Figuig: «Ni le Maroc ni l’Algérie n’ont fait les choses dans les règles de l’art», selon Mostafa Bouaziz

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L'ancien président algérien Ahmed Ben Bella et le roi Hassan II. Crédit: DR.

L’expulsion des Marocains d’El Arja (Figuig) a suscité un grand émoi. Protégé par le droit international, l’Algérie devrait tout de même indemniser les propriétaires marocains, nous explique l’historien Mostafa Bouaziz, natif de la région, qui revient également pour H24 Info sur l’ensemble des donnés historiques ayant conduit à ce découpage au niveau de cette frontière. 

Les Marocains d’El Arja (Figuig) doivent déserter leurs terres agricoles sur ordre de l’armée algérienne ce jeudi 18 mars. Des sit-in et protestations ont été organisés par les concernées, sans qu’il n’y ait de réaction officielle de la part des autorités marocaines.

Ce n’est que le mardi 16 mars que le gouverneur de la province de Figuig a tenu une réunion avec plusieurs des exploitants de ces terres agricoles afin «d’examiner les développements de la situation», rapporte l’agence MAP, citant un communiqué de la préfecture de la province de Figuig.

La même source évoque une «décision provisoire et circonstancielle des autorités algériennes», face à laquelle il s’agira de chercher «les solutions susceptibles d’atténuer les retombées de la décision» algérienne.

Cette tâche incombera à l’autorité provinciale en «coordination et en concertation continues avec les instances représentatives de la communauté soulaliyate et les exploitants des terres agricoles», précise le communiqué également.

Entre-temps, les propriétaires tentent d’arracher tant qu’ils le peuvent leurs dattiers.

Contacté par H24 Info, l’historien Mostafa Bouaziz, originaire de la région, démêle cette complexe affaire.

Avant de replonger dans l’histoire, Bouaziz affirme d’abord qu’il «s’agit d’un problème politique et que le Maroc ne veut pas tomber dans le piège en répondant par une action militaire surtout que le droit international n’est pas de son côté»

En effet, Mostafa Bouaziz explique que «l’actuelle situation donne raison à l’Algérie, étant donné qu’il s’agit d’un territoire algérien si nous nous basons sur la convention de 1972».

Toutefois, il est à signaler que «les cultivateurs marocains disposent de titres de propriété, parfois même séculaires» indique l’historien, notant que ces titres étaient reconnus par les Français et même après le tracé de 1972, les figuigis n’ont pas été empêchés de planter sur ces terres».

Problème de souveraineté

«Durant ces dernières décennies, l’armée algérienne franchissait la frontière et récupérait les récoltes des agriculteurs (…) ces pillages coïncidaient généralement avec des moments de tension politique et c’est exactement ce qui se produit aujourd’hui», insiste l’historien.

Bien que la situation semble avantager l’Algérie, les propriétaires marocains peuvent encore recourir à des actions en justice. C’est ce qu’explique Mostafa Bouaziz pour qui il faut différencier entre souveraineté étatique et propriété privée.

Dans ce sens, il est à noter que «dans le droit international la souveraineté n’aliène pas la propriété privée. Ce qui fait que bien qu’il y ait souveraineté algérienne sur cette partie du territoire de Figuig, la propriété revient à des Marocains, tout comme des Algériens peuvent avoir des propriétés dans d’autres territoires au Maroc», indique notre interlocuteur.

 

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Étant un territoire frontalier, une autre particularité vient s’ajouter au niveau juridique. En effet, «deux solutions sont proposées ; soit on octroie un laissez-passer spécial aux frontaliers pour exploiter leurs propriétés, soit le pays souverain exproprie les propriétaires, mais à condition de les indemniser. S’ils ne sont pas indemnisés, c’est leur État qui les indemnise et c’est à lui de rentrer en conflit juridique au niveau international avec le pays qui a exproprié ses ressortissants», souligne Mostafa Bouaziz.

Problème historique et géopolitique

Afin de mieux cerner le problème, l’historien Mostafa Bouaziz énumère les différents couacs ayant mené au mauvais traçage de cette partie-là du royaume. Pour cela il faut remonter au début du XIX siècle, lorsque la relation entre les deux pays a été ébranlée à plusieurs reprises.

Avec l’arrivée des Français, «il y a eu divergence sur les stratégies (…) la division entre les deux pays s’est alors installé, et jusqu’au jour d’aujourd’hui nous n’avons pas dépassé ce problème», affirme notre interlocuteur.

Après la défaite militaire du Maroc lors de la bataille d’Isly en août 1844, le royaume a été contraint de signer en mars de l’année suivante le fameux traité de Maghnia, signé dans la ville éponyme. «Ce traité qui délimite les frontières entre les deux pays est contesté par le Maroc. Il n’a été signé que par le plénipotentiaire, mais jamais ratifié par le sultan», souligne Mostafa Bouaziz.

Le traité est contesté car il désavantage clairement le Maroc. De plus, «si de la Méditerranée à Aïn-Béni-Mathar le tracé est bien effectué, c’est-à-dire topographiquement, d’Aïn-Béni-Mathar à Figuig, la frontière est humaine et elle n’est donc pas tracée». Et même ce tracé «humain» a été fait de «façon abusive, car des tribus marocaines ont été déclarées algériennes, ce qui a conduit à une protestation officielle du sultan Moulay Abderrahmane».

«À partir de la fin du XIX siècle, la France grattait morceau par morceau le territoire marocain, en se basant justement sur ce traité de Lalla Maghnia. Comme la frontière est humaine, les tribus de cette région-là ont reçu des aides et parfois ont été bombardées pour devenir Algériennes. Les gens de Figuig ont refusé de rejoindre la France, ce qui a conduit au bombardement de la ville par les Français en 1903», rappelle Bouaziz.

D’autres tribus ont fléchi face aux envahisseurs et c’est pourquoi «on retrouve ce tracé très particulier au niveau de cette région», indique-t-il, rappelant que Figuig «encerclée par le pays voisin, au sud, à l’est et à l’ouest, laissant seulement le nord de la ville connecté au Maroc».

 

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Le problème a perduré, mais lorsque le Maroc a obtenu son indépendance, la France lui proposait de récupérer le Sahara Oriental, à condition de reconnaître «l’Algérie française» ce que Mohammed V a refusé, indique Bouaziz. Au lieu de cela le Maroc a signé un accord avec le gouvernement révolutionnaire provisoire de l’Algérie, en présence de Ferhat Abbas, de son Premier ministre Benyoucef Benkheda et le prince héritier Hassan II.

«L’accord stipulait que dès l’indépendance de l’Algérie, les deux pays voisins allaient négocier à l’amiable la frontière maroco-algérienne», souligne notre interlocuteur. Mais après son indépendance, le régime algérien préféra se rallier au principe proposé par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), celui de l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme.

«Cette divergence donnera donc naissance à la guerre des sables en 1963. Il y avait une guerre entre les deux pays, mais Figuig n’était pas un lieu de conflit, malgré cela,l’Algérie a bombardé la ville la même année», poursuit l’historien.

Un nouveau tracé est alors discuté entre les deux pays en 1972, mais ne sera avalisé par le parlement marocain qu’en 1986. «L’erreur dans ce tracé est évidente. Car pour dresser une frontière entre deux pays et conformément au droit international, s’il y a une chaîne de montagnes, c’est la montagne qui délimite ce tracé, pour qu’il y ait égalité entre voisins (…) le tracé de 1972 passe outre cette montagne et délimite la frontière au niveau d’un oued».

«Ni le Maroc ni l’Algérie n’ont fait les choses dans les règles de l’art et les populations en souffrent», estime l’historien, notant que des cas de spoliations sont recensés dans les deux pays.

«Au delà des petits calculs des régimes, l’intérêt des peuples de la région réside dans l’édification stratégique du Maghreb et l’intégration positive des économies. Cela nécessite une paix des braves entre le Maroc et l’Algérie», conclut-il.

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