Ecoles françaises: le bras de fer perdure entre les parents d’élèves et l’AEFE

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Le lycée Lyautey à Casablanca, membre du réseau de l'AEFE. Crédit: DR

La colère ne désemplit pas du côté des parents d’élèves de la «mission française» qui réclament une réduction ou une exonération des frais de scolarité du 3e trimestre. Les écoles font la sourde oreille et une nouvelle relance de paiement vient de leur être signifiée.

«Vous êtes toujours redevable à ce jour de droits de scolarité pour lesquels la date d’échéance est dépassée. Je vous demande d’en effectuer le paiement dans les meilleurs délais car la facturation des droits de scolarité du 3ème trimestre ne sera pas modifiée», lit-on, sans appel, dans le dernier mail adressé aux parents d’élèves le 4 juin dernier de la part de Claude Thoinet, proviseur du lycée Lyautey, et dont H24Info détient copie. Nouvelle date limite de paiement: 15 juin 2020.

Les parents d’élèves bataillent depuis le 16 mars dernier – date du début de l’enseignement à distance – pour que l’AEFE (Agence pour l’enseignement français à l’étranger) revoit à la baisse les frais de scolarité du 3e trimestre, ainsi que les augmentations de frais de scolarité prévues pour la rentrée prochaine. Motifs invoqués: la crise économique (certains parents ont perdu leur emploi ou se retrouvent en grandes difficultés financières) ; la qualité et la quantité insuffisantes de l’enseignement à distance ; la baisse des charges des établissements en raison de l’absence des élèves dans les locaux.

«Je fais partie des parents qui ont réclamé une réduction des frais de scolarité, car c’était une catastrophe. Ils n’ont pas le droit de nous demander la totalité des frais, ça ne les vaut pas, déjà par rapport au travail fourni par les profs, ce sont les parents qui ont le plus bossé, et ensuite parce que l’école n’en pâtit pas, son personnel n’a subi aucune réduction de salaires tandis qu’à nous, on nous demande de payer la totalité des frais… Ce n’est pas correct», s’insurge Mounia*, maman de deux enfants à l’école Molière et propriétaire d’un café-restaurant qui ne génère donc plus de revenus depuis l’instauration de l’état d’urgence sanitaire.

Bilan mitigé sur la qualité de l’enseignement à distance

Pour sa fille en moyenne section de maternelle, elle dénonce un manque de suivi important avec «une maîtresse qui ne demandait pas grand-chose» ; elle «envoie une à deux fois par semaine des messages WhatsApp avec quelques exercices à faire et je lui renvoie une photo de ma fille en train de faire l’exercice et son résultat final. Elle envoie sinon des exercices de sports, des mouvements à faire».

Pour son fils en CM1, la maîtresse envoyait «exclusivement des tonnes d’exercices à faire pour les occuper toute la journée avec de temps en temps des exercices qu’elle corrigeait». «A la suite des plaintes des parents, ils ont fait une ou deux fois depuis le début du confinement des réunions de 15 minutes en vidéoconférence où la maîtresse prenait des petits groupes de quatre ou cinq enfants pour discuter avec eux. Autrement, nous étions les seuls, nous, parents, à suivre et aider les enfants à faire les exercices et comprendre un peu les leçons, ce n’était pas évident», poursuit la jeune femme.

Géraldine* a trois enfants scolarisés à l’école Molière. «Il y a vraiment une différence de qualité de suivi entre les trois. Le premier en CM2, c’est excellent, la prof fait tous les jours des vidéoconférences avec des cours, elle envoie via un site web des exercices et le lendemain les corrections. Il y a des interros en ligne, un vrai suivi et mon fils a gagné beaucoup en autonomie. Mon autre fils en CM1, c’est plus compliqué, moins de choses sont proposées, très peu de vidéoconférences mais des exercices tous les jours qui lui prennent à peu près deux heures, avec les corrections en lignes quelques heures après. Le plus catastrophique, c’est celui qui est en moyenne section. Très très peu de suivi», témoigne-t-elle.

 

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Au sein des établissements AEFE, le bilan sur la qualité de la continuité pédagogique pendant ce confinement apparaît plutôt mitigé. Si beaucoup partagent le constat d’un enseignement tronqué et dévalué, d’autres se disent satisfaits des dispositifs mis en place. C’est le cas de Lilia* qui se dit «plutôt satisfaite de la continuité pédagogique» de ses enfants inscrits à Claude Bernard (CM1) et Anatole France (3ème).

«Pour mon fils en CM1, la maîtresse a mis en place dès la première semaine de confinement une plateforme d’échange sur laquelle un planning de travail est posté quotidiennement. C’était un peu difficile de s’adapter au début, vu la quantité de travail demandée…», explique-t-elle, précisant qu’il y a également deux visioconférences hebdomadaires. « Pour ma fille en 3ème, je suis un peu moins satisfaite, certains profs se sont montrés plus motivés que d’autres », poursuit Lilia, mentionnant des QCM en ligne, des devoirs à rendre et des visioconférences. «Globalement l’ensemble du corps professoral ne ménage pas ses efforts pour gérer cette crise au mieux et assurer une continuité pédagogique».

Sonia*, mère de trois enfants à l’école Claude Bernard dit «apprécier le travail des enseignants». «Concernant le travail à la maison, je n’ai vraiment rien à dire. Il y a des échanges quotidiens par mails. Les maîtresses de mes enfants font des retours régulièrement sur le travail rendu. Elles ont mis en place plusieurs supports pour faciliter leur travail. Il faut tenir aussi compte du fait qu’elles ont une famille et des enfants, donc chapeau à elle», témoigne cette mère au foyer depuis deux ans dont le mari, Français non-résident, n’a plus d’activité depuis le confinement.

Sonia réclame toutefois elle aussi une réduction sur les frais de scolarité du 3e trimestre. «Il est de notre droit d’obtenir cet abattement. Certains frais réels (électricité, maintenance, logistique…) ne sont plus les mêmes pour les écoles puisqu’elles sont fermées. Par contre, les familles ont des charges supplémentaires. Certaines ont dû acheter un ordinateur, une imprimante, du matériel scolaire puisque celui acheté au début et en cours d’année est resté à l’école», argumente ce parent d’élève.

 

«Pas d’économies substantielles»

 

Autre son de cloche du côté des écoles qui déclarent ne pas avoir connu de baisse significative de leurs charges durant ces derniers mois malgré l’enseignement à distance. Dans une interview accordée le 5 juin dernier à L’Économiste, Clélia Chevrier Kolacko, conseillère de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France au Maroc avance que «la fermeture des écoles n’a pas généré d’économies substantielles».

Et de détailler: «Tous les salaires ont été payés, ce qui représente environ 80% des dépenses. Les contrats de prestation sont annuels et ne peuvent être suspendus. La diminution des consommations d’eau ou électricité ne compense pas les coûts générés pour annuler certains engagements (voyages scolaires remboursés à 100% aux familles alors que des frais avaient été engagés par les établissements), permettre la continuité éducative (achat de matériels informatiques), et envisager la réouverture des établissements dans le respect des mesures sanitaires (achat de matériels sanitaires). Les écoles concentrent ainsi leurs efforts sur l’aide aux familles les plus fortement touchées par la crise économique liée au Covid-19».

Même discours du côté du proviseur du lycée Lyautey, Claude Thoinet, dans son dernier courrier aux parents: «Une continuité pédagogique a bien été assurée et les services administratifs ont fonctionné le plus régulièrement possible et je précise que pendant la période de confinement, les économies réalisées par l’établissement pendant ces mois de fermeture sont minimes (de l’ordre de 500.000 DHS par mois), contrairement à ce qui est parfois avancé, et sont ainsi bien en-deçà de ce que l’établissement consacrera au dispositif d’aide des familles en difficulté».

Une aide au cas par cas

Une aide aux familles «au cas par cas» qui n’est pas du goût de tous les parents. «Ce qui me choque le plus, c’est qu’aucun abattement n’a été fait pour l’ensemble des familles», poursuit Sonia qui cite en exemples les écoles françaises de Dubaï et de Barcelone où une réduction a été accordée sur les frais du 3e trimestre. «On a conscience que cela n’est pas facile pour l’AEFE mais les efforts ne doivent pas aller que dans un sens».

Chacune des deux parties appelle l’autre à plus de solidarité. «Appliquer une réduction générale à l’ensemble des responsables, quelle que soit leur situation financière, mettrait non seulement l’établissement en difficulté (30 % de réduction sur les droits de scolarité du 3ème trimestre représenterait une diminution de 30.700.000 DHS des recettes ce qui nous pousserait à prendre des décisions ayant un impact dévastateur sur le fonctionnement des établissements) mais laisserait aussi certaines familles sans autre choix que de déscolariser leur enfant (la réduction, quelle qu’elle soit, n’arrangeant en rien leur situation)», répond le proviseur du lycée Lyautey, Claude Thoinet, dans son dernier mail de relance de paiement déjà cité plus haut.

«L’option de réduction générale n’a été privilégiée ni par l’établissement ni par l’AEFE ni par l’État français ; c’est un principe de solidarité qui a dicté les décisions prises» ajoute-t-il, à savoir «une avance de 100 millions d’euros pour soutenir les établissements dans leur aide aux familles» et une «enveloppe des bourses scolaires de 50 millions d’euros».

Ces deux mesures accordées par l’État français sont profitables «aux familles en grande difficulté financière», via des «commissions d’exonération», le but étant «d’éviter les ruptures de scolarité», lit-on dans le point d’information sur la rencontre entre les associations de parents d’élèves et le service de coopération et d’action culturelle (SCAC) le 7 mai dernier. «Des justificatifs seront demandés aux familles pour documenter leur demande, afin de garantir une juste répartition des aides», précise le document.

 

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Par ailleurs, l’avance des 100 millions citée plus haut provient «de l’opérateur public France Trésor mobilisée via l’AEFE pour faire face aux besoins de trésorerie des établissements, quel que soit leur statut (EGD, OSUI, partenaires privés…), afin de leur permettre d’accorder aux familles en grande difficulté de toutes nationalités des reports de paiement de plus ou moins longue durée, voire des remises partielles ou totales».

A cette annonce, Manal*, mère de deux enfants inscrits au groupe scolaire Louis Massignon géré par l’OSUI (Office scolaire et universitaire international), s’interroge: «On peut se demander pour quelle raison les familles ne bénéficient-elles pas de cette aide octroyée et que la totalité des frais de scolarité leur soit exigée».

La plupart des établissements ont accordé un échelonnement des frais du 3e trimestre aux parents qui en ont fait la demande, mais une réduction de ces frais, comme le souhaite une grande partie des parents, reste inenvisageable par l’AEFE. «Le choix qui a été fait par l’AEFE (renforcement du dispositif de bourses scolaires pour les familles françaises et possibilité de demande de remises gracieuses pour les familles non françaises) nous semble le seul viable pour les établissements», affirme Claude Thoinet, proviseur du lycée Lyautey, qui rappelle aux parents que «si la régularisation n’est pas effectuée avant la date indiquée, [leur] enfant ne pourra être réinscrit l’année scolaire prochaine».

Pas d’augmentation des frais de scolarité pour la rentrée prochaine

En parallèle, le proviseur annonce que «l’AEFE a décidé de réduire l’augmentation des frais de scolarité initialement prévue, en la fixant à 2% au lieu des 7% annoncés pour le Groupement d’établissements en gestion directe de l’AEFE de Casablanca – Mohammedia, et de reporter ainsi les projets immobiliers des établissements». De son côté, le lycée Lyautey «a décidé de multiplier par 5 le montant alloué aux remises gracieuses, de 2 millions de dirhams à 10 millions de dirhams», remises gracieuses bénéficiant aux familles non françaises.

Le député des Français de l’étranger, Mjid El Guerrab, très sollicité ces derniers temps sur les problématiques relevant de la France et du Maroc pendant cette crise (AEFE mais aussi Marocains et Français bloqués à l’étranger), a partagé hier sur sa page Facebook le « compte-rendu de [son] entretien avec le directeur de l’AEFE », Olivier Brochet. «Toutes les augmentations annoncées au Maroc seront annulées: on revient au principe du gel hors inflation (+2%). Tous les projets et les investissements arrêtables seront arrêtés», confirme-t-il.

Pour le moment, 500 familles ont fait la demande de bourses dans le cadre du dispositif exceptionnel mis en place par l’Etat français. «A Rabat et à Casablanca, presque 100% des frais de scolarité ont été acquittés au 2e trimestre contre 70% en moyenne pour le 3e trimestre. Par contre, problème à Tanger, Marrakech et Meknès où seulement 16% des frais de scolarités ont été réglés. Une évaluation est en cours…», rapporte le député qui précise que «les besoins sont estimés à plus de 1 million d’euros de bourses supplémentaires» et que «de manière générale, le réseau marocain de l’AEFE nécessite 2,5 millions d’euros pour se maintenir».

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*Les prénoms ont été modifiés

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