Violences dans les stades: « C’est une autre forme de compétition », analyse un sociologue

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Hooliganisme
Le match, disputé le 13 mars dernier à Rabat, a été marqué par des actes de vandalisme d'une rare violence. DR.

Les violences enregistrées pendant et après le match FAR-MAS, disputé dimanche 13 mars au stade Moulay Abdellah à Rabat, se sont soldées par 160 arrestations, plusieurs blessés et des dégâts matériels encore inestimées. Abderrahim Bourkia, sociologue, écrivain, professeur à l’Institut des sciences du sport (I2S) à l’Université Hassan 1er de Settat et chercheur associé au Centre marocain des sciences sociales (CM2S) à Casablanca et au Centre méditerranéen de sociologie, de sciences politique et d’histoire (MESOPOLHIS) à sciences po d’Aix-Marseille, décrypte ces événements.

H24 Info: Deux semaines à peine après la réouverture des stades au public, des violences ont eu lieu dimanche au stade Moulay Abdellah de Rabat, lors du match MAS-FAR. Quel est votre lecture de ces événements ?

Abderrahim Bourkia: Ce n’est pas la première fois et ne sera pas la dernière, si on ne se penche pas vraiment sur le sujet pour lutter contre tous les types de violence qui gangrène notre quotidien et la vie de tous les jours. Ce que l’on a vu dimanche dernier n’est qu’un échantillon de ce qui travaille l’esprit et la tête d’une jeunesse qui se présente comme à la marge de la société. Cela en dit long sur nous, nos manières d’être, nos formes de communication et de socialisation, et ce que d’être ensemble veut dire.

Et on peut se poser toute une série de questions: comment on a eu une telle violence spectaculaire juste après la réouverture ? Comment on n’a pas pu voir venir ses actes qui prennent en otage des innocents, des biens publics et privés ? A qui amputer la responsabilité ? Sommes-nous incapables de gérer une poignée de jeunes à la dérive adeptes de pratiques déviantes ?

On peut multiplier les questions à l’envi, mais à mon avis, il est temps de se pencher sur ce problème et éviter de de brandir ce spectre labellisé, à tort ou à raison: le hooliganisme, qui dérange les Marocains et qui donne une image ternie de nous qui aimons ce pays. Nous nous donnons corps et âme pour construire un Maroc qui rassemble toutes les composantes sociales, un Maroc pour toutes et tous, de Tanger à Lagouira. Et pourtant, nous avons les moyens pour éradiquer ce fléau. C’est sûr.

Les mineurs non-accompagnés sont interdits des stades et pourtant, 90 d’entre eux ont été arrêtés sur 160 supporters pour les actes de violences du dimanche dernier. Comment c’est possible ? 

Comme vous, je me pose souvent cette question. Ce n’est pas possible. L’arsenal juridique prévoit cela mais on voit toujours des mineurs aux stades. C’est quoi ce délire? Contenir un groupe de supporters nous poserait un problème. Non, je ne suis pas d’accord et nous savons faire mieux que cela. Pour donner une grille de lecture sur la gestion de la crise et comment nous avons eu l’impression d’être dépassés et de n’avoir rien vu venir, j’aimerai exposer les éléments de réponse en deux axes, afin de donner une autre perception.

Tout d’abord, nous avons un public mécontent, chauffé à blanc par ses normes universelles, ceux des ultras. Un mélange à la sauce marocaine, entre autres, de virilité, de masculinité à deux balles et le fait de s’exposer et se poser comme le groupe de supporters le plus dur et méchant au Maroc. C’est une autre forme de compétition. Et dans cette quête de reconnaissance de ce statut prestigieux, selon eux bien évidement, ce groupe a accueilli les Fatal Tigers du Maghreb de Fès comme il se doit dans ce monde, par le caillassage de leur bus, ce que l’on appelle le cortège, où l’on empêche par tous les moyens le groupe antagoniste de se rendre au stade.

Deuxièmement, il y a plusieurs facteurs d’une crise liée à la gestion d’un spectacle footballistique. Nous avons différents acteurs: les responsables des clubs, les gestionnaires du stade de Rabat, les responsables de la fédération et les pouvoirs publics, sans oublier le facteur clé qui est le public. C’est la partie apparente ou celle que l’on cherche à mettre au-devant.

Lire aussi: Vidéo. Hooliganisme: 85 policiers blessés et des dizaines d’arrestations après le match AS FAR-MAS

On va imaginer ce schéma. Chaque protagoniste poursuit son intérêt propre avec au milieu et pile dans l’axe: les décideurs en premier lieu, ceux qui prennent la décision et qui décident vraiment, puis les créateurs de la décision et enfin ceux qui l’exécutent. Il y a aussi avec eux ceux qui profitent ou subissent cette décision. A droite, on peut dire en tant qu’observateur lambda ou chevronné de ce monde clair-obscur des ultras qu’il y a des choses que l’on n’arrive pas à saisir. Je parle de la crise en elle-même toujours. Un manque terrible de compréhension, d’appréciation aussi, et cela est mêlé à un désir de chantage d’on ne sait pas qui et dans quel but.

On peut ajouter une certaine volonté d’intimidation et de mauvaise foi de part et d’autre. Et bien évidement, une idée d’une gestion aléatoire tient aussi la route. Toujours dans le sens des éléments concrets, on peut parler de l’erreur humaine potentielle ou logistique et technique, des crises préméditées, de l’exposition de la force musclée, des rumeurs et du manque de perspective ou « lack of purpose » chez la jeunesse, qui reste un élément fatal dans ce genre d’incidents qui impliquent une foule sentimentale manipulée ou instrumentalisée. Je n’ai pas des éléments pour trancher certes, mais cela reste juste une lecture, entre autres, qui tient la route à mon avis.

Beaucoup accusent les ultras des FAR, déjà impliqués dans d’autres événements violents, dont le jeudi noir à Casablanca, d’être les premiers responsables. Qu’en pensez-vous ?

Là, il s’agit bien des Faraouistes, on ne peut pas le nier. Ils ont déjà récidivé par le passé, loin de la diabolisation de qui ce soit qui s’inscrit dans ce mouvement.

Qu’est-ce qu’il faut faire pour mettre fin à ces violences ?

Il faut des sanctions exemplaires et un accompagnement pour ne pas désocialiser à jamais ce mineur impliqué dans les actes de violence ou celui qui s’avère vraiment dans son premier coup et prévoir des mesures coercitives bien adaptées. Le but de la réclusion n’est pas de produire en fin de compte un élément rejeté qui va sortir pour se venger davantage de la société mais de donner l’exemple et changer sa manière de voir.

Ce jeune est notre produit social et nous sommes tous responsables. Il est temps d’investir dans nos jeunes et de mettre en œuvre une politique pour eux et des programmes qui les intègrent toutes et tous. Sinon, nous aurons que des bombes à retardement qui pourraient exploser n’importe quand et n’importe où. L’approche sécuritaire est incontournable et essentielle, sans aucun doute, et personne ne peut dire le contraire certes, mais il serait recommandable de les accompagner avec une approche sociale, socioculturelle et préventive.

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