Vidéo. Sécheresse: des éleveuses de chèvres témoignent leur détresse

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Crédit: H24info.

La sécheresse persiste et fait des ravages auprès des petits et moyens agriculteurs. Spécialisée dans l’élevage, la région des Béni-Meskine est particulièrement touchée. 

La région des Béni-Meskine est spécialisée dans l’élevage et surtout de la Sardi, une race ovine très prisée au Maroc pour le sacrifice du mouton à l’Aïd al-Adha. Classée zone aride, elle est particulièrement touchée par la sécheresse. A Al Borouj, la coopérative Meskinia pour Produits et Services Agricoles (Comepsa) s’occupe des femmes des villages alentours sans revenu stable en leur fournissant des chèvres. Ces femmes vendent alors le lait récolté à la coopérative qui produit puis vend des fromages de chèvre dans les grandes villes du royaume.

Prix du fourrage excessif, les bêtes meurent de faim

Les conséquences de la sécheresse commencent à peser sur la coopérative. « L’an dernier à la même époque, on produisait entre 2 et 4 tonnes de lait par mois. Aujourd’hui, on atteint à peine 800 litres/mois », constate Sadiq Mohamed, ingénieur agronome et directeur bénévole de la coopérative Meskinia. « Malgré la baisse de la production, nous n’avons pas augmenté les prix de nos fromages qui se vendent à 15 DH à la coopérative, et 17,5 à 20 DH à l’extérieur. Nous souhaitons être honnêtes avec le marché », assure-t-il.

Ce n’est pas le cas pour le prix des fourrages qui a considérablement augmenté. Les éleveurs n’ont plus de quoi nourrir leurs bétails dont une partie meure littéralement de faim. La hausse du prix du fourrage engendre en même temps la baisse du prix des bêtes sur le marché. Les éleveurs souhaitant pallier la sécheresse en se débarrassant de leurs bêtes sont obligés de les brader au souk, l’offre dépassant largement la demande.

« Les animaux d’élevage ont perdu au moins 50% de leur valeur, contre 25% pour les engraissés destinés aux boucheries », explique Abderrahim Naciri, vétérinaire et éleveur dans la province d’El Kelaâ Sraghna. « Une bête qui valait 2.000 DH il y a un an vaut aujourd’hui 1.000 DH, si toutefois le vendeur trouve acheteur ». Ceci est la conséquence directe de la hausse du prix de l’aliment pour bétail équivalente à 35% de sa valeur, poursuit le vétérinaire.

 

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« La luzerne n’a jamais été aussi chère avec un prix actuel de 70 DH la botte contre 40 DH il y a un an. La paille était à 10 DH il y a quelques mois, aujourd’hui elle est à 20 DH. Quant au maïs, il était à 0,70 DH/kg il y a un an et aujourd’hui il s’élève environ à 1,20 DH/kg », précise-t-il.

Les femmes de la coopérative Meskinia témoignent leur détresse. « L’été dernier, on vendait nos bêtes à des prix convenables mais cette année, quand on est parti au souk, le prix proposé n’a pas dépassé les 100 DH par chèvre. Parfois, on ne trouve même pas d’acheteur », raconte Khadija Banni du village Laqraqra, à une quinzaine de kilomètres d’El Bourouj. Depuis six ou sept mois, la faible production de lait ne permet plus à la coopérative de verser les mensualités à ces éleveuses qui gagnaient entre 1.500 et 3.000 DH par mois.

« On vend normalement entre 20 et 30 litres de lait/jour. Cette année, on a arrêté la production de manière prématurée à cause de la sécheresse. On essaye de s’en sortir avec les moyens du bord, c’est un combat quotidien, et on demande au ministère des aides financières et logistiques pour remettre la coopérative sur pied », témoigne à son tour Naïma Drussi du même village.

Mais le gouvernement tarde à débloquer les subventions. Le président de la coordination régionale des produits agricoles, Mohamed Boukriz, a appelé cette semaine le gouvernement de Saâd-Eddine El Othmani à intervenir d’urgence pour venir en aide aux agriculteurs, dans des déclarations accordées au quotidien Al Massae.

Arsenal étatique et modes de production agricoles

Selon les prévisions du département agricole américain, la production de blé au Maroc devrait s’élever pour cette saison agricole à 40 millions de quintaux, soit 42% de moins par rapport à la saison précédente et 34% par rapport à la moyenne quinquennale. Si ce pronostic s’avère vrai, « l’impact sur l’économie dans son ensemble sera catastrophique », commente Najib Akesbi, économiste et professeur universitaire à l’Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II à Rabat.

Le spécialiste explique « l’arsenal étatique qui sera mis en place comme chaque année » pour aider les agriculteurs: « Premièrement, on va rationner l’eau des barrages; deuxièmement, on va importer et subventionner l’orge pour les animaux, troisièmement; on va demander au Crédit agricole de faire un effort pour aider les agriculteurs et quatrièmement, on va distribuer de l’eau dans les villages, mais j’espère qu’on n’en arrivera pas là ».

Un conseiller agricole public de la commune d’El Borouj confirme ces mesures qui « sont les mêmes chaque année » et qui n’ont pas encore été lancées par l’Etat pour cette saison. Pour le moment, les agriculteurs se débrouillent comme ils peuvent face à l’urgence de la situation, explique le conseiller de l’Office National du Conseil Agricole (ONCA) sous couvert d’anonymat. « Les régions du Nord peuvent peut-être encore se rattraper s’il pleut ce mois-ci, mais ici, c’est trop tard. Quand la culture atteint le stade de flétrissement, elle perd ses valeurs nutritives. Les éleveurs sortent alors leurs troupeaux pour brouter les sols. Dans l’urgence, ils utilisent leurs céréales comme fourrage alors que ce n’est pas leur usage de base », explique-t-il. « Ils peuvent aussi irriguer s’ils se trouvent à côté d’un puits mais c’est très rare. Ils attendent surtout les subventions sur l’orge ».

Cette deuxième année de sécheresse consécutive interroge sur les modes de production agricole. Le conseiller de l’ONCA conseille aux agriculteurs « de planifier l’alimentation et une gestion de stockage sur la durée » mais « chacun a ses possibilités et sa mentalité », déclare-t-il. « Le conseil commence à avoir un peu d’influence mais quand il y a un programme établi depuis les années 1980, c’est difficile de changer les habitudes ». « Ce programme a été calqué sur l’intensification des cultures céréalières alors que ça ne correspondait pas à cette région qui est une zone d’élevage », souligne notre interlocuteur qui préconise plutôt la production de plantes fourragères et de cultures alternatives adaptées à la sécheresse (comme l’Atriplex) pour donner à manger au bétail.

 

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De son côté, Mohamed Zouini, producteur de la région de Béni-Mellal compte beaucoup sur la station de dessalement d’eau de mer à Agadir, prévue pour 2021. Le problème de la sécheresse « ne durera pas avec cette station de dessalement », prévoit-t-il, citant l’exemple d’Israël dont 80% de l’eau utilisée provient de l’eau de mer dessalée.

« L’Etat devrait s’occuper de la paysannerie et non des grands possédants. Il s’agit de sécuriser les productions céréalières en essayant de faire correspondre les réalités climatiques avec les productions », conseille Akesbi qui souligne que les mois de janvier et février 2020 ont été les plus chauds depuis un siècle. « Le niveau pluviométrique dans ma région n’a jamais dépassé les 200 ml depuis 8 ans, à l’exception d’une année », renchérit le conseiller de l’ONCA.

« Jusqu’en 2015-2016, le Plan Maroc Vert a été épargnée par les contraintes climatiques, contrairement aux années 1990 durant lesquelles il y avait pratiquement une année sur deux de sécheresse. Depuis 2016-2018, on a l’impression qu’il y a un retour à un cycle sec notamment du aux changements climatiques », explique Najib Akesbi.

Climat: le problème de la circulation atmosphérique zonale

Contacté par H24Info, le climatologue Mohamed Saïd Karrouk indique qu’il y a trois niveaux de sécheresse: météorologique, agricole et hydrologique. « Aujourd’hui, je pense qu’on est toujours dans la sécheresse météorologique et que les petits agriculteurs sont touchés car ils ne profitent pas de l’irrigation et de l’eau des barrages », énonce-t-il.

L’expert explique les causes climatiques de cette sécheresse. « Nous sommes dans une situation de stabilité anticyclonique depuis longtemps et cela risque de persister puisqu’on est en même temps dans une circulation zonale. Depuis 2006 avec le réchauffement climatique, on était dans une circulation atmosphérique à suprématie méridienne, c’est-à-dire qu’au lieu de circuler de l’ouest vers l’est, l’air circule dans ce sens mais ondule vers le Nord et Sud ».

« Cette année, on assiste à une situation semblable à celle des années 1980 avec une circulation zonale qui laisse la partie chaude isolée au sud et inversement au nord donc il n’y a pas d’échange entre les milieux chauds et froids. De cette façon, il est impossible qu’il y ait des précipitations car il faudrait qu’il y ait une confrontation sur place de l’air chaud et de l’air froid qui vient du nord. Ce froid baisse la température et régule cette humidité, c’est de cette manière qu’il pleut. Cette confrontation ne s’est pas réalisée ou se réalise beaucoup plus au nord (en Espagne) que le Maroc, qui est en bilan énergétique excédentaire, c’est-à-dire qu’il fait chaud alors que nous sommes en plein hiver. On n’a pas vécu ça depuis 2005 », poursuit l’expert qui ajoute qu’en Espagne il y a la même sécheresse alors qu’au nord de la France, il neige. Le réchauffement climatique a poussé la zone de confrontation des airs vers le nord.

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