Algérie: Paris scrute la contestation anti-Bouteflika entre inquiétude et embarras

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Partagé entre inquiétude et embarras sur l’attitude à adopter, le gouvernement français suit au plus haut niveau la mobilisation contre la nouvelle candidature du président Bouteflika en Algérie, en espérant que la situation reste pacifique.

« C’est un vrai sujet. Je pense que c’est le plus gros +objet+ politique des prochains jours et semaines, sur fond d’élections européennes. Ca mobilise en temps le président de la République et le Premier ministre », confie à l’AFP un ministre.

« Instabilité, questions de sécurité, immigration, questions économiques, ressenti et comportements de nos compatriotes franco-algériens… »: les possibles répercussions sont nombreuses, s’inquiète-t-il.

Le pouvoir algérien est confronté à une vague de contestation d’ampleur depuis l’annonce le 10 février de la candidature à un cinquième mandat du président octogénaire Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999 et pratiquement invisible depuis cinq ans.

Les manifestations ont été abordées dans le huis clos du Conseil des ministres à Paris mercredi par le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian, qui a fait part de sa « grande vigilance ».  Le Drian a reçu mercredi après-midi l’ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt.

 

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Mais la France s’exprime publiquement avec une prudence absolue, car l’ex-puissance coloniale marche sur des oeufs.

« C’est au peuple algérien et à lui seul qu’il revient de choisir ses dirigeants, de décider de son avenir, et cela dans la paix et la sécurité », a déclaré mercredi le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, faisant le « voeu » de la France que l’élection présidentielle du 18 avril réponde « aux aspirations profondes » de la population algérienne.

Les autorités françaises « suivent de près la situation », s’est contenté d’affirmer le Quai d’Orsay.

« Soit on en parle et les Algériens accusent d’ingérence l’ancien colonisateur, soit on n’en parle pas et la France est accusée de favoriser un régime antidémocratique. Dans un cas comme dans l’autre, le terrain est miné », souligne l’historien et spécialiste de l’Algérie Benjamin Stora.

Depuis la fin de la guerre et l’indépendance en 1962, la France et l’Algérie entretiennent des relations à la fois proches et difficiles, sur fond de réconciliation tumultueuse.

Importants liens économiques, passé colonial douloureux, forte communauté d’origine algérienne en France, collaboration des services de renseignement ou plus récemment jihadisme au Sahel forment une relation complexe.

 

Lire aussi: Présidentielle algérienne: malgré les manifestations, Bouteflika déposera sa candidature le 3 mars

 

Ces dernières années, a fortiori depuis les « printemps arabes », beaucoup de hauts responsables français se sont inquiétés en privé du risque de « déstabilisation » du régime algérien, qu’elle vienne de révoltes contre le régime ou de la mort d’Abdelaziz Bouteflika.

Et notamment de l’impact migratoire qu’elle pourrait entraîner en cas de conflit violent.

« Certains responsables français ont tendance à ne voir qu’un scénario avec l’effondrement de l’Etat algérien et des flots de gens qui soudainement traverseraient la Méditerranée. C’est exagéré », juge Andrew Lebovich, chercheur associé au Conseil européen des relations internationales (ECFR).

Si l’inquiétude d’un flot migratoire massif relève davantage du « fantasme », selon Benjamin Stora, « cela peut affecter la politique intérieure française, par exemple sur les élections européennes. Ça peut faire monter l’extrême droite qui a peur de l’+invasion+ », juge l’historien.

Avec son immense frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec le Mali, le Niger et la Libye, l’Algérie est également un acteur clé sur le front contre le jihadisme au Sahel, même si elle fait aussi l’objet de suspicions de double jeu avec certains groupes jihadistes.

« L’Algérie est très active sur ses frontières et impliquée dans des médiations formelles et informelles avec ses voisins », relève le chercheur Andrew Lebovich.

Déjà confrontée à une situation tendue et à la difficile montée en puissance de la force africaine du G5 Sahel (Mauritanie, Tchad, Mali, Niger, Burkina), l’opération militaire française Barkhane (4.500 militaires) verrait émerger une nouvelle incertitude.

Enfin, avec près de 5 milliards d’euros d’échanges bilatéraux, l’enjeu économique est également jugé significatif. L’Algérie, qui héberge une usine Renault et une autre de PSA, est également un important débouché pour le blé français.

Quant au gaz algérien, s’il ne représente que 10% des importations françaises, il pèse plus de la moitié de celles de l’Espagne, et des problèmes de livraison venus d’Algérie compliqueraient rapidement l’approvisionnement du sud de l’Europe.

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