Pr. Marhoum: «La prolongation du confinement est justifiée sur le plan sanitaire»

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De gauche à droite, Pr. Moussaoui, adjoint du chef de service des urgences; Pr. Marhoum, chef de service des maladies infectieuses; Pr. Barrou, chef de service de la réanimation chirurgicale, au CHU Ibn Rochd de Casablanca.

Trois semaines de plus de confinement. C’est la décision prise par le gouvernement le 18 mai dernier au regard des données communiquées par le ministère de la Santé sur la situation actuelle. Si l’opinion publique a accueilli la nouvelle de façon mitigée, le gouvernement tente de son côté de jongler le plus intelligemment entre impératifs sanitaires et économiques. Qu’en pensent les médecins?

«Imaginons que demain la population décide de sortir, ce serait la catastrophe; car tout ce qu’on aura gagné, tous les efforts fournis pendant ces deux mois et quelques de confinement vont se perdre en deux ou trois jours», affirme Pr. Marhoum, contacté par nos soins. Pour le chef de service des maladies infectieuses au CHU Ibn Rochd à Casablanca, prolonger le confinement est «une décision justifiée sur le plan sanitaire, car en termes de répartition nationale des cas positifs au covid-19, il y a de grandes disparités entre les régions».

Un R0 >1 dans certaines régions

Prévu initialement le 20 mai, le gouvernement a choisi de prolonger le confinement jusqu’au 10 juin prochain. Principal argument invoqué par Saâdeddine El Otmani: le taux de reproduction (R0) de l’épidémie n’est pas encore fixé au niveau requis pour un déconfinement immédiat (soit <1 pendant deux semaines avec une stabilité pendant deux mois, préférable <0,79). Aujourd’hui, le R0 national avoisine 0,9, c’est-à-dire qu’une personne contamine moins d’une personne. Si le score est plutôt bon, le problème réside dans le fait qu’il ne s’applique pas uniformément à tout le royaume.

«Cette prolongation du confinement est judicieuse car au niveau national, on n’a pas encore atteint un R0 ≤0,79. Dans certaines régions comme Casablanca, Marrakech, Fès, Meknès, le taux de reproduction (soit le nombre de personnes contaminées par personne infectée) n’est même pas redescendu en-dessous de 1 donc il y a un haut risque de reprise évolutive de cette épidémie et d’apparition d’une autre vague qui pourrait être plus importante que la précédente», souligne Pr. Marhoum.

 

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Il note que la décision est d’autant plus justifiée en cette fête de l’Aïd El-Fitr pendant laquelle les gens auraient eu envie de se rendre visite, provoquant beaucoup de circulation et de contacts. «C’est surtout ce qu’il ne faut pas faire», insiste le spécialiste en expliquant qu’ajouter ensuite deux semaines de plus «permet d’assurer le résultat du R0 en continuant à isoler les cas positifs, et ainsi réduire le risque d’une seconde vague».

En effet, la principale appréhension des professionnels médicaux et du gouvernement serait d’assister à une seconde vague de contaminations, qui pourrait éventuellement être plus violente que la première. La situation est «maîtrisée» mais non «réconfortante», a indiqué le chef de gouvernement dans son allocution devant le parlement le 18 mai dernier. Selon lui, il ne s’agit pas de «prendre une décision qui mettrait en péril tous les efforts et sacrifices menés par toutes les composantes de la Nation».

«Il faut redoubler d’efforts»

«Si on n’a pas beaucoup de cas graves, c’est parce que les gens sont confinés donc il y a moins de brassage et les cas détectés sont traités tôt», rappelle Pr. Barrou, chef de service de la réanimation chirurgicale au CHU Ibn Rochd, favorable à cette prolongation. «Plus il y aura de brassage, plus il y aura certainement beaucoup plus de cas positifs, soit des gens qui vont échapper au dépistage et/ou vont présenter un état grave», alerte-t-il. Et d’ajouter: «Ce n’est pas encore gagné. Il faut redoubler d’efforts. Si aujourd’hui le nombre de cas graves demeure stable, c’est grâce à toutes les mesures prises jusqu’à présent. Si on les arrête totalement, cela risque de flamber. Je pense que le déconfinement doit se faire de manière très progressive, pour ne pas perdre tout ce qu’on a gagné».

Le CHU de Casablanca enregistre actuellement entre 20 et 25 cas graves de patients atteints du covid-19, répartis entre les services de réanimation et de soins intensifs. A échelle nationale, les chiffres officiels annoncés il y a deux semaines arrondissaient à 40 cas graves; «ça a baissé», assure Pr. Marhoum qui salue les «interventions en amont qui ont donné leurs fruits». «Ça nous a permis de gagner du temps et préparer des services de réanimation et de soins intensifs. On est prêt à recevoir plus de cas mais ce n’est pas une raison pour ne pas rester vigilant et laisser les choses se redévelopper».

Certes, le Maroc a vu son taux de létalité baisser et inversement, son taux de guérison augmenter. C’est très bon signe, explique Pr. Marhoum, mais il ne faut pas prendre en compte ces aspects isolément du taux de reproduction. En général, 5 à 10% des cas graves de covid-19 ont besoin d’une réanimation et la mortalité sévit surtout parmi ceux-là. «Quand on applique ce pourcentage à 1.000 personnes, ce n’est pas comme quand on l’applique à 10.000 ou 20.000, donc ça permet de prendre en charge toutes les personnes qui nécessitent la réanimation. L’intérêt est donc de faire en sorte que la contamination ne se fasse pas trop vite, de façon à ne pas avoir besoin de trop de lits de réanimation à la fois».

Eviter la phase 3 vs s’immuniser

Grâce aux mesures prises jusqu’à maintenant, les chiffres actuels ne sont pas très inquiétants, avec une moyenne approximative de 100 nouveaux cas positifs déclarés chaque jour. «Ce sont souvent des cas regroupés dans certaines structures comme les usines donc c’est bon signe, cela veut dire que la transmission se fait entre personnes proches et qu’on peut rapidement circonscrire les contacts et la source contaminatrice», commente Pr. Marhoum qui félicite le Maroc d’être toujours à la phase 2 de l’épidémie, la phase 3 impliquant l’impossibilité de remonter au contaminateur.

 

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Tous ces phénomènes justifient ainsi la prolongation du confinement basée sur la prééminence de l’argument du taux de reproduction. «Le R0 doit baisser, c’est pour cette raison que les autorités font pression sur la population pour qu’elle respecte le confinement. A Casablanca, on n’est pas loin du R0<1, il faut juste un peu plus de rigueur, ne pas perdre les acquis avec des comportements irresponsables», poursuit notre interlocuteur qui reconnait par ailleurs qu’ «il ne faut pas que le tissu économique s’effondre».

A ce propos, il mentionne le «consensus» des autorités permettant la reprise du travail la semaine prochaine pour certaines unités industrielles de certaines régions. Une reprise de travail sous condition de la stricte observation des gestes barrières comme la distanciation sociale, le port du masque, le lavage régulier des mains… «Il est important de maintenir les gestes barrières surtout après le confinement. Cela doit devenir des réflexes dans la routine de chacun», appuie Pr. Marhoum.

«Actuellement, il y a peu de formes graves. On teste les ouvriers d’usines, soit de jeunes actifs qui même s’ils sont positifs, n’aboutissent pas aux soins intensifs, remarque, de son côté, Pr. Moussaoui, adjoint du chef de service des urgences au CHU de Casablanca, qui suggère qu’on aurait pu déconfiner «au moins pour les jeunes travailleurs avec des gestes barrières à observer strictement au sein du domicile vis-à-vis des personnes âgées et/ou fragiles». «De cette manière, le virus se propagera au sein de la population qui pourra s’immuniser et à la prochaine saison froide, on trouvera une bonne partie de la population déjà immunisée, ce qui protégera l’ensemble de la société», présage l’expert qui souligne que «cette thèse reste à prouver».

 

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