Histoire. Quand le Maroc était d’obédience chiite

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L’article 3 de la constitution marocaine stipule que: «L’Islam est la religion de l’Etat, qui garantit à tous le libre exercice des cultes». Comprenez que le Maroc est un pays d’obédience sunnite selon le rite malékite. Pourtant, notre pratique de la religion n’est pas totalement purgée de traces du chiisme. Comment le chiisme s’est-il incrusté au Maroc avant de disparaître totalement ?  

 

Pour plusieurs historiens spécialistes dans le Maroc médiéval, la présence du chiisme dans le royaume du Maroc remonte à bien plus longtemps qu’on ne l’imagine. Pour certains d’entre eux, l’obédience a fait son entrée au pays lors de la création du royaume Idrisside grâce à  Idriss 1er, un chiite qui a fui la tyrannie des Abassides (sunnites) en Irak pour en s’installer au Maroc. Mais cette analyse communément admise est contredite par d’autres chercheurs qui pensent que malgré son appartenance à «Ahl Al bayt » ( ndlr; maison du prophète),  le chiisme n’était qu’un argument politico-religieux utilisé par le fondateur du royaume Idrisside, qui n’était pas chiite malgré l’appartenance de sa famille et ses roches au courant zaydite chiite.

Pour Said El Kamali, imam et spécialiste dans l’histoire maghrébine de l’islam et membre du Conseil supérieur des oulémas, Moulay Idriss 1er n’était pas d’obédience chiite ou zaydite. «Driss 1er a fui le règne des Abbassides, mais ce n’est pas une raison valable et suffisante pour le considérer comme chiite. L’histoire retiendra que plusieurs personnes, oulémas, dirigeants et chefs de tribus ont quitté un pays après un désaccord avec ceux qui le gouvernent,  mais cela ne signifie pas qu’ils sont d’une autre obédience ou suivent un autre rite », déclare-t-il.

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Dans son livre «L’étape du chiisme dans le Maghreb arabe», l’historien Mohamed Al Hajri affirme que le chiisme est apparu au Maroc après l’arrivée de Moulay Idriss 1er  au pays. « À la fin du deuxième siècle de l’hégire, la dynastie Idrisside n’imposait pas de courant à adopter à sa population, mais l’obligeait seulement à respecter quelques mesures religieuses limitées. Idriss 1er n’était pas chiite dans sa pratique et sa façon de diriger, mais c’était seulement la résultante d’un choix politique. Il devait jouer sur cette contradiction religieuse afin de tenir le Maroc éloigné des menaces des Abbassides.  L’histoire retiendra que le fondateur de Fès n’a pas œuvré à diffuser le courant chiite au Maroc. »

Pour le chercheur marocain Idriss Hani Skouri, lors de cette époque, les gens ne parlaient ni de sunnites ni de chiites. «Ces concepts n’avaient pas fleuri durant à cette époque», nous déclare-t-il. Il poursuit : «Quand nous évoquons Moulay Idriss 1er , nous parlons d’un chiisme qui s’opposait au courant sunnite conduit par les Omeyyades et les Abbassides. Le sens que nous donnons de nos jours au chiisme et au sunnisme n’avait pas encore vu le jour sous les Idrissides et les sensibilités étaient surtout politiques, tribales et ethniques».

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Pour lui, il serait incorrect de dire qu’Idriss 1er était sunnite, mais on peut dire qu’il était plutôt chiite étant de descendance d’Ahl Al Bayt ayant fui les Omeyyades. «La loyauté de Idriss premier revenait à «Ahl Al Bayt» (la famille du prophète) et c’est de là que provient le sens authentique du chiisme», insiste Idriss Hani Skouri révélant que «le père de Moulay Idriss, Abdellah Al Mahd est enterré en Irak et sa tombe se trouve dans un environnement chiite, avec des traditions purement chiites».

Les Almoravides chassent les Fatimides

Après plus d’un siècle de l’avènement de la doctrine chiite au Maroc, les choses vont changer de manière catégorique. En déclin, les Fatimides qui perdaient du terrain se sont retranchés du Maroc vers l’Égypte et la présence chiite au Maroc s’est effritée. Pourtant, les Fatimides ont tout fait pour propager la doctrine chiite ismaélite et convaincre les populations de combattre à leur côté face aux autres Etats et Empires. Les Fatimides envoient un émissaire dans le Souss et ce dernier leur rapporte que cette terre  était propice à la propagation du chiisme, en revanche il ont échoué à Tunis, dont les habitants du mal à accepter un changement de rite. »

«Souss était un centre scientifique renommé. Les habitants de la région pratiquaient l’astrologie, avaient des principes élémentaires de physique et avaient une profonde connaissance de la religion, car ils ont côtoyé des croyances africaines, chrétiennes et juives auparavant», détaille Idriss Hani Skouri. Tous ces facteurs ont facilité l’implantation de la doctrine chiite ismaïlienne dans la région après sa propagation dans le nord du Maroc grâce à Idriss 1er.

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Près de deux siècles après l’avènement de la doctrine chiite au Maroc, et un siècle dans la région du Souss, un groupe sunnite malékite émerge. Il posait les bases politiques, ethniques et religieuses d’un socle qui aboutira à la création de la dynastie Almoravide au Maroc. Son fondateur, Abdallah Ibn Yassine avait formé une armée forte qui avait pour mission d’unifier le pays et mettre un terme aux guerres de doctrines, de rites et de tribus. Après des années de guerres, les Almoravides réussissent  à éradiquer la présence du chiisme après avoir unifié le Maroc.

L’histoire commune entre le Maroc et le chiisme a laissé des traces et des séquelles qui sont restées ancrées dans la culture berbère en particulier et chez l’ensemble des Marocains en général. Certaines traditions et croyances survivent jusqu’à nos jours. On cite l’appellation des enfants par Ali, Fatima Zohra, Zainab, El Hassan, El Houcine et Idriss, mais aussi la célébration d’Achoura.

 

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