Fête de l’Indépendance: ces résistants qui ont donné leur nom à des boulevards casablancais

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Mohamed Zerktouni, Ahmed Rachidi, Brahim Roudani, Rahhal El Meskini,  Abdellah Chefchaouni, Hoummane El Fatouaki,… des noms passés à la postérité qui ont donné leurs noms aux boulevards, allées et places de Casablanca. 

Au quotidien, on n’y prête pas ou peu attention. On les utilise mécaniquement pour indiquer à un taxi où nous déposer ou fixer un rendez-vous à un ami. Qui sont ces résistants qui ont donné leur nom aux principaux boulevards de la ville blanche?

Brahim Roudani
Le compagnon de Ben Barka

Membre fondateur de l’Organisation secrète marocaine Al Mounaddama Sirriya à la fin des années 1940, Brahim Roudani est un riche commerçant né à Si Adi Addou Ben Brahim en 1907 près de Taroudant. Issu d’une famille soussie de cette ville, il s’installe à Casablanca dans les années 1930 où il ouvre une boucherie. En 1943, il adhère au parti de l’Istiqlal, mais n’apprécie guère la direction bourgeoise du parti.

Dès son adhésion, il se rapproche de Mehdi Ben Barka alors chargé de l’organisation des cellules du parti national à travers le pays. C’était le bras droit de Mehdi Ben Barka au sein de l’organisation secrète de l’Istiqlal. C’était le véritable meneur de la résistance grâce à un réseau d’épiciers dans sa ville d’origine, Taroudant.

Il mettait à la disposition du mouvement de résistance, armes et argent afin de les aider à combattre l’occupant. Arrêté puis torturé au centre de détention Darkoum en juin 1954, il en sort affaibli.

Il sera assassiné le 5 juillet 1956 par des membres du Croissant noir à Casablanca.

 

Rahal Meskini
Victime de règlements de compte

Affilié à Mounaddama Sirriya de l’Istiqlal, Rahal Meskini est originaire comme son nom l’indique de la tribu de Beni Meskine (région Chaouia-Ouardigha). À 21 ans, il rejoint la section de Kénitra du parti de l’Istiqlal (1947). En 1952, il s’installe à Casablanca où il prend le train en marche au sein de la Mounadama Sirriya.

Réputé impitoyable avec les colons, Meskini l’était également avec les «Marocains féodaux» et les autres factions de la résistance marocaine qui ne suivaient pas la ligne de l’Istiqlal. Tout comme Roudani, il est arrêté en 1954. Après avoir subi différentes sortes de tortures dans les geôles de l’occupation, il parvient au bout de quarante jours à prendre la fuite. Juste après l’indépendance, il trouvera la mort le 17 décembre 1956 sous les balles des militants du Croissant noir.

Mohamed Zerktouni, le martyr

Jeune menuisier natif de l’ancienne médina de Casablanca, Zerktouni est connu pour avoir été le meneur de «l’attaque à la bombe du marché central». Il est également le maître d’œuvre de l’opération du «Rapide Casa-Alger ».

Membre dirigeant de l’Istiqlal à Casablanca, il joue d’abord un rôle dans le démantèlement d’une structure ad hoc de lutte armée. En 1951, il est l’un des fondateurs, aux côtés d’Abderrahmane Senhaji, de la Mounadama Sirriya.

Rompu au travail clandestin, il veille à la constitution des cellules, s’occupe de trouver les armes et de les acheminer vers Marrakech plus tard tout en échappant aux coups de filet tendus après les opérations.

Les autres membres de l’Organisation secrète cherchaient à le protéger et lui proposent de partir organiser l’Armée de libération nationale au nord, mais il refuse.

En tête de liste des personnes les plus recherchées par le résident général Juin, qui suite à l’explosion de la bombe au Marché central (1953 en plein Noël) avait fait 19 morts, promet «une lutte sans merci contre les terroristes», Zerktouni se suicide en avalant une capsule de cyanure au moment où la police est venue l’arrêter chez lui le 18 juin 1954.

 

Ahmed Rachidi
Le romantique

Titulaire d’un Certificat d’études primaires (CEP), Ahmed Ben Mohamed Rachidi maîtrisait bien la langue française. Il est connu pour avoir tué le moqaddem Mohamed Ben Larbi pour, dit-il devant le tribunal, «donner un exemple aux autres traîtres».

Le plus important dirigeant de l’organisation La Main Noire (dont l’ancêtre est la Mounadama Sirriya) avait mené un échange courageux devant le juge français, rapporté par un grand avocat français Me Jean Charles Legrand «fervent défenseur de la décolonisation».

Extrait :
« (…) –Le Président : Votre action est une régression et vous revenez au Moyen-Age.

Rachidi : Oui, il y a des féodaux au Maroc, comme El Glaoui.

-Le Président: Vous n’arriverez à rien par vos violences. Le meurtre n’est pas un moyen politique.

-Rachidi : La violence convient à la situation actuelle. 

-Rachidi répond : C’est la propagande anglaise. «Mon action avait un but politique. On avait chassé notre Sultan. J’ai tué le moqqadem pour donner un exemple aux autres traîtres et aux colonialistes.  C’était pour commencer et il y en aura bien d’autres.»

-Le Président : Qu’est-ce que le colonialisme?

-Rachidi : Ce sont les gens qui font des esclaves au Maroc. Je ne regrette rien. Je suis très fier de mourir pour la défense de ma cause. Je serai condamné pour avoir tué un traître par ceux qui prêchent la liberté et la démocratie.

-Le Président: Vous serez condamné parce que vous êtes un terroriste.

-Rachidi : Je fais du terrorisme comme vous en avez fait contre les nazis.  »

 

Suite à l’arrestation de son compagnon Mekki, le 5 octobre 1953, dans l’ancienne médina de Casablanca, la police découvre sa cache d’armes, logée sous la scène du cinéma Rio et Rachidi tombe dans les filets de l’occupation. «Ne me bandez pas les yeux, laissez-moi voir le ciel bleu de mon pays». C’était son dernier souhait, le 4 janvier 1954, face au peloton d’exécution.

 

Abdellah Chefchaouni
Le résistant de Fès

Réputée pour être le bastion de la résistance, la ville de Fès où est né le parti de l’Istiqlal n’a pas connu de véritable lutte armée face au colonisateur. Celle-ci se limitait en grande partie à l’action politique menée par les vétérans du parti de l’Istiqlal. Sous l’impulsion de Mohamed Zerktouni, plusieurs tentatives sont menées pour passer à l’acte armé.

Finalement, un cordonnier du nom d’Abdellah Chefchaouni s’était montré le plus actif du réseau. Il a été l’artisan de l’attentat contre le pacha Baghdadi à Bab Ftouh (le 1er mai 1954) qui s’en est tire avec des blessures suite à cette action armée du groupe de Chefchaouni. Arrêté le 23 mars 1955, son avocat traduit ainsi sa pensée : «Je ne suis pas un criminel, mais un homme libre qui défend sa patrie, sa religion et son sultan». Il est exécuté le 2 août 1955.

 

Hoummane El Fetouaki
Le militaire

Natif du Haouz (tribu des Fetouakas 1908) dans la région de Marrakech, dans une famille de paysans, Hoummane n’a pas été scolarisé. A l’âge 20 ans, il décide de quitter le foyer familial pour chercher un emploi dans la ville de Tétouan, alors sous protectorat espagnol. C’est là qu’il s’engage dans les rangs de l’Armée espagnole en tant que soldat. Il y passera presque six ans avant de revenir s’installer à Marrakech au milieu des années 1940. Il intègre les cellules secrètes menées par Mohamed Zerktouni et crée à son tour plusieurs cellules à Marrakech avant de passer à l’action en mars 1954.

Sa première opération a lieu le 5 marscà la mosquée Koutoubia, où deux bombes sont lancées. Le pacha Thami El Glaouin, principale cible, en sort indemne. Le 19 mars, les résistants marrakchis récidivent à la mosquée Berrima, jouxtant le palais. Sachant que le sultan Mohammed ben Arafa en visite à Marrakech y faisait sa prière, le jeune Ahmed Ben Ali y dépose une bombe. Le « sultan » ainsi que six membres de sa garde rapprochée sont blessés.

 

Le réseau El Fetouaki abat le commissaire du gouvernement près du tribunal chérifien Maurice Monier le 15 mai 1954, rate de peu le Résident général Augustin Guillaume lors de sa visite d’adieu à Marrakech le 25 mai 1954, et blesse de plusieurs balles de général d’Hauteville le 20 juin 1954. Mais, à la suite de l’assassinat du contrôleur civil délégué aux affaires urbaines Claude Jean Thivend le 23 juillet 1954 et à la tentative d’assassinat du président de la chambre de commerce marocaine le 25 juillet 1954, le réseau fut démantelé en août 1954. Hoummane El Fetouaki est arrêté avec dix autres membres de la cellule.

El Fetouaki fut condamné à mort, mais il n’a pas été exécuté –les autorités coloniales essayaient d’amadouer le mouvement de résistance en leur faisant miroiter une éventuelle amnistie. Le 9 avril 1955, au moment de son exécution, tout comme Rachidi il refusa de porter un bandeau sur les yeux.

Moins de sept mois plus tard, l’administration française entamera les négociations d’Aix-les-Bains qui vont baliser le chemin du retour d’exil du sultan Mohammed ben Youssef et l’indépendance du Maroc.

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