Entre sociétés frauduleuses et clients peu scrupuleux, des travailleuses philippines doublement victimes

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Les sociétés proposant les services de jeunes filles au pair d’origine philippine au Maroc sont nombreuses. Mais entre pratiques frauduleuses et violation des droits de l’homme, certaines sociétés sévissent dans la plus grande illégalité. Une entreprise en particulier a attiré notre attention.

Dans la mêlée d’agences proposant les services de travailleuses philippines, la société Prime semble être sur toutes les langues. Celle-ci fait l’objet de plusieurs plaintes de la part de clients et d’associations, relatives à des cas d’arnaque et de maltraitance.

Une demi-douzaine de victimes contactées par H24info nous a confié leur mésaventure, face à une société se croyant tout permis. Le procédé qu’emploie Prime est des plus courant, s’agissant d’un contrat biannuel permettant d’employer une fille tout droit venue des Philippines pour ses clients.

 

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Les clients déboursent la coquette somme de 35 000 dirhams de frais d’agence. Un contrat est alors signé entre les deux parties, suite à quoi la jeune femme arrive chez la famille d’accueil après deux mois d’attente. Elle est nourrie et logée chez la famille d’accueil et perçoit un salaire de 400 dollars net.

Faute partagée ?

Selon nos interlocutrices, ayant souhaité garder l’anonymat, le contrat prévoit un seul jour de repos pour ces jeunes femmes. «Mais l’agence nous déconseillait fortement de leur octroyer, affirmant qu’elles (les travailleuses) allaient en profiter pour s’enfuir», confie l’une d’elle. Dans ce sens, l’agence demandait également à ses clients de «confisquer les passeports des travailleuses, où s’en chargeait personnellement», poursuit-elle.  

Contacté par H24info, Abdelatif Laamrani, avocat au barreau de Casablanca et de Paris, nous explique «que normalement le travail de ces agences est strictement réglementé par la législation en vigueur». En effet, ces agences doivent dans un premier temps «démontrer qu’il n’y a pas de travailleur marocain capable de faire le même travail et que pour ça il faudrait faire une annonce ou passer pour l’OFPPT», souligne maître Laamrani.

Ces agences doivent ainsi se plier à une procédure bien particulière. Et lorsque ces travailleurs se retrouvent au Maroc, «ils doivent bénéficier des mêmes garanties que celles dont jouissent les travailleurs nationaux». Dans ce sens, maître Laamrani explique que «les horaires sont fixes et le travail de nuit est strictement limité. Et si ces travailleurs sont considérés comme personnels de maison, il y a dans ce sens une nouvelle loi qui a été adoptée l’année dernière par le Maroc», précise-t-il.

 

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«Mais il est strictement interdit de confisquer le passeport de quiconque, c’est un délit puni par la loi et qui est contraire aux droits de l’Homme et peut même être assimilé à la traite d’êtres humains», souligne maître Laamrani.

Des fuites anticipées 

Selon nos interlocutrices, clientes de l’agence, les cas de fuite des jeunes philippines seraient nombreux. «Une s’était enfuie une semaine après être arrivée chez nous», affirme l’une d’elles.

A l’agence il semblerait que les fuites soient anticipées, en permettant aux clients de changer trois fois de jeunes femmes. Bien que prévu dans le contrat, le remplacement engendre des frais colossaux. C’est le cas de Sara*, qui demandait un remplacement après que la jeune fille tout droit arrivée des philippines ait été diagnostiquée comme porteuse de la tuberculose. Une autre victime affirme pour sa part que la jeune fille volait dans leurs affaires, suite à quoi elle demanda un remplacement à l’agence.

Dans ces divers cas, l’agence demande le paiement de plusieurs frais, notamment les vols retours des jeunes femmes et ceux pour qu’une autre femme fasse à nouveau le déplacement. Mais il semblerait que ces jeunes femmes ne repartent pas dans leur pays d’origine, mais restent à attendre d’être replacée chez une autre famille.

 

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Une de nos interlocutrices, qu’on appellera Nadia*, a demandé le remplacement de la jeune femme qu’elle a reçu après qu’elle n’ait justifié d’aucune expérience, alors qu’elle devait s’occuper de son nouveau-né. «Elle savait à peine comment tenir un bébé, je ne voulais prendre aucun risque et après plusieurs mésaventures avec elle, j’ai demandé à ce qu’elle soit remplacée», poursuit notre interlocutrice.

Une semaine plus tard, Nadia reçoit un mystérieux appel. Croyant que c’est l’une des cogérantes de l’entreprise, elle décroche le téléphone et se retrouve avec la jeune femme qui était chez elle. «Elle m’a demandé de venir la sauver, elle parlait à voix basse et me disait qu’elle était enfermée avec d’autres Philippines dans un appartement juste au-dessus des locaux de l’agence», poursuit notre interlocutrice.

Victimes de tous types d’abus

Cet appel remonte, selon elle, à 2017, date à laquelle Nadia a porté plainte contre l’entreprise. D’autres plaintes suivront des années plus tard, et d’autres seraient sur le point d’être déposées, nous confient les clientes de l’agence. Hayat Barrahou à travers l’association Instance de Solidarité avec les Immigrés Asiatiques (ISIA) qu’elle préside a également déposé de multiples plaintes contre la société en question.

La présidente évoque la forte vulnérabilité de ces jeunes femmes, qui sont victimes de maltraitance et sont parfois même séquestrées et violées. «Il faut que les autorités prennent les devants et aillent interroger ces victimes, qui bien souvent n’arrivent pas à déposer plainte. De plus, nous sommes limités à notre niveau, seuls quelques cas nous parviennent, d’autres femmes y perdent la vie», s’insurge Hayat Barrahou.

Nous décidons alors de contacter la société en question. Jointe par notre rédaction, la cogérante de Prime nous explique dans un premier temps, lorsqu’on se présente comme de potentiels clients, «qu’elle n’a aucune fille, mais qu’elle pourrait nous en ramener sous un délai de deux mois».

Nous finissons par décliner notre identité et lui parlons de cas de plaintes. Notre interlocutrice affirme «ne détenir aucune information», bien qu’elle apparaisse comme cogérante sur le registre de commerce de la SARL et dont h24info détient une copie, affirmant n’être qu’une simple employée.

 

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Elle nous demande alors de contacter directement l’autre cogérant qui n’est autre que son mari, après avoir tenté en vain de nous soutirer quelques noms des présumées victimes de la société. Elle affirme par ailleurs qu’il n’y a aucune plainte qui a été déposée contre eux et finit par rejeter la faute sur les clients qui selon elle «abusent de ces femmes».

Durant cet appel qui a duré une petite dizaine de minutes nous sommes coupées par un homme qui se présente comme son époux. Ce dernier, sur un ton agressif, a préféré écourter notre conversation, nous laissant sur notre faim.

Aujourd’hui Hayat Barrahou et les victimes dénoncent le fait que leurs plaintes n’aient pas abouti à une enquête, mais poursuivront leur lutte jusqu’à obtenir gain de cause.

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