, Younès Abouyaaqoub, 22 ans, qui a été tué par les policiers, après quatre jours de cavale. Il avait été identifié comme « l’assassin des Ramblas » de Barcelone qui a précipité la camionnette sur les piétons puis poignardé à mort un automobiliste pour lui voler sa voiture.

Or pour Nuria, « Houssa et Younes étaient de très bons voisins ».

« Houssa, c’était un garçon brillant et responsable, de ceux qui te tranquillisent quand tu sais que ton fils part faire la fête avec lui », a écrit aussi dans un message à l’AFP un guide touristique de 53 ans, César Garcia, dont le fils allait à l’école avec lui.

Comment comprendre l’incompréhensible?

Ces jeunes-là n’étaient pas de familles pauvres ni marginalisées, dans une ville dépourvue de ghetto. Ils n’avaient pas non plus d’antécédents judiciaires.

Parmi leurs pères, « la majorité travaillent à nettoyer les forêts, d’autres dans l’industrie métallurgique », dit Mme Vilalta. Quant aux jeunes « jihadistes », au moins deux avaient un emploi dans l’industrie textile et la métallurgie, selon différents témoignages.

« Il n’y a jamais eu aucun problème d’intégration » à Ripoll, assure le maire Jordi Munell, un séparatiste catalan de centre droit. Et d’insister : « Ici, certains (des suspects) avaient travail, voitures, portable, ordinateur, projets… »

 

Avec AFP.

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