Traitées à domicile, trois porteuses du coronavirus témoignent

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Début août le ministre de la Santé, Khalid Ait Taleb annonçait le traitement à domicile des patients asymptomatiques, porteurs du nouveau coronavirus. Un mois plus tard, des patients nous livrent leurs témoignages et leurs craintes face aux lacunes de ce protocole. Témoignages.

Au Maroc la prise en charge des cas asymptomatiques se fait à domicile depuis un mois, jour pour jour. Ces patients sont mis «sous traitement de 1ère intention (chloroquine ou sulfate d’hydroxychloroquine) pendant une durée de 7 jours à domicile, en l’absence de facteurs de risques».

L’isolement à domicile se poursuit durant sept jours supplémentaires, soit un total de 14 jours d’isolement. Durant toute cette période, «un suivi médical rigoureux de l’état de santé doit être assuré, afin de détecter précocement tout signe d’aggravation ou effet indésirable du traitement», soulignait la circulaire du ministère de la Santé, annonçant cette nouveauté.

La décision a été prise pour désengorger les hôpitaux du royaume débordé depuis mi-juillet avec la recrudescence des cas à Casablanca, Marrakech, Tanger et Fès. Cette transition de l’hôpital vers le traitement à domicile, Khadija, trentenaire habitant à Tanger l’a vécue. Khadija était ce qu’on appelle un cas contact, soit toute personne ne présentant dans un premier temps aucun symptôme mais qui a été exposée à un cas confirmé (2 jours avant et pendant la phase symptomatique).

 

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«Les premiers symptômes se sont manifestés le 27 juillet. Mon amie qui a été testée avant moi a fourni une liste de personnes avec qui elle était en contact. Je me suis rendue à l’hôpital en fin de journée et j’ai pu me faire dépister. Le vendredi 31 juillet j’ai su que j’étais également porteuse du virus», se remémore Khadija. « La période d’incubation aura duré trois jours chez moi, puis j’ai commencé à avoir les premiers symptômes, qui ont été au tout début la perte de l’odorat et du goût, puis une petite fièvre, de la toux, énormément de courbatures et une fatigue intense», poursuit-elle.

De l’hôpital à la maison

«Mon frère, qui a été testé positif également et moi, avons été contactés par plusieurs services, notamment le Moqadem et les pompiers, qui eux s’occupaient des transferts. On nous a demandé de fournir une liste des personnes avec lesquelles on a été en contact. Le lendemain, un pompier s’est rendu chez nous et a expliqué le protocole à nos proches en leur demandant de se confiner à la maison. On a été conduits à l’hôpital de campagne installé après la hausse des cas à Tanger. On a attendu plusieurs heures dehors avant qu’ils nous fassent rentrer. Il y avait des gendarmes, des membres du croissant rouge et un médecin sur place. On nous a aligné et on nous questionnait sur notre âge, nos antécédents médicaux et si l’on suivait ou non un traitement. Par la suite, ils ont procédé à une prise de sang et nous avons immédiatement commencé le traitement», nous confie Khadija.

L’expérience de Khadija dans cet hôpital de campagne est plutôt mitigée, nous explique-t-elle. «L’hôpital est une sorte de tente géante avec 160 lits. Des fois nous avions peur qu’il y ait un vol ou autre. Les sanitaires étaient très loin, alors que nous devions nous y rendre à plusieurs reprises parce qu’on doit boire beaucoup d’eau lorsqu’on suit un traitement à la chloroquine. Les repas étaient vraiment irréprochables et l’espace à l’intérieur de la tente était très bien aménagé, même mieux que dans un vrai hôpital», nous décrit notre interlocutrice.

Quatre jours après leur admission à l’hôpital, la circulaire signée par le ministre, Khalid Ait Taleb, concernant la prise en charge des cas asymptomatiques, est adressée aux directeurs régionaux de la Santé. «Les responsables dans le campement nous ont apporté le jour même un papier qu’on pouvait remplir si on souhaitait poursuivre le traitement à domicile», une option pour laquelle Khadija et son frère n’y ont pas réfléchit à deux fois. De là, une organisation quasi-militaire a été planifiée par la famille pour éviter toute autre contamination.

 

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«À la maison on s’est organisés de façon à ce que nous ne soyons pas en contact avec les autres. Nous avons condamné une chambre où l’on est resté mon frère et moi confinés. Ma mère nous ramenait nos repas et désinfectait tout à chaque utilisation. Tout le monde portait un masque à la maison, c’était assez bizarre. On ne sortait pas et notre salle de bain était interdite aux autres. C’était difficile certes, mais nous avons continué à pratiquer la distanciation sociale pendant quatre jours supplémentaires, bien que nous ne soyons plus contagieux», affirme Khadija.

Aucun suivi médical

Un mois après avoir finalisé son traitement, Khadija n’a toujours pas entièrement récupéré le sens de l’odorat, ni celui du goût et dit encore souffrir constamment d’une forte fatigue. Pire encore, Khadija affirme n’avoir bénéficié d’aucun suivi médical. «Je n’ai vu aucun médecin. La seule fois où on a été en contact avec un médecin c’était le premier jour au campement, puis plus rien», s’étonne-t-elle.

Même consternation chez Jamila, habitante à Marrakech, qui dénonce également n’avoir bénéficié d’aucun suivi. Jamila a été contaminée à travers ses enfants, après qu’eux-mêmes l’aient été en France. « Le 28 août, l’un de mes deux enfants a été déclaré positif. Je me suis donc directement dirigée vers la Mamounia et de là nous avons entamé notre parcours du combattant, j’ai vraiment dû batailler pour être dépistée. J’ai finalement réussi et 48 heures plus tard on m’a annoncé que j’étais positive à mon tour», nous confit-elle.

«Un médecin de la famille m’avait alors déjà conseillé d’entamer le traitement. On m’a par la suite demandé de fournir mes cas contacts et aussi de pouvoir me déplacer à la maison pour pouvoir informer et diagnostiquer mes proches. Nous avons par contre refusé, mon mari ne voulant pas être enfermé et être contraint à dépister tous les employés de son entreprise (…)  J’ai emmené le lendemain mes cas contacts à la Mamounia mais ils nous ont refusé car nous étions trop nombreux», confie notre interlocutrice.

 

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Durant la prise du traitement, Jamila n’a rencontré aucun médecin. «Je n’ai bénéficié d’aucun suivi. On est livrés à nous-mêmes. La première semaine je me suis donc confinée, mais à la maison c’était pratiquement impossible de respecter la distanciation sociale. Avec le temps j’ai retrouvé mes sens du goût et de l’odorat, mais je ne sais toujours pas si je suis guérie. Je me demande aussi comment ils déclarent les gens guéris, alors qu’il n’y a  aucun suivi. Comment peuvent-ils savoir si nous sommes réellement guéris ?», s’interroge notre interlocutrice.

«Le public fait mieux que le privé»

La période de traitement bientôt achevée, Fatine et son mari, installés à Casablanca ne savent pas vers qui se diriger non plus. Leur parcours du combattant débute fin août, alors que Casablanca fait face au pic des contaminations. Le couple fait le choix alors de se rendre dans une clinique privée.

«Mon mari et moi avons été contaminés en même temps. J’ai commencé à me sentir fatiguée dès le weekend, mardi j’ai perdu le sens de l’odorat et du goût. Je me suis dirigée le mardi 25 août vers un laboratoire privé pour faire le test, le lendemain le test s’est avéré négatif alors que j’avais déjà plusieurs symptômes. Le lendemain, mon mari développait lui aussi quelques symptômes qui comme pour moi s’apparentaient à une grippe légère. On a été tous les deux à la clinique le 1er septembre. On a dû faire une première consultation à 600 dirhams juste pour faire le test PCR pour lequel on a dû payer 750 dirhams. On a également fait un scanner thoracique puis des analyses, tout ça pour la somme de 5.000 dirhams chacun», relate Fatine.

Malgré deux tests négatifs, les symptômes s’accentuaient de jour en jour, se souvient Fatine. Mardi 8 septembre, Fatine décide de faire un test sérologique, qui s’avère finalement positif. «Mon expérience à la clinique a vraiment été catastrophique. À comparer avec mon expérience chez le public (…) j’ai été agréablement surprise de la prestation. C’était très bien organisé et je me sentais protégée et en plus je n’ai rien du payer», témoigne notre interlocutrice.

 

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Fatine se rend tout même à nouveau chez la fameuse clinique pour qu’ils puissent analyser ses clichés au scanner. Après avoir bataillé, elle est reçue par le docteur qui l’informe du protocole à suivre et lui remet les médicaments à prendre, à savoir de la chloroquine, de l’azithromycine, de la vitamine C et du zinc gratuitement. «Mais depuis qu’on nous a donné ce protocole, personne ne nous a appelé pour savoir comment nous nous portions, bien que nous ayons dû payer une petite somme pour ce qu’ils ont appelé le suivi à domicile».

Un mois après la mise en place de ce nouveau protocole, des interrogations subsistent quant à la pertinence du suivi à domicile. D’ailleurs nos trois interlocutrices insistent sur la phase post-traitement où le patient devrait être mieux outillé et épaulé.

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