MRE de France: pourquoi reviennent-ils «au pays»?

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Les descendants d’émigrés marocains de 3e générations ne viennent pas au Maroc seulement pour les vacances. Certains décident de «retourner» y vivre, avec le lot de joies et difficultés que ce choix peut impliquer. Témoignages.

Entre la recherche d’une meilleure qualité de vie, d’un projet professionnel stimulant ou encore un retour aux sources, les intentions de départ s’annoncent diverses et variées pour ces Marocains du monde.

« Une meilleure qualité de vie »

La recherche d’une meilleure qualité de vie se présente comme la raison majeure invoquée par les sept personnes interviewées dans le cadre de cet article. Najib, 27 ans, travaille à Casablanca en tant que key account manager pour un grand site d’achats en ligne. «Par qualité de vie, j’entends meilleur climat, plus de pouvoir d’achat, plus de possibilités de développement qu’en France», explique ce jeune qui a effectué une bonne partie de son cursus scolaire au Maroc, ainsi que ses études supérieures.

C’est également pour une meilleure qualité de vie que Houda s’est installée au Maroc il y 6 ans. «Le soleil, la plage, les palmiers, la possibilité d’avoir une nounou pour les enfants, habiter à quelques pas de son lieu de travail…ce sont des choses que je n’aurais pas pu me permettre en France», raconte cette architecte d’intérieur originaire du Loiret, et dont le mari tient un restaurant-café dans la capitale économique.

« Tenter un projet professionnel »

Tenter l’aventure professionnelle au Maroc arrive également en tête des raisons de départ invoquées. Le royaume chérifien apparaît comme un terrain concurrentiel privilégié pour lancer un projet inédit sur le marché. Originaire d’Epinay-sur-Seine, Mehdi a fondé en 2016 avec deux amis le premier glacier sur Casablanca à proposer des glaces en rouleaux. S’il est «rentré» au Maroc, c’est principalement pour son projet professionnel. «Je suis souvent venu en vacances ici et j’ai toujours eu un attachement certain au Maroc, avec depuis plusieurs années l’ambition de monter une affaire ici. Un jour, j’ai décidé de franchir le pas et je suis arrivé à Casablanca», confie-t-il.

De son côté, Hassan avait lancé son projet de e-commerce de vente de produits cosmétiques de grandes marques l’été 2014, à la suite d’un congé sans solde de plusieurs années. «J’ai souhaité tenté l’expérience et je n’ai pas de regret», déclare celui qui est retourné en France au bout de deux ans. Le jeune entrepreneur pensait pouvoir faire perdurer son projet à distance mais cela n’a pas marché, pour des raisons liées au projet lui-même mais aussi à «l’environnement».

« Se sentir légitime »

Un certain environnement, c’est aussi ce que viennent chercher ces émigrés-immigrés, en fonction de la rive méditerranéenne d’où on se place. «Ici, je suis perçu comme un Français et en France comme un Marocain. Je suis sans cesse dans cet entre-deux», illustre Najib qui reconnaît par ailleurs que sa double culture lui a permis de s’adapter plus rapidement aux diverses situations vécues. Il affirme avoir trouvé du travail au Maroc plus facilement qu’en France où «il y a pas mal de barrières». «Même avec beaucoup de diplômes, il est difficile de trouver un travail en France et la qualité de vie n’est pas forcément meilleure, sans parler des petits problèmes que nous encaissons vis-à-vis de notre religion… »

Un constat partagé par Houda. «En France, les Arabes ont moins d’opportunités que les autres. Mon mari en subissait les conséquences et souhaitait être dans son pays d’origine. Il n’avait pas sa place en France», énonce-t-elle.

Anissa, 24 ans, originaire de Provence, occupe depuis quelques mois un poste de chargée du digital dans une société casablancaise. Après avoir effectué pas mal de stages au Maroc dans le cadre de ses études supérieures en France, son choix de partir de l’autre côté de la Méditerranée s’est confirmé, en grande partie pour «se sentir mieux d’un point de vue personnel». «Ici, on se sent chez soi, apprécié et aimé, on se sent légitime», renchérit-elle. «On a l’impression d’avoir le droit de vivre pleinement cette expérience marocaine, et c’est peut-être cela qui fait la différence».

«Le Maroc des vacances» vs «le Maroc de tous les jours»

La principale difficulté rencontrée par ces arrivants se décline dans le décalage que peut présenter l’expérience du Maroc pendant les vacances (à laquelle la plupart est habituée depuis l’enfance) et celle du quotidien. «On a une image très idéaliste du pays et on a l’impression, venu de l’étranger, d’arriver dans un pays légèrement sous développé. On a l’impression qu’on va apporter énormément de choses, alors que c’est faux, les Marocains n’ont pas besoin de notre savoir faire européen» témoigne Nadia, arrivée au Maroc en 2016 pour travailler dans une association sociale.

Par extension, plusieurs soulèvent une différence de mentalité entre les deux pays, à laquelle ils ont du mal à s’habituer. «Pour ma part, la principale difficulté fut la différence de mentalité par rapport à l’environnement dans lequel j’ai grandi en France», déclare Mehdi qui ajoute «ce qui, en soi, est tout à fait normal».

 

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«La première année, j’avais le mal du pays. J’avais envie de rentrer en France tous les quatre matins», se souvient Houda qui dit ressentir un «gros décalage» au niveau de la mentalité. Elle mentionne «les retards, les promesses non tenues, les mensonges» auxquels elle est confrontée avec les ouvriers des chantiers sur lesquels elle travaille. «En France, le respect des règles me paraît plus rigoureux».

«Le mal du pays» a aussi été éprouvé par Hassan, au bout de quelques mois au Maroc. «Nous, on vient au Maroc que pour les vacances et on pense que c’est pareil quand on vient y vivre. Au bout de 2 ou 3 mois, j’ai compris que ce n’était pas pareil» poursuit l’entrepreneur qui avait eu aussi quelques problèmes avec les douanes.

Entre «complications administratives» et «manque de protection sociale»

Que ce soit avec les douanes ou d’autres institutions, les émigrés qui reviennent au pays peuvent être freinés dans leurs projets par des contraintes administratives. C’est le cas de Nadia dont le mari non musulman n’a pas souhaité prononcer la conversion à l’islam mensongère que beaucoup de couples mixtes pratiquent pour s’unir légalement dans le royaume. Sans carte de séjour, il lui était alors difficile de trouver un travail, témoigne la jeune femme qui souligne en même temps la «malhonnêteté de certains employeurs». «J’ai travaillé pour des personnes qui ne m’ont pas payée pendant des mois, et auprès desquelles je devais quémander pour obtenir mon salaire», fustige-t-elle. Au bout de trois ans, Nadia est rentrée en France avec son mari et son fils.

Daoud* (le prénom a été modifié) a également rebroussé chemin après avoir vécu une mauvaise expérience avec les administrations marocaines et le système bureaucratique plus ou moins aléatoire auquel il a eu affaire. En 2011, à 30 ans, il décide de partir avec son frère «faire quelque chose dans son pays». Originaire de Berkane, et alors que la zone Saïdia/Cap de l’Eau était en pleine expansion, ils élaborent ensemble un projet de base de loisirs saisonnière. Munis de toutes les autorisations requises, les deux frères se confrontent tout de même à des blocages administratifs, sans compter certains rapports conflictuels avec des entrepreneurs coriaces qui ne respectent pas leurs demandes.

«Quand on n’est pas propriétaire, qu’on arrive et qu’on ne connait pas les gens puissants sur place, c’est un combat perdu d’avance, tout le monde le sait», regrette le consultant informatique de 38 ans. «Parfois, ça coince au niveau du wali, du responsable à Nador, de la mairie de Cap de l’Eau…ou encore des rivalités entre clans interfèrent. Pour démêler le vrai du faux, c’est souvent compliqué», souffle Daoud qui n’a pas perdu espoir de voir un jour son projet – en suspens depuis plusieurs années – se réaliser, même si d’un point de vue financier, «le gouffre ne sera jamais comblé».

Ceux qui (re)partent et ceux qui restent

Selon Houda, «Les MRE qui repartent, c’est que ça n’a pas marché pour eux ici dans leur projet professionnel. Repartir en France, c’est un échec». La jeune maman de deux enfants se dit satisfaite de sa vie au Maroc, même si sa famille restée en France lui manque, et qu’elle a parfois l’impression «d’avoir plus pris du côté français que du côté marocain».

A ce sujet, Nadia déclare «n’avoir jamais vraiment été considérée comme une Marocaine par les Marocains, mais plutôt comme une Marocaine de l’étranger». «Sans vouloir faire de généralité, on est toutefois régulièrement mis à l’écart», rapporte-t-elle. Un ressenti partagé par Najib: «Ici, je n’ai pas réussi à m’intégrer à 100%, on va dire que je m’adapte. Malgré le fait que je sois Marocain, cela n’a pas été facile et je ne me suis pas senti accueilli comme je m’y attendais».

 

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Pour Mehdi, l’intégration n’a jamais été vécue comme un problème. «Jai toujours eu et j’ai toujours le sentiment d’être bien accueilli ici», s’enthousiasme-t-il, ajoutant que «Chaque pays est différent, il y a du bien et du mauvais partout». Actuellement, Anissa tire également un bilan positif de son installation à Casablanca, notamment sur l’aspect professionnel. «On apprend beaucoup, très rapidement, peut-être même plus rapidement que ce qu’on apprendrait en France. On a rapidement des responsabilités, on nous fait rapidement confiance et par conséquent, nous acquérons des compétences de manière fulgurante» certifie-t-elle.

Même si Nadia est retournée vivre en France, elle ne regrette absolument pas sa parenthèse marocaine. Elle admet même que certaines choses lui manquent comme la «vie effervescente et créative à Casablanca». «J’ai adoré assisté à la première édition de la « Design week » par exemple. Au Maroc, il y a une progression incroyable dans des tas de domaines et j’ai été ravie de vivre cela. En France, on ne peut plus créer grand-chose, c’est ce qui me manque le plus», avoue-t-elle, précisant qu’elle n’était pas «prête à faire les sacrifices nécessaires pour y vivre au quotidien».

Quant à Najib, il se dit heureux de vivre au Maroc. Malgré les petits problèmes d’intégration qu’il a énumérés, il est convaincu d’avoir fait le bon choix. «Tu pourrais me payer pour repartir en France que je ne repartirais pas», conclue-t-il avec détermination.

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