Vidéo. Avortement: le débat s’annonce houleux

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débat, avortement

Organisé mercredi dernier par l’université Mohammed VI des sciences de la santé, le Grand débat de la jeunesse a réuni des acteurs de la société civile et politique pour discuter de la question «avortement: où en est-on?» devant un parterre de 700 étudiants venus assister et participer à la rencontre.

 A la suite de l’affaire Hajar Raïssouni, le débat sur la dépénalisation ou non de l’avortement au Maroc s’est réactivé. La grâce royale de la jeune journaliste, concomitante à l’événement, n’a pas détendu le combat. Au contraire. Pour la majorité des intervenants favorable à une vision progressiste, c’est le début de la victoire. «On estime que c’est une avancée, une victoire qui nous a donné encore plus la hargne de continuer. A l’avenir, on ne veut plus avoir besoin de passer par une grâce royale», s’exclame Sonia Terrab, écrivaine et membre du collectif Hors-la-loi créé en réaction à cette affaire, et engagé pour la dépénalisation de l’avortement et autres «lois obsolètes».

Une appréciation de la société aux antipodes de celle du chroniqueur radio et géopolitologue Rachid Achachi pour qui «la racine du problème est la pauvreté et les inégalités». Cofondateur du mouvement d’idées traditionaliste Ribat al Hikma, il est pour un avortement d’exception (en cas de danger pour la mère, viol ou pathologie très grave diagnostiquée sur le fœtus). «Hormis ces trois cas, on est dans le cadre d’un avortement de confort revendiqué surtout par des bourgeois ou des embourgeoisés en tant que modernistes occidentalistes». La gauche, en s’investissant massivement dans cette cause, prouve une nouvelle fois qu’elle «a déserté le terrain de la lutte des classes pour envahir le terrain de la lutte horizontale de la norme et de la marge» explique le chercheur en anthropologie et sociologie.

«Il faut arrêter de prendre les pauvres en otage et en alibi pour des revendications totalement libertaires. L‘avortement est une question trop sérieuse pour être laissée aux libéraux et aux modernistes, on peut la traiter entre nous, entre Marocains, en partant d’un logiciel marocain et de valeurs marocaines», tonne-t-il. En ce sens, il explique que les Marocains ne sont pas modernes mais «épimodernes» ainsi que «colonisés» culturellement. «En tant que traditionnels, nous considérons que le sujet est collectif et non individuel, ce qui est l’émanation de la modernité», argumente Rachid Achachi qui précise que «notre corps ne nous appartient pas, on l’habite, c’est une responsabilité». «Quand on dit « mon corps m’appartient », on établit un rapport marchand avec son propre corps et c’est dégradant pour l’homme comme la femme».

 

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Des arguments apparemment incompris et tournés en dérision par une partie de l’assemblée et des intervenants qui ont interpellé Achachi sur ce point. «Nous avons besoin de libérer les énergies dans ce pays et arrêter d’être torturés, nous le sommes suffisamment Si Achachi pour ne pas nous poser de questions encore plus philosophiques. Il ne s’agit pas de prendre principalement pour cibles les porte-drapeaux, en tout cas ce qu’il en reste, des questions des libertés, de démocratie et de libération de la femme» déclare Nabil Benabdellah, secrétaire général du PPS favorable à la légalisation de «l’interruption volontaire de grossesse» dans des conditions médicalisées. Et d’ajouter: «Nous avons tous été hors-la-loi. Beaucoup d’entre vous le sont encore certainement, ça fait partie de la vie. C’est comme ça que nous avons vécu notre Maroc à une certaine période et nous sommes désolés de constater que les choses, au lieu d’avancer, reculent car il n’y a pas suffisamment de personnes qui portent cette parole».

Être hors-la-loi, une qualité revendiquée également par Mehdi Bensaid, membre du bureau fédéral du PAM qui s’est confié à l’assistance. «Je suis mariée et j’ai une petite fille. Avant de me marier, ma femme n’était pas ma femme, j’étais hors-la-loi…et pendant trois ans. Et j’en connais d’autres ici !», lance le député sous un tonnerre d’applaudissements. Puis, en s’adressant à Rachid Achachi: «On ne peut pas dire que notre corps ne nous appartient pas et qu’il est communautaire, ton corps c’est ton corps khoya. On ne peut pas imposer des lois à tout le monde, ce n’est pas l’Etat de droit. Et ce n’est pas question d’Occident contre Orient. Dans les pays les plus démocratiques aujourd’hui, occidentaux, il y a des franges conservatrices et progressistes, comme aux Etats Unis par exemple. Pourtant ce n’est pas l’Orient, donc il s’agit d’un débat qui existe dans les différentes sociétés». Pour le représentant du PAM, il faut ouvrir le débat sur l’avortement avec la société pour «expliquer par étapes pourquoi on veut abroger cette loi».

 

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De son côté, Nabila Mounib, secrétaire générale du PSU, décrit le Maroc comme une «société patriarcale», subissant «un système de domination tous azimuts du masculin sur le féminin que ce soit au niveau politique, économique, social ou culturel». Elle affirme «ne pas faire partie de la gauche libertaire qu’évoque Rachid Achachi» et déclare être, en tant que représentante de son parti, «contre la famille sans père, contre le PACS mais pour le respect des libertés». «Je ne suis pas moderniste mais je suis altermondialiste, écolo et pour une société dans laquelle on explique que l’homme est l’égal de la femme». Favorable à la légalisation de «l’IVG», elle appelle les jeunes à «investir les institutions pour faire changer la loi, s’intéresser à la politique et ne pas voter pour les misogynes qui considèrent que la femme doit rester sous tutelle».

Pour rappel, le roi Mohamed VI a gracié le 16 octobre dernier la journaliste Hajar Raïssouni, condamnée fin septembre à un an de prison pour avortement illégal et relations sexuelles hors mariage. Cette grâce royale s’inscrit «dans le cadre de la compassion et la clémence reconnues au souverain» et du «souci» du roi de «préserver l’avenir des deux fiancés qui comptaient fonder une famille conformément aux préceptes religieux et à la loi, malgré l’erreur qu’ils auraient commise et qui a conduit à cette poursuite judiciaire», lit-on dans le communiqué du ministère de la Justice.

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