Guerre en Ukraine: l’économie marocaine peut-elle résister encore longtemps?

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Le Maroc est fortement impacté par la guerre entre la Russie et l'Ukraine, avec une croissance au ralenti et une inflation exceptionnellement élevée. DR.

Six mois après l’offensive russe en Ukraine, les conséquences du conflit militaire pèsent lourd sur l’économie mondiale, et celle du Maroc en particulier. Pour atténuer l’arrêt brutal des importations de céréales de la Russie et de l’Ukraine dont il dépendait, le royaume s’est tourné vers les Etats-Unis. Une alliance privilégiée qui se fait au détriment de l’Europe et des pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud, ndlr). Le point de vue d’Omar Kettani, économiste et prospectiviste, et Mohamed Chiger, économiste et président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB).

Quand la mer Noire s’agite, c’est toute la chaîne agroalimentaire marocaine qui vacille. En plus d’importer des céréales d’Ukraine, le Maroc exporte une grande quantité d’agrumes vers la Russie. Et sans parler de la hausse de la facture énergétique. «Les répercussions sont doubles, surtout au niveau financier  puisque le Maroc aura besoin d’acheter des céréales au prix fort. Et encore, si on arrive à trouver la quantité nécessaire. Même chose pour l’énergie, il faudra s’approvisionner, mais à un prix excessivement cher», explique Omar Kettani, économiste et prospectiviste.

Un cercle vicieux

Pour l’expert, un troisième problème pointe son nez. «Le Maroc a fondé sa stratégie économique sur une diversité des relations économiques et commerciales avec plusieurs pays. L’omniprésence des Américains ainsi que les accords conclus avec Israël mettent entre parenthèses les relations du Maroc avec les pays du BRICS», poursuit Omar Kettani. L’acronyme BRICS désigne un groupe de pays composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud qui représentent plus de 40% de la population de la planète et 27% du PIB mondial.

Déjà malmenée par la pandémie de la Covid-19, l’économie marocaine peine aujourd’hui à s’en remettre. Et s’allier principalement avec les Etats-Unis en ces temps de crise, c’est aussi tourner un peu le dos aux pays du BRICS. Une décision qui, selon notre interlocuteur, sortira le Maroc de l’emprise européenne, mais qui risquerait de le faire tomber entre celles des Etats-Unis. «Là aussi, c’est une gêne considérable pour le royaume qui cherche à être non-aligné, c’est-à-dire diversifier ses relations avec plusieurs pays et n’être ni avec ni contre telle ou telle puissance mondiale», affirme l’économiste.

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Cette stratégie serait plutôt payante, estime de son côté l’économiste et président du Centre d’études et de recherches Aziz Belal (CERAB), Mohamed Chiguer. «Contrairement à l’Algérie et à l’Egypte, le Maroc s’en sort plutôt mieux en termes d’importation des céréales puisqu’il a diversifié ses fournisseurs. Pour le blé, il y a eu un accord entre la Russie et l’Ukraine, pour que l’Ukraine puisse continuer à exporter ses céréales. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à le faire par le biais de la Turquie. Il reste essentiellement le problème des énergies. Il s’agit là d’un problème mondial qui ne concerne pas uniquement le Maroc», fait-il savoir.

En réalité, être allié d’un pays aussi puissant que les Etats-Unis a ses avantages et ses inconvénients. Dans un monde globalisé, il est évident que les grands pays utilisent leur puissance politique, économique et militaire pour imposer leurs points de vue ou leurs systèmes de valeurs. «Il y a certains pays à qui on ne peut presque rien refuser. Et cela peut avoir des conséquences à terme, qui sont loin d’être négligeables. Je cite l’exemple de demander l’exclusivité de l’exploitation des gisements de minerais rares que nous avons trouvés le long des côtes ouest marocaines. Ou encore l’exemple de ne pas pouvoir acheter du pétrole à la Russie», explique Omar Kettani.

Or, et toujours selon lui, ces contraintes limitent l’ouverture qu’a menée le Maroc vis-à-vis de l’extérieur pour échapper justement à l’influence européenne. «Maintenant il tombe sous l’emprise américaine. C’est très délicat à gérer.» S’aligner aux Américains a donc ses avantages, telle la reconnaissance des Etats-Unis de la marocanité du Sahara, ou encore le déblocage de financements auprès de la Banque mondiale ou du Fonds monétaire international (FMI). «Mais faire du commerce avec d’autres pays comme la Russie peut être considéré comme vouloir casser son isolement et prendre position, bien que ce ne soit pas le cas», insiste l’expert.

Approvisionnement de plus en plus cher

Pour rappel, un Marocain consomme en moyenne 200 kg de blé par an, soit trois fois plus que la moyenne mondiale. Mais le Royaume ne produit pas suffisamment cette céréale. Entre 2014 et 2019, la récolte locale n’a permis en moyenne de couvrir que 54 % des besoins en céréales (blé, maïs, orge).

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«Le Maroc importait son blé principalement de la Russie et de l’Ukraine. Il s’approvisionnait parfois auprès des Etats-Unis ou encore du Canada. Maintenant, ça sera plus difficile et surtout plus cher, car la conjoncture est mauvaise. Heureusement que nous avons des réserves de quatre mois, permettant au pays de ne pas souffrir sur le plan céréalier et surtout sur le plan économique», ajoute M. Kettani.

En effet, la Russie était le pays le plus gros exportateur de blé au monde en 2021/2022 avec 33 millions de tonnes exportées. L’Union Européenne, avec 30 millions de tonnes, était le second exportateur mondial, juste devant l’Australie. En quatrième position, se trouvaient les États-Unis. Aujourd’hui, la donne a changé. «Le Maroc devra faire très attention à ses échanges commerciaux, car un seul faux pas pourra lui coûter très cher», ajoute l’expert.

En terme d’énergie, Mohamed Chiguer explique que tout dépendra de la politique de l’Opep+. «La guerre a eu un effet au début : elle a amplifié la crise de Covid-19. Je pense qu’avec le temps, ça va passer mais on ne retrouvera malheureusement plus jamais les prix d’avant la propagation de la pandémie ni ceux d’avant la guerre. C’est presque impossible. Tout dépendra des changements au niveau international et le Maroc n’a pas d’emprise là-dessus», détaille-t-il.

« Consommer ce qu’on produit »

Six mois après l’invasion russe de l’Ukraine, la guerre semble s’éterniser. Elle pourrait même durer «des années», selon certains. «Les pays qui seront le plus touchés vont subir les conséquences du manque de gaz par exemple, principalement des pays de l’Europe. Je ne pense pas que la guerre puisse impacter encore plus l’économie marocaine», se projette Mohamed Chiguer.

Mais si Mohamed Chiguer se dit optimiste sur l’avenir de l’économie du pays, ce n’est pas le cas d’Omar Kettani. Sur le long terme, ce dernier craint pour l’autonomie énergétique et céréalière du Maroc. «C’est très faisable si nous changeons notre mode de production. On importe des céréales à la fois pour la consommation mais aussi et surtout pour le bétail. Même la viande, nous la produisons en important des céréales. Le royaume a une énorme richesse dans ses mers, mais préfère les exporter en Europe au grand dam des Marocains», dit-il.

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Et ce mode de fonctionnement, l’économiste le qualifie d’héritage du modèle de développement imposé aux anciens pays colonisés. «Malheureusement, ça se prolonge. Il faudrait qu’on revoie notre modèle. Au lieu de nourrir le bétail avec des céréales et importer le reste pour le consommateur, nous pourrions nous contenter avec le peu de céréales que nous produisons au Maroc et de nous tourner plus vers le poisson puisque nous en disposons beaucoup», suggère notre interlocuteur. Car pour lui, l’équation est simple: « Si nous n’avons pas une autosuffisance en termes de céréales au Maroc, c’est que nous gaspillons une bonne partie du blé en nourrissant le bétail ».

Il faudrait revoir aussi le modèle de consommation des Marocains en général. Manger du pain d’orge est par exemple beaucoup plus bénéfique pour la santé du citoyen mais aussi pour l’économie du pays. «Nous avons hérité de mauvaises habitudes du modèle occidental. Il faudrait revoir nos relations commerciales. Et au lieu de consommer ce qu’on ne produit pas et d’exporter ce qu’on produit, on devrait peut-être commencer faire l’inverse et consommer ce qu’on produit», conclut Omar Kettani.

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