Rentrée scolaire: e-learning ou présentiel? Les parents partagés entre colère et désarroi (témoignages)

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Le ministère de l’Education a finalement adopté l’enseignement à distance comme modèle pédagogique principal pour la rentrée scolaire 2020-2021 qui débutera le 7 septembre, le présentiel restant une option. Qu’en pensent les parents d’élèves et que comptent-ils faire? Témoignages. 

L’enseignement à distance (EAD) sera adopté comme modèle pédagogique au début de l’année scolaire 2020-2021 qui commence le 7 septembre, tous cycles et niveaux confondus, dans l’ensemble des établissements publics et privés ainsi que dans les écoles des missions étrangères, a annoncé samedi le ministère de l’Éducation nationale, de la formation professionnelle, de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

«Le confinement a prouvé que l’EAD était inopérant»

«Je ne crois pas au système de l’EAD. L’un de mes fils rentre au CP, il a 6 ans, pensez-vous qu’il pourra suivre tout seul en EAD devant un ordinateur ou une tablette? Impossible. A cet âge, même quand ils sont à l’école, les enseignants bataillent pour les maintenir calmes et concentrés», témoigne Hicham, exaspéré. Pour le journaliste avec deux enfants en école primaire privée marocaine,  les deux alternatives proposées par le ministère «ne sont pas concluantes» et se présentent comme «deux fausses bonnes solutions».

«Pour l’EAD, il faut une bonne architecture de réseaux et des équipements technologiques pour les enfants. Les professeurs n’ont ni la technicité ni l’habitude, les élèves non plus. De plus, comment voulez-vous que les parents s’improvisent professeurs à la maison du jour au lendemain? On n’a pas le savoir-faire. Je ne peux pas faire deux boulots», s’insurge-t-il, insistant sur «l’échec total de l’EAD» au regard de l’expérience du troisième trimestre de l’an dernier. «Mon fils en 5e année primaire n’a rien appris pendant les cours du confinement, ils n’ont fait que du réchauffé».

Un avis que partage Karima, mère au foyer avec deux filles au collège et lycée français: «L’EAD pendant le confinement a prouvé que ce système était inopérant. Le professeur principal de l’une de mes filles ne s’est jamais manifesté. Aujourd’hui, il s’agit d’une rentrée donc les enfants ne connaissent pas leur classe ni leurs professeurs. Côté technique, je crains aussi les bugs wifi ou autres, c’est tout une organisation».

Même son de cloche du côté d’Asma, mère de deux enfants niveau primaire à l’école privée marocaine. «S’ils prévoient des cours à distance via Whatsapp, il est hors de question que je scolarise mes enfants. Je ferai alors l’IEF (instruction en famille, ndlr)», a-t-elle décidé, après avoir eu une mauvaise expérience pendant les derniers mois de confinement. «L’enseignante avait du mal à gérer car les enfants sont jeunes. Certains parents non plus n’y arrivaient pas. Ça braillait énormément. Pour les jeunes enfants, ce n’était vraiment pas gérable», témoigne-t-elle.

 

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Dans son communiqué, le ministère de l’Education nationale propose deux alternatives aux parents d’élèves: l’EAD qui reste le système général adopté, ou le présentiel, sachant qu’a priori «un mécanisme sera établi pour permettre aux familles de faire un tel choix».

«Ce n’est pas maintenant qu’ils vont trouver ce mécanisme. Il faudrait un professeur pour le présentiel et un professeur pour l’EAD, donc il faudrait un recrutement en plus. Je suis persuadé que même le ministère et le corps enseignant ne savent pas vers quoi ils avancent», commente Wassim, sceptique. «Comment le professeur va-t-il s’organiser pour gérer simultanément des élèves présents physiquement et d’autres à distance?», s’interroge ce producteur, père d’une fille de 2 ans et demi, encore à la crèche.

«Un système d’alternance de groupes d’élèves en présentiel ne marchera jamais. Il faudrait 1.000 professeurs pour faire ça. L’année dernière, j’ai assisté à de gros coups de colère d’enseignants parce que les petits se levaient, chantaient, jouaient…», le rejoint Hicham.

De son côté, Wassim a opté pour sa fille pour un enseignant de cours d’éveil à domicile, mutualisé avec deux autres parents. «Ça diminue un peu les risques par rapport à la crèche, même si on n’est jamais à l’abri totalement», assure-t-il.

«Remettre les enfants à l’école, c’est du suicide»

Le risque sanitaire, c’est la raison pour laquelle l’alternative du présentiel n’est pas non plus raisonnable, selon Hicham. Le ministère a pourtant prévu d’instaurer dans les écoles «un protocole sanitaire strict prenant en compte les mesures préventives prises par les autorités sanitaires», notamment «le port obligatoire des masques à partir de la cinquième année du primaire, le lavage régulier des mains, le respect de la distanciation physique par la réduction du nombre d’élèves en classes, la désinfection des différentes structures et dépendances scolaires».

«A-t-on des garanties qu’une école va respecter la distanciation sociale ? En a-t-elle seulement les moyens? C’est impossible. Et qui va contrôler? Depuis que les autorités ont relâché un peu le confinement, on a bien vu ce qu’il s’est passé dans les usines, les foyers de contamination qui on germé et le manque de contrôle. Les enfants sont potentiellement vecteurs de la maladie donc c’est du suicide», s’indigne ce père de deux enfants en primaire qui n’a pas encore décidé de leur sort, et croit par ailleurs en un «report d’au moins un mois» de la date de la rentrée.

Entre le risque sanitaire du présentiel et l’inefficacité de l’EAD, ce parent d’élève suggère le report de la rentrée à janvier prochain, voire même une année blanche. Ce report en janvier prochain est le choix de 76,84% des 7.448 parents d’élèves interrogés selon un sondage mené récemment par l’Union des parents et des tuteurs d’élèves des établissements d’enseignement privé au Maroc, relayé par le quotidien Al Ahdath Al Maghribia. Ils ne sont toutefois qu’1,40% à solliciter une année blanche.

«Une année, c’est rien dans la vie d’une nation, si on veut construire sur un pavé civilisationnel et épargner la vie des parents. Si mon enfant me transmet le covid-19, j’attaquerai en justice l’école, le ministre et l’Etat, car c’est irresponsable de remettre les enfants à l’école dans ce contexte sanitaire», poursuit Hicham qui émet l’idée de «revenir à un confinement radical jusqu’à janvier, le temps de faire baisser les cas».

De son côté, Karima préfère pour ses enfants l’EAD, «seulement par sécurité, car après l’été et les fêtes, les gens se sont trop mélangés. Il y a beaucoup de cas asymptomatiques», avance-t-elle. «Il ne fallait pas autoriser l’Aïd, ni laisser les gens voyager. Maintenant, c’est nous, le peuple qui le payons», confirme Hicham, avant d’ajouter: «On te faire croire que tu as le choix, alors qu’en réalité, tu n’as pas le choix».

« Sauver les écoles privées »

En effet, si l’enseignement public comme privé ainsi que les missions étrangères sont tous logés à la même enseigne, certains parents en fonction de leur situation professionnelle ou économique n’auront pas d’autre choix que de mettre leur enfant à l’école en présentiel. «Comment vont s’organiser les gens qui travaillent et qui ont des enfants assez jeunes comme en primaire? Ils ne vont pas pouvoir laisser leur enfant tout seul à la maison. Et les enfants qui habitent dans des coins reculés et qui choisissent l’EAD? Ils n’ont même pas d’ordinateur ou d’internet, voire d’électricité», remarque Wassim pour qui «au final, il s’agit davantage d’un combat social qu’autre chose». «Tu es plus exposé au virus quand tu viens d’une couche sociale défavorisée», regrette-t-il.

La classe moyenne qui scolarise ses enfants en écoles privées peine aussi à supporter les frais de scolarité, pour un service jugé par beaucoup comme déprécié et ne respectant pas les engagements contractuels. «On demande à la classe moyenne, qu’on a vraiment essorée, de sauver les écoles privées. Je ne suis pas d’accord car l’école privée en retour n’est même pas capable de faire un geste financier», proteste Hicham, convaincu que «le privé n’est pas en mesure d’assumer l’EAD, car non préparé aux nouvelles méthodes».

 

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«Le problème, c’est qu’on nous demande de payer la totalité de la scolarité», poursuit Asma qui déscolarisera ses enfants de son établissement actuel s’il s’avère que les cours à distance sont donnés par WhatsApp et que la cotisation totale est réclamée. Sans compter les frais d’ordinateur supplémentaire, d’impression de documents…qu’ont du supporter également les parents avec l’EAD.

«L’année dernière, pendant le confinement, nous avons demandé à ne payer que la moitié des cotisations mensuelles, l’école a refusé, mais après moult négociations, elle a accordé 25% de réduction. Pour des cours envoyés par WhatsApp, avec les parents comme professeurs, c’est la moindre des choses!», s’exclame cette mère au foyer qui aimerait reprendre son activité professionnelle culinaire.

 «Si je scolarise mes deux enfants, j’en ai pour 30.000 DH l’année. S’il s’agit de cours sur WhatsApp, je préfère encore leur faire l’école à la maison avec un cours par correspondance que je payerai 4.000 DH l’année», calcule la jeune femme qui appelle le ministère à «réguler les montants des cotisations mensuelles des écoles privées».

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