Fouad Amraoui: « Le dessalement de l’eau de mer n’est plus un choix, mais une obligation désormais »

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Fouad Amraoui, professeur-chercheur en hydrologie à l’université Hassan-II de Casablanca et président de l’Association de Recherche Action pour le Développement Durable./DR

Le Maroc est l’un des pays les plus touchés par le stress hydrique dans le monde. Et les conséquences commencent à se faire sentir dans des grandes villes comme Agadir dont les habitants subissent ces derniers mois des coupures d’eau. Le royaume s’est lancé dans d’importants projets pour résoudre ce problème.

Interrogé par H24Info, Fouad Amraoui, professeur chercheur en hydrologie à l’université Hassan-II de Casablanca et président de l’Association de Recherche Action pour le Développement Durable nous éclaire nous éclaire sur la situation actuelle.

 

H24Info: Le Maroc figure parmi les pays les plus touchés par le stress hydrique. Nous sommes désormais au-dessous du seuil de 1.000 m3/hab/an, admis comme seuil au-dessous duquel des pénuries et des crises latentes d’eau apparaissent. Concrètement comment cela se traduit-il ?

Fouad Amraoui: Aujourd’hui en moyenne chaque Marocain consomme 600 m³ d’eau par an. Quand la barre est au-dessous de 1000 m³, nous franchissons ce que nous appelons le stress hydrique et en dessous de 500 m³, nous tombons dans la pénurie. Ces chiffres-là sont une moyenne générale, mais dans certaines régions, nous sommes certainement en dessous de ces valeurs-là, et nous sommes peut-être mêmes à 200 m³ par habitant et par an, surtout dans les régions sud.

La mauvaise répartition de l’eau à travers le pays a pour conséquences une pénurie dans des régions, notamment dans la partie Sud et Est du pays qui manquent terriblement d’eau, surtout durant les années sèches. En plus de ces irrégularités spatiales, nous faisons aussi face à une disparité temporelle, puisque les ressources en eau sont très irrégulières d’une année à l’autre. Le régime pluviométrique est lui aussi irrégulier et réparti uniquement sur quatre ou cinq mois. Le restant de l’année, plus une goutte d’eau ne tombe, ce qui pousse le Maroc à stocker son eau pour pouvoir satisfaire ses besoins.

 

Le royaume dispose actuellement d’une capacité de réserves en eau de 18 milliards de m³ pour 2020 et ambitionne de l’augmenter à 27 milliards de m³ en 2027. Toutefois ces barrages n’atteignent plus leur capacité optimale…

En effet, nous avons des barrages, mais ils ne sont pas toujours remplis. Nous avons une capacité de stockage de 18 milliards de m³. Et même lorsque nous sommes sur une bonne année pluvieuse, nous n’arrivons pas à remplir plus de 15 milliards de m³.

Concernant le plan national de l’eau 2020-2027, il est prévu d’atteindre une capacité de stockage totale de 27 milliards de m³. L’une des voies possibles est de continuer à construire des barrages, mais nous ne pouvons plus construire de grands barrages, étant donné que tous les sites ont été exploités. Nous devrons donc construire de petits ou moyens barrages.

Ce ne sera pas de l’argent perdu. En supposant que nous bénéficions de deux à trois années pluvieuses, on aura tout à gagner si nous disposons de ces barrages, sinon, ce sera un énorme gâchis. Ces barrages permettront donc de stocker et d’assurer les besoins pendant deux ou trois années ce qui n’est pas négligeable. La construction de barrages s’impose donc et devient impérative, mais à côté de cela, il ne faut pas se dire que c’est l’unique solution, car elle devra être combinée avec d’autres. Des compétences doivent être déployées pour réussir ce plan d’envergure, pour en tirer aussi le meilleur rendement possible.

 

Les coupures d’eau à Agadir depuis quelques mois pourraient-elles s’étendre à  d’autres villes ?

Le Maroc est un très bon élève dans la gestion de ses ressources en eau, dans les organismes internationaux, il est même cité en exemple, car lorsque vous allez dans n’importe quelle vie marocaine vous ouvrez un robinet et vous avez de l’eau de grande qualité et accessible toute l’année, 24h24. Alors certes ce n’est plus le cas à Agadir ces deniers mois, où des coupures sont d’eau sont faites de 22h du soir à 5 h du matin, mais c’est une première dans la ville.

Toutes les villes sont alimentées en eau qui respectent d’ailleurs les règles de l’OMS. Ceci est un luxe, car dans plusieurs pays ce n’est pas le cas. Certes nous nous comparons souvent à des pays européens, mais si nous nous comparons à des pays qui sont au même niveau de développement, alors le Maroc a réussi la gestion de ses ressources en eau. La construction des barrages a d’ailleurs été une excellente politique qui a permis de sauver plusieurs années de sécheresse.

 

Lire aussi: Ressources hydriques en baisse: plusieurs régions du royaume souffrent de pénurie d’eau

 

Néanmoins, la politique qui a été menée jusqu’à aujourd’hui a montré ses limites et désormais, il faudra être plus ferme. Le Maroc a d’ailleurs mis en place plusieurs projets de développement, notamment touristiques et agricoles, industriels, etc. qui sont des secteurs très gourmands en eau. C’est donc tout à fait normal qu’une saturation se manifeste. Autoriser des cultures qui demandent beaucoup d’eau n’a pas été une bonne politique non plus. Il faut donc pouvoir corriger ces dysfonctionnements pour que le pays puisse poursuivre son développement sereinement.

 

Le Maroc multiplie les projets de dessalement d’eau de mer. Autrefois coûteuse, cette voie est-elle intéressante pour le pays ?

Le dessalement ne date pas d’hier au Maroc. Depuis le début des années 1990 le Maroc a entrepris cette voie-là, à travers tout d’abord la ville de Laâyoune qui est alimentée en eau à partir d’une usine de dessalement d’eau de mer. Par la suite, la même expérience a été menée dans d’autres villes comme Boujdour, Tan Tan et Dakhla. Aujourd’hui, une grande usine est en construction à Agadir, une autre est programmée à Safi et une dernière est quasiment prête à Al Hoceima.

La ville de Casablanca sera aussi dotée avant 2027 d’une grande usine de dessalement d’eau de mer, qui sera la plus grande d’Afrique et qui devrait traiter 300 millions de m³. La ville consomme actuellement 200 millions de m³, mais ses besoins devraient s’accroitre d’ici là.

Le dessalement de l’eau de mer n’est plus un choix, mais une obligation désormais, sinon nous nous retrouverons à avoir des coupures d’eau comme à Agadir. Si on veut disposer de l’eau dans nos robinets, nous sommes dans l’obligation d’entamer dans les plus brefs délais ces travaux, pour que ces usines soient opérationnelles dans trois-quatre ans et servent d’appoint aux systèmes d’approvisionnement actuels.

Le dessalement est d’ailleurs intéressant du point de vue de la disponibilité de l’eau de mer, deuxièmement la technique a beaucoup évolué et permet de produire une eau à un coût correct. Début des années 1990, le m³ coûtait environ 50 DH à Laâyoune par exemple, alors que de nos jours, nous arrivons à produire de l’eau dessalée à 10 DH le m³.

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