Les «islamistes» sont-ils derrière la campagne de boycott de 2018?

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Les «islamistes», Boycott,Think tank français
Image d'illustration./Crédits: DR

Qui était derrière le mouvement du boycott? Une étude de l’EPGE citée par l’hebdomadaire français La Tribune tranche en attribuant la responsabilité aux islamistes. Pourtant, son argumentaire nous laisse sur notre faim. Analyse.

La campagne «Moukatioun» (boycotteurs) qui a visé pendant le printemps-été 2018 trois grandes entreprises opérant au Maroc «était téléguidée par des groupes islamistes déterminés à déstabiliser la monarchie chérifienne». C’est ce qui découle d’une étude d’un think tank français fraîchement créé (janvier 2019).

Se référant à l’enquête «encore confidentielle» de «l’Ecole de Pensée sur la Guerre Economique (EPGE)», La Tribune indique que celle-ci a pu remonter aux sources de cette campagne.

L’enquête a identifié «sans difficulté» «des sites (comme Kifaa7) à l’origine des pages anonymes, des blogueurs producteurs d’articles -par exemple un rappeur islamiste Mohammed Ziani dit MC Talib- mais aussi des «hackers» susceptibles de multiplier les vues et les messages automatiques par des méthodes telles que «l’astrosurfing» ou via des dispositifs adaptés («bots», «spams»…)».

Si l’on peut admettre qu’un mouvement inédit comme la campagne «Mokatioun»–pour la première fois la contestation passe du champ politique au champ économique- a été manipulée quelques parts, serait-il judicieux de réduire un phénomène social à une seule cause?

 Lire aussi: https://www.h24info.ma/maroc/akhannouch-boycott-a-touche-leconomie-marocaine-dans-son-ensemble/

Un fait social n’a jamais une seule cause

Un fait social ne peut avoir une seule cause, comme disent les sociologues. Ce qu’il y a de sûr à propos du boycott c’est qu’il n’a pas fait l’objet d’études sérieuses afin de déceler sa portée et ses origines.

D’autant plus qu’on n’a jamais fait face par le passé devant un mouvement de masse au travers des réseaux sociaux et que l’aspect revendicatif ou du moins critique d’une situation donnée n’échappe pas à l’observation dans ce cas.

La pratique de prix excessifs sans égard au pouvoir d’achat des consommateurs (prouvée par les récentes informations qui ont filtré du Conseil de la concurrence) a été dénoncée par des tranches larges de la population. La preuve en est le fait que le boycott avait emporté l’adhésion des classes populaires ainsi que celles des classes moyennes.

Cette «cause», qui concerne de larges pans de la société, a été fédératrice. La facile expression sur les réseaux sociaux a été elle aussi un facteur qui a aidé à donner de l’ampleur au «phénomène». Outre les «leaders d’opinion» et les critiques sur les réseaux sociaux, même les spectateurs et les simples internautes avaient adhéré au mouvement. Il ne fait plus de doute que les facteurs d’un ras-le-bol populaire étaient réunis. L’amenuisement du pouvoir d’achat des Marocains est un secret de polichinelle. Le statisticien du Royaume a souligné dans son rapport 2018 (année du boycott) la hausse de l’indice de pauvreté subjective à 37,7%.

Terreau fertile

Pis, le Haut-commissariat au plan (HCP) n’a pas manqué ces dernières années dans les différents Indices de confiance des ménages (note de conjoncture auprès des ménages) de relever le pessimisme ambiant chez ces derniers. A maintes reprises le HCP a noté l’incapacité des Marocains de plus en plus affichée à couvrir leurs charges et épargner.

En parallèle à cet état de fait, ce qui a laissé libre voie devant le boycott est surtout l’anonymat et «l’immunité» que permettent les réseaux sociaux (absence de risque de sanction publique). Autant dire que les réseaux sociaux ont constitué un terreau fertile pour le mouvement.

Venir donc assurer que le boycott a été manipulé par des hackers identifiés par l’EPGE comme «Jawad Fadili», présenté comme «un contempteur des comportements déviants, adversaire résolu des festivals de musique», est pour le moins réducteur d’un aussi complexe phénomène.

Manquant de précision, l’article signé par Daniel Vigneron, indique que «les enquêteurs d’EPGE, à force de scruter la viralité intense de la campagne (37.000 « likes » en moins d’une heure dans la nuit du 21 avril 2018)», se sont rendu compte que «les «vues» sponsorisées, l’achat de milliers de «followers» ou de «likes» engendrent des coûts importants et impliquent donc des financements conséquents se chiffrant à plusieurs centaines de milliers d’euros». Et ce, sans pour autant identifier qui a sponsorisé les «vues».

Se référant à l’enquête en question, le journaliste spécialisé dans les questions internationales, croit savoir qu’«une partie de ces fonds pourrait provenir de collectes de charité réalisées au nom de la «Zakat».

Al Adl Wal Ihsan brebis galeuse

Et de faire porter le chapeau à la brebis galeuse du régime, Al Adl Wal Ihsan. «On s’aperçoit que cette vaste nébuleuse, très impliquée dans le boycott de 2018, est particulièrement en ligne avec le mouvement islamiste radical Al Adl Wal Ihsan («justice et bienfaisance») qui prône l’avènement du Califat au Maghreb et veut «délivrer de l’impiété la nation musulmane». Depuis de longues années, c’est la bête noire de la monarchie marocaine », peut-on lire sur l’article de La Tribune.

Sans aucune preuve d’un lien palpable entre la «jamaa» et le «financement» du boycott, l’article conclut qu’«à travers l’analyse du boycott de 2018, l’enquête de l’EGPE démontre que cette idéologie de l’islamisme radical a, via l’utilisation très organisée et sophistiquée des réseaux sociaux, désormais les moyens de déclencher une guerre digitale d’envergure susceptible, à tout moment, de déstabiliser les pays du Maghreb et, en premier lieu, d’ébranler le système économique du Maroc et d’y créer le chaos politique».

Certes l’espace cybernétique est devenu un nouveau champ de guerre et le Maroc a besoin de s’armer pour bien se protéger de toute attaque extérieure ou intérieure qui pourrait nuire à sa stabilité, mais l’étude en question nous a laissé sur notre faim quant aux origines du mouvement «Moukatioun».

Elle n’a pas réussi à démêler les mystères de la campagne du boycott, lancée pendant 2018 sur les réseaux sociaux, qui a, pour rappel, visé les stations-service Afriquia, les eaux minérales de Sidi Ali ainsi que les produits laitiers du groupe Centrale-Danone.

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