Des officiers espagnols racontent leur «reconquista» de l’îlot Leila (photos)

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A la veille du 15e anniversaire de l’opération menée par l’armée espagnole sur l’îlot Leila, cinq officiers espagnols qui y ont pris part relatent les faits.

Le 17 juillet prochain, 15 ans se seront écoulés depuis la crise de l’îlot Leïla. Pour rappel, les relations entre le Maroc et l’Espagne ont dégénéré le 11 juillet 2002 lorsque six soldats marocains avaient installé un avant-poste sur l’île. L’Espagne, alors dirigée par le premier ministre de droite José Maria Aznar, a réagi en lançant l’ »Opération Romeo-Sierra », qui a vu débarquer sur « Perejil » (le nom espagnol de l’îlot) des éléments du Groupe d’opérations spéciales (Grupo de Operaciones Especiales – GOE). Cinq protagonistes de cette opération relatent les faits à El Español.

L’îlot Leila photographié depuis l’un des hélicoptères de l' »Opération Romeo-Sierra » ©DR

L’assaut a été lancé depuis Facinas, dans la commune de Tarifa, où près de 200 soldats espagnols se sont regroupés dès 5 heures du matin, ce 11 juillet 2002. Si la plupart d’entre eux ont déjà combattu en Afghanistan, en Bosnie, au Kosovo… ils ne cachent pas leur «incertitude», car ils ne peuvent anticiper le comportement de l’«ennemi », qui a positionné «plusieurs bateaux armés autour de l’îlot», explique El Español. Finalement, 28 soldats décollent à bord de six hélicoptères, tandis que les autres restent derrière, «au cas où il faudrait envoyer plus d’effectifs». Les instructions sont claires: «capturer les militaires marocains qui ont occupé l’îlot», souligne le média espagnol.

Deux assauts annulés

«C’était la troisième fois qu’on nous déployait pour reprendre l’îlot», révèle d’emblée le commandant Antonio García Navarro. Ce chef de compagnie des Opérations spéciales précise que le premier déploiement a eu lieu au soir du 11 juillet, «mais nous ne l’avons pas exécuté, car tout a été fait à la va-vite». La seconde fois, «nous étions déjà à bord des hélicoptères, mais avons fait demi-tour à mi-chemin» pour une raison inconnue. La troisième a été « définitive», continue-t-il avant d’ajouter que trois voies d’action avaient été identifiées: arriver par bateau, en sous-marin, ou en hélicoptère. La dernière «présentait plus de chance de réussite».

Des soldats espagnols photographiés avant le lancement de l’opération ©DR

Âgé de 33 ans à l’époque, le capitaine Santiago Fernández Ortiz-Repiso pilotait l’hélicoptère qui avait servi de «leurre»: «Si les Marocains tiraient, mieux valait que ce soit sur nous, afin que les autres soldats puissent débarquer sur l’îlot». Il ajoute n’avoir jamais imaginé, quelques jours avant l’opération, que «le conflit diplomatique pouvait se transformer en un mouvement militaire de cette envergure». Le moment du décollage était à la fois «compliqué» et «chargé d’émotion». «Notre conscience collective nous disait qu’on pouvait nous abattre à n’importe quel moment», continue Ortiz-Repiso.

«Un nombre largement supérieur à la force hypothétique marocaine»

De son côté, le lieutenant Fernando Jordá Sempere rappelle qu’à un mois de l’opération, il avait formé un groupe de soldats marocains à Alicante. «Les relations étaient habituelles jusqu’à ce que tout dégénère soudainement avec Perejil», se souvient le tireur d’élite, qui reconnaît que «nous étions un nombre largement supérieur à la force hypothétique marocaine». Quand on l’a convoqué dans la nuit du 16 juillet, l’officier a laissé sur la table de nuit un cadeau (d’adieu) pour sa femme.

«Nous ignorions le nombre de personnes sur l’îlot», affirme le commandant Vicente León Zafra, qui assurait le commandement de l’escadron des hélicoptères. Il continue: « J’avais été dans des missions difficiles auparavant, mais je n’avais jamais ressenti une telle pression ». Il se rappelle surtout du l’ambiance tendue qui régnait à Facinas. Les soldats espagnols souhaitaient que l’opération soit abandonnée, «car ce sont nos vies qui allaient à la rencontre de l’inconnu».

Des soldats espagnols entourent un soldat marocain lors de l' »Opération Romeo-Sierra » ©DR

Dans le détroit, les hélicoptères volaient à 50 pieds (environ 15 mètres au-dessus du niveau de la mer), afin de ne pas se faire repérer. De nombreux bateaux étaient déployés dans les eaux environnantes. Malgré leur approche silencieuse, les soldats espagnols ont été repérés par un navire-patrouilleur marocain doté d’un canon de 20 mm. «Ils ont commencé à préparer leurs armes. J’avais le doigt sur la gâchette», se souvient Ortiz-Repiso, pilote de l’hélicoptère qui devait servir de «leurre». «Nous voyions qu’ils pouvaient tirer sur nous, qu’ils s’armaient», ajoute le commandant León Zafra. «Heureusement», une frégate espagnole a vu la scène et s’est dirigée vers le patrouilleur, l’obligeant à «s’éloigner». «Nous étions plus tranquilles».

La guerre électronique

«Je crois que les Marocains ne tirent pas sans recevoir d’ordre. (…) Mais, ils attendaient les ordres de Rabat», renchérit le lieutenant Jordá Sempere, avant de révéler qu’une guerre électronique se déroulait au même moment: «nous annulions les transmissions dans la zone du détroit». En survolant l’îlot, le premier hélicoptère a identifié dans sa partie basse la bâtisse où dormaient certains soldats marocains, ainsi que d’autres soldats postés «en position défensive» dans des endroits clés. Les 28 soldats espagnols localisent les Marocains et les neutralisent, mais non sans que l’un des « Mokhaznis » ne se cache derrière un rocher et arme son fusil… «C’était le moment critique de l’opération, souligne le lieutenant Jorda. S’il y avait un seul mort, un énorme problème aurait éclaté». Mais, le soldat marocain s’est finalement rendu sans rien faire. Ainsi a pris fin l’opération de ce que ces officiers espagnols qualifient de « Reconquista », en allusion à la reconquête de l’Andalousie par les chrétiens au Moyen-Âge.

La fin de l' »Opération Romeo-Sierra ». ©DR

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