Au Japon, le culte millénaire des «sakura»

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Chaque printemps, la floraison des cerisiers est un événement majeur pour les habitants de l’Archipel.

Au parc de Shinjuku, au centre de Tokyo, Satoe Noguchi traque le pétale blanc comme d’autres photographes amateurs le grand fauve ou l’oiseau rare: au téléobjectif. Un Olympus sur trépied, un autre en bandoulière, cette élégante retraitée change d’angle en contournant le cerisier à pas de velours, comme si elle cherchait la clé secrète d’un temple rempli de mystères. Mais son plus grand souci est visiblement les touristes, principalement chinois, qui s’ébrouent, ravis, sous les arbres en fleurs et qu’elle s’efforce de chasser de son champ: qui costumée en impératrice mandchoue, qui en kimono d’opérette, qui en star de rock chinois…

Les Japonais ont inventé l’aïkido, la voiture télécommandée et le walkman ; mais l’humanité leur doit surtout d’avoir découvert le cerisier en fleurs, ou sakura. Ils ont mis cet arbre au centre de leur culture et de leurs préoccupations, probablement depuis l’ère Heian (794-1185). C’est à cette époque, en effet, que la famille impériale prend l’habitude de pique-niquer sous le toit de pétales qui se forme chaque printemps autour de ses branches, avant que cette coutume descende, siècle après siècle, jusqu’au commun des Japonais – et depuis peu des touristes.

 

Une affaire publique

La popularité des sakura est devenue affaire publique. Chaque année, l’agence météorologique nationale prédit et décrit leur remontée du sud au nord, d’Okinawa à Hokkaido, à coups de communiqués similaires à ceux saluant une visite d’État. Habemus sakura! Pourquoi un tel engouement? Les cerisiers évoquent plusieurs traits du caractère national: l’impermanence de toutes choses, le caractère cyclique du temps, les premières chaleurs du printemps…

«En ce moment de l’année, nous vivons, outre la floraison des cerisiers, la fin de l’année fiscale, la remise des diplômes, la première embauche… Les cerisiers en fleurs nous rappellent ces moments clés de notre vie», explique Kyoko, une employée de bureau. «Ils m’ont accompagnée toute ma vie. Enfant, j’admirais ceux qui bordent la rivière Sumida, près de mon domicile», se souvient Satoe Noguchi. Elle vit aujourd’hui aux alentours du Sky Tree, une gigantesque antenne de télévision en acier qui n’a d’arbre (tree) que le nom. «Au moins les sakura refleurissent chaque année. Je ne les manquerais pour rien au monde», affirme-t-elle.

Un engouement universel

«Pour bien comprendre les cerisiers, il faut les observer à partir du début de la floraison jusqu’au moment où les fleurs commencent à tomber», conseille Nobuyuki Asada, secrétaire général de l’association japonaise pour les cerisiers. Au parc de Shinjuku, le visiteur peut observer que l’engouement est devenu universel, des centaines de touristes se pressant au pied de chaque cerisier fleuri. Il déborde même des arbres pour recouvrir les Japonais qui, comme Satoe Noguchi, se retrouvent eux-mêmes photographiés en les photographiant. «Il y a trop de monde, je veux des sakura avec personne devant», maugrée un couple d’étudiantes japonaises qui ne reconnaissent plus leur parc livré à la mondialisation.

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