Salaires, héritage, représentativité politique… les femmes toujours victimes de discriminations au Maroc

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Salaires, représentativité politique, droit à l’avortement … Les inégalités subies par les femmes marocaines sont nombreuses. Militantes et féministes engagées, Nouzha Skalli, Khadija Rouggany et Siham Benchekroun font le point sur la situation des femmes marocaines. Décryptage.

En cette journée internationale des droits des femmes, il est important de se rappeler que le combat pour l’égalité homme-femme n’est pas révolu. Si la constitution de 2011 proclame l’égalité et la parité, les discriminations envers les femmes persistent toujours.

« Les offensives idéologiques visant les droits des femmes font beaucoup de dégâts, comme le mariage des mineures, le mariage informel, la polygamie. Cela contrecarre les efforts déployés en matière de scolarisation des filles et de l’accès des femmes à l’autonomisation économique », déclare Nouzha Skalli, militante des droits des femmes et ancienne ministre du Développement social, de la famille et de la solidarité.

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« Les femmes subissent des inégalités à toutes les étapes de leur vie, de la naissance à la mort… L’accueil d’un individu mâle dans une famille, son éducation, son accès à la scolarité, puis plus tard au travail, au patrimoine, etc, sont toujours plus « avantageux » que ceux d’un individu féminin », estime pour sa part Siham Benchekroun, romancière qui a fait de la «révision de l’héritage des femmes » son combat.

Inégalités dans le domaine de l’emploi

Au Maroc, seules 24% des femmes sont considérées comme actives, un taux en régression, puisqu’il était de 30% en 1999. Le rapport du FMI considère d’ailleurs que le manque à gagner économique, du aux discriminations à l’égard des femmes, peut atteindre jusqu’à 27% du PIB.

Et selon des chiffres datant de 2017 de la Direction des Etudes et des Prévisions Financières (DEPF) et OCP Policy Center, les femmes gagnent 17% de moins que les hommes.  Elles sont plus vulnérables au chômage: le taux moyen de chômage étant de 22,8% pour les femmes contre 14,9% pour les hommes, soit un écart de près de 8 points.

Nouzha Skalli déplore à ce titre que « l’autorité pour la parité et la lutte contre toutes forme de discrimination, prévue par la Constitution de 2011, n’a toujours pas été mise en place ».

Inégalités dans l’héritage

L’héritage représente un des volets les plus discriminatoires envers la femme. Plusieurs intellectuels et militants associatifs se sont mobilisés pour une révision des règles successorales, en vain. Discuter des inégalités dans l’héritage est toujours malvenu. Pour preuve, l’intellectuelle Asma Lamrabet a du démissionner il y a un an maintenant de la Rabita Mohammedia des Oulémas pour avoir défendu l’égalité homme-femme dans l’héritage.

« Le frère reçoit le double de la part de la sœur, et le veuf reçoit le double de celle de la veuve. Par ailleurs, les héritiers de sexe mâle sont des héritiers universels tandis que les femmes héritent toujours de parts fixes. Cela veut dire que lorsqu’ils sont seuls, les hommes peuvent recevoir la totalité de la succession, les femmes seules, jamais », explique Siham Benchekroun qui est d’ailleurs auteure du livre « héritage des femmes, réflexion pluridisciplinaire sur l’héritage ».

Et d’ajouter: « Une des conséquences est que si les filles d’un défunt n’ont pas de frères, et bien des parents viendront participer à l’héritage: des cousins, des oncles, etc. C’est la règle du ta’sib ».

Inégalités législatives

Plusieurs inégalités peuvent être observées dans l’arsenal juridique marocain. Dans le code de la famille par exemple, il y a beaucoup d’inégalités concernant les droits mutuels comme la pension ou la garde des enfants. L’article autorisant le mariage des mineurs s’applique par ailleurs uniquement sur les mineurs filles et pas sur les mineurs de sexe masculin. Ajoutons à cela que le livret de famille comprend toujours 4 pages pour les épouses et une seule pour les « chefs de famille », bien que la polygamie est soumise à plusieurs conditions depuis 2004. Une situation qui vulgariserait presque cette pratique.

« Il y a également des inégalités dans les procédures de divorce. Lkholaâ, même s’il est rarement pratiqué, implique que la femme « achète son droit de divorce », c’est presque une sorte de chantage. Les dispositions de l’affiliation et dans le système successoral ne sont pas égales non plus … », affirme Khadija Rouggany, avocate et membre de l’Association marocaine des droits de la femme.

Pour ce qui est des violences faites aux femmes, les lois existantes sont dans la plupart incomplètes ou ambiguës. Il n’existe par exemple pas d’article qui incrimine explicitement le viol conjugal, et bien que l’article 489 incrimine toute relation sexuelle imposée, les acteurs appliquant la loi ne s’y fient pas.

La loi 103-13 contre la violence faite aux femmes a quant à elle été critiquée par plusieurs militants associatifs, qui la jugent pas claire et estiment qu’elle devrait être revue vu qu’elle dépend d’un code pénal datant de 1962.

Lire aussi: La loi contre les violences faites aux femmes entre (enfin) en vigueur

« De plus, ses définitions ne sont pas larges et ne sont pas en conformité avec la déclaration universelle de lutte contre la violence à l’égard des femme. Cette loi n’a par ailleurs pas puni tous les actes de violence a l’égard des femmes à savoir la polygamie, le mariage des mineurs et le harcèlement moral qui est puni par le code pénal français », précise-t-elle.

Droit à l’avortement

L’avortement constitue toujours une infraction pénale. Il n’est autorisé aujourd’hui que si la santé d’une femme mariée en dépend, et est conditionné par l’accord du mari. Au delà de ça, une femme qui avorte risque la prison ainsi que les professionnels de la santé qui l’ont aidée. Pourtant en 2015, le roi avait accueilli à bras ouverts la réforme de la loi sur l’avortement demandant à Mustapha Ramid, Ahmed Toufiq et Driss El Yazami de se pencher sur le sujet. Un projet de loi (10-16) en avait découlé, élargissant l’autorisation aux femmes atteinte de troubles mentaux, victimes de viols ou d’incestes et enfin en cas de malformation foetale.

Le projet de loi qui n’est toujours pas entré en vigueur a toutefois omis de préserver le bien-être social et psychique des femmes, dont les mères célibataires ou celles ayant eu une grossesse indésirée. « De plus, l’avortement pour les victimes de viols ou d’incestes dépend des résultats des enquêtes judiciaires ouvertes. En découlera alors une procédure longue qui rendra impossible l’avortement, vu que dépassé une certaine période, ce dernier mettra en péril la santé de la femme », rappelle Khadija Rouggany.

Quant au retard de la mise en vigueur du projet de loi, Khadija Rouggany rassure: « Le projet de loi autorisant l’avortement dans des cas spécifiques devrait être discuté très prochainement devant la première chambre ».

La représentation politique

Au Maroc, la représentation politique des femmes est toujours très faible avec une seule ministre et sept secrétaires d’Etat. Au niveau des collectivités locales, ce n’est pas mieux, malgré des taux de féminisation honorable dans les communes. Au niveau des conseils régionaux, aucune région n’est présidée par une femme et moins de 1% des communes sont dirigées par des femmes. Une situation qui ne va guère en harmonie avec les dispositions de la constitution de 2011 qui insiste sur la parité.

« Nous sommes loin de l’ère du gouvernement en 2007, où le roi avait nommé sept femmes au gouvernement dont pour la première et unique fois, 5 femmes ministres à plein titre! Entre hier et aujourd’hui et malgré quelques progrès ici et là, on assiste quand même clairement à une régression », conclut Nouzha Skalli.

 

 

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