Pedro Altamirano: «L’Algérie réagit par une crise de colère enfantine»

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Pedro Altamirano, politologue espagnol. DR.

Pedro Ignacio Altamirano, politologue espagnol, analyse pour H24Info la décision d’Alger de suspendre le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne. S’il écarte l’éventualité d’une rupture diplomatique, il estime toutefois que l’Algérie, en agissant de la sorte, aggrave son isolement sur la scène régionale méditerranéenne. Interview.

H24Info: Quelle lecture faites-vous de la décision algérienne de suspendre le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne?

Pedro Altamirano: Logique et cohérente en quelque sorte. L’Algérie s’est toujours déplacée dans l’espace de l’ambiguïté. Parfois, elle ne veut rien savoir du problème (conflit du Sahara, ndlr) créé par elle-même et rejette tout sur le groupe armé du Front Polisario, et d’autres fois, elle agit comme s’il s’agissait d’un problème national algérien.

Depuis 1991, année où le cessez-le-feu a été conclu, tant la direction des séparatistes que le régime algérien se sont reposés sur leurs lauriers. Le Polisario s’est consacré à gagner de l’argent pour le bien-être de ses dirigeants et aux dépens des populations des camps de Tindouf, tandis que le régime algérien avait pour seul objectif de se remplir les poches avec la corruption et la dilapidation des ressources naturelles algériennes.

Pendant ce temps, le Royaume du Maroc s’est engagé à faire d’importants investissements dans les infrastructures, à s’activer dans le domaine de la diplomatie, à progresser dans le développement démocratique qui a conduit à la Constitution de 2011 et à lutter pour l’essor de l’économie et l’égalité sociale.

Ces dernières années, le travail mené par la diplomatie marocaine a porté ses fruits, non seulement pour ce qui est du nombre de nations qui ont reconnu que le plan d’autonome pour les provinces du Sud était la plus réaliste des solutions, mais aussi du fait que l’ONU elle-même a commencé à voir d’un bon œil des progrès à cet égard, comme en témoignent les dernières résolutions.

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L’Algérie a continué à jouer son jeu du oui et du non quand il s’agissait de s’impliquer dans le problème.

Soudain, les choses changent lorsque les États-Unis franchissent le pas définitif vers la reconnaissance de la solution d’autonomie, suivis par Israël et d’autres pays européens, jusqu’à ce que ce soit au tour de l’Espagne.

A ce moment, Alger sort du terrier et montre son vrai visage. Cela avait commencé par des mesures contre l’Espagne, en même temps que débute une véritable campagne médiatique visant à saper les relations hispano-marocaines.

Le régime militaire algérien, le même qui dit parfois qu’il n’a rien à voir avec le Polisario, annonce qu’il rompt le traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération avec l’Espagne. C’était ce que nous attendions tous. L’Algérie montre son vrai visage et réagit par une crise de colère enfantine.

Il n’y a pas d’autre lecture à cette réaction. L’Algérie perd, les relations Espagne-Maroc se renforcent et les grands bénéficiaires sont les sahraouis des provinces du sud du Maroc.

Une telle décision ne pourrait-elle pas signifier carrément une rupture diplomatique entre les deux pays?

Les généraux algériens sont peut-être des lâches, mais ils ne sont pas dupes. Je ne pense pas qu’ils iront jusqu’à rompre les relations diplomatiques, car ils n’oublient pas que cela compliquerait beaucoup les relations avec l’Union européenne, et avec l’OTAN à un moment très délicat.

Du côté espagnol, l’actuel ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, a déjà déclaré que les intentions espagnoles sont d’essayer de maintenir les meilleures relations diplomatiques avec l’Algérie, comme avec tout autre pays, et que cela fonctionnera toujours dans ce sens.

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C’est pourquoi je ne crois pas que le régime algérien va commettre la bévue de rompre unilatéralement avec l’Espagne, membre important de l’Union européenne et de l’OTAN. Ce serait une très grave erreur.

En agissant de la sorte, l’Algérie ne risquerait-elle pas d’aggraver son isolement dans la région?

C’est certain et c’est pourquoi je crois qu’elle ne rompra pas les relations si elle élève le niveau de ses menaces ou représailles commerciales contre l’Espagne. Cela entraînerait de grandes pertes économiques, ce qui aggraverait encore l’instabilité sociale en Algérie où les gens manquent de nourriture et de libertés.

Cela isolerait davantage le pays sur la scène internationale, à un moment où, en raison de la guerre en Ukraine, la Russie, sa protectrice et alliée, ne peut pas être d’un grand secours.

Il ne faut pas non plus oublier que l’armée algérienne utilise en premier lieu des armes d’origine russe devenues obsolètes et inefficaces au fils des années. Cela va contraindre l’Algérie à renouveler une partie de son arsenal avec du matériel non russe et pour lequel elle aura besoin d’un soutien international qu’elle perdra si elle continue à s’isoler.

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L’Algérie ne peut pas courir le risque de continuer sur la voie de l’isolement, sans courir le risque de saborder le régime militaire.

D’après vous, Alger pourrait-elle pousser les choses plus loin et arrêter les livraison de gaz à l’Espagne?

S’ils deviennent fous et coupent le gaz vers l’Espagne, ils commettraient un harakiri. L’Espagne a déjà résolu l’approvisionnement en gaz qu’elle reçoit des États-Unis et des pays du Golfe. Donc, en réalité, le seul qui perdrait serait l’Algérie elle-même.

De la même manière, cela mettrait en danger le gaz qu’elle compte acheminer en Italie, car une éventuelle du gaz algérien vers l’Espagne, comme nous l’avons déjà évoqué, aurait de graves conséquences sur les relations bilatérales avec l’ensemble de l’Union européenne.

C’est pourquoi je ne pense pas qu’ils oseraient aller au-delà de cette crise actuelle.

Je le répète, les généraux algériens sont peut-être des lâches, mais je ne pense pas qu’ils seraient assez fous pour commettre un suicide économique et donc social.

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