Diapo. Au Liban, des agriculteurs misent sur le cannabis pour sortir de la crise

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Des femmes tamisent du cannabis dans l'est du Liban, le 6 mars 2021. afp.com

Pendant près de trente ans, Abou Ali a planté des pommes de terre dans l’est du Liban. Mais pour faire vivre sa famille dans un pays en plein effondrement où l’agriculture ne rapporte pas, il s’est reconverti dans la culture du hachisch.

« Ce n’est pas par amour du hachisch », lâche le paysan de 57 ans, dans la région de Baalbek, réputée pour son industrie prospère –et illégale– de cannabis. « C’est moins coûteux que d’autres cultures », résume-t-il. « Ça permet de vivre dignement. »

Avec la crise économique qui s’accélère depuis l’automne 2019, les petits agriculteurs se tournent de plus en plus vers le cannabis pour échapper à la misère –même si rares sont ceux qui acceptent de témoigner.

« Avec l’agriculture, on était toujours perdants », justifie Abou Ali, reconverti lui dès 2019.

La situation a empiré avec la dépréciation de la livre libanaise ayant fait bondir les coûts de production agricole: à l’instar du carburant, les graines, les engrais et les pesticides sont importés, donc facturés en dollar.

Par opposition, le hachisch est synonyme de revenus stables, de coûts de production divisés par quatre et d’économies en eau et en engrais.

De sa vie passée, dédiée aux pommes de terre et aux haricots verts, Abou Ali garde un goût amer.

S’exprimant sous un pseudonyme au téléphone, il raconte le drame ordinaire des campagnes libanaises: de paysans endettés auprès des banques ou des usuriers, contraints de vendre maisons et terrains.

« Quand on plantait des légumes, on ne pouvait même pas acheter le mazout pour se chauffer l’hiver », poursuit ce père d’un jeune adolescent.

« Nourrir la famille »

Aujourd’hui, il plante deux hectares de hachisch, produisant une centaine de kilos. Il vend le kilo à deux millions de livres, soit environ 166 dollars au taux du marché noir.

Selon la qualité, le prix peut monter jusqu’à cinq millions.

« Ce n’est pas le grand luxe, mais (…) on peut nourrir la famille ».

Le bucolique village de Yammouné se targue d’avoir le meilleur hachisch de tout Baalbek. Mais l’adjoint du maire Hussein Chreif reconnaît que la production a désormais le vent en poupe dans toute la région.

 

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« Les agriculteurs abandonnent leurs cultures principales », confirme-t-il. Avec le hachisch, « ils sont gagnants, quel que soit le prix de vente ».

Depuis des décennies la culture du hachisch prospère au Liban. Avec plus de 40.000 hectares de plantations illégales, le pays est le quatrième fournisseur au monde, derrière le Maroc, l’Afghanistan et le Pakistan, selon l’ONU.

En avril 2020, le Parlement a légalisé la culture du cannabis à usage médical. Mais sur le terrain, rien n’a été fait.

Pourtant, une fois appliquée, cette filière pourrait rapporter 350 millions de dollars au bout d’un an, et jusqu’à un milliard la cinquième année, indique à l’AFP le ministre de l’Agriculture Abbas Mortada.

Mais l’instance de régulation censée gérer le secteur n’a toujours pas été créée et attend désormais la formation d’un gouvernement qui piétine.

Le ministre assure par ailleurs œuvrer avec les instances internationales pour soutenir un secteur agricole « négligé durant des décennies ».

Avec la crise économique, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) évoque un « déclin substantiel » de la production agricole, selon des « estimations informelles ».

 

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« Ca pourrait être pire en 2021 », avertit Maurice Saade, représentant de la FAO au Liban, pointant du doigt « des coûts de production qui ont subitement augmenté » avec les importations en dollar.

« De nombreux fermiers n’ont pas pu planter, ou ont dû réduire les surfaces cultivées », reconnaît-il.

« Nombreux sont ceux qui s’endettent, ou qui utilisent d’anciennes graines, donnant des récoltes moins abondantes. »

Et c’est pourquoi, l’agence onusienne, en coopération avec les autorités, va verser 300 dollars à environ 30.000 agriculteurs, pour les aider à acquérir des matières premières ou du matériel.

« Pas de pertes »

Dans le garage de Mohamed, un nom d’emprunt pour cet agriculteur au visage buriné et à la mine rieuse de Yammouné, deux travailleurs affinent la résine de cannabis en la faisant passer par un tamis.

A l’entrée du garage, des sacs de jute s’entassent: les graines de cannabis qui sont plantées au printemps.

Après une vingtaine d’années dans la pomme de terre essentiellement, Mohamed s’est reconverti en 2018.

« Avec la pomme de terre, tu es gagnant une année, et perdant les trois suivantes », déplore le sexagénaire, qui pour éponger des dettes a dû vendre un lopin de terre.

« Avec le hachisch il n’y a pas de pertes ».

Aujourd’hui il plante un hectare, et fournit de l’eau de son puits aux voisins, qui le payent parfois en lui cédant une partie de leur production de hachisch.

« Si ce n’était pour cette culture, les gens n’auraient pas à manger ».

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