Du commerce de peaux aux puces électroniques, la surprenante histoire de Derb Ghallef

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Lieu emblématique de Casablanca, Derb Ghallef est devenue au fil des années une caverne d’Ali Baba où on trouve à peu près tout, des outils de bricolage jusqu’au matériel électronique le plus sophistiqué. Retour sur l’histoire d’un lieu qui brasse quotidiennement des sommes astronomiques et fait vivre des milliers de familles.
Tout commence en 1905 après la mort du représentant des commerçants de peaux, l’Amin du souk. El Hajj Bou’azza Ghallef qui laisse en héritage plus d’une trentaine d’hectares, un terrain connu aujourd’hui sous le nom de Derb Ghallef. Dix ans plus tard, l’aîné des Ghallef se lance dans la location des «Zribas» (ndlr, écuries) d’une quarantaine de mètres pour les ânes, mulets et autres chevaux. Au fil du temps, les zribas se transforment en habitations.

En 1920, lorsque les services municipaux obtiennent du tribunal la démolition de cette zone réservée au départ à l’extension de l’habitat européen, une centaine de foyers y ont déjà élu domicile. Les habitations poussent comme des champignons et on dénombre quelque 1.954 maisons, 634 baraques où sont logés 20.754 habitants, selon le recensement de 1952. Les petits commerçants de Derb Ghallef sont de plus en plus nombreux et travaillent majoritairement dans le commerce des peaux (Dar Dbagha). Les choses resteront inchangées jusqu’à ce qu’un incendie ravage les lieux en 1959. Après ce drame, Derb Ghallef sera transformé en jardin et seuls quelques poissonniers continuent à occuper les lieux.

Portrait non authentifié d’un membre de la famille Ghallef.

L’exil forcé à « Benjdiya »
Pour continuer leurs activités, les autres marchands de Derb Ghallef s’installent dans le quartier Benjdiya. Les affaires y vont bon train jusqu’à ce qu’un second incendie ne vienne tout détruire en 1982. Les commerçants perdent tout ce qu’ils possèdent et réclament aux autorités d’être dédommagés. Quelques 730 propriétaires d’échoppes seront retenus pour un relogement qui tarde à venir. L’État finira par installer les commerçants de Benjdiya dans une «joutiya» au quartier Sid El Khadir (Hay Hassani), mais l’endroit s’avérera un désastre pour leurs affaires. Ils organisent alors un sit-in devant le ministère de l’Intérieur pour réclamer un lieu plus propice à leur business.
Driss El Basri, alors puissant ministre de l’Intérieur, tente la carte de la réconciliation en ces termes: «Puisque ce terrain – Derb Ghallef- est vide, qu’on y signale des agressions et des vols, autant y installer ces marchands». Ces propos sont loin de plaire au Wali de la capitale économique Mohamed El Fizazi, qui tente de s’opposer à cette décision, mais Basri veut tenir sa promesse coûte que coûte, nous raconte Ahmed Ridaoui, l’un des 730 vendeurs qui a bénéficié de ce programme. «Les autorités nous ont donné une autorisation d’installation provisoire, car ce n’était pas une terra nullius et qu’un jour les propriétaires des lieux réclameront leurs droits», ajoute-t-il. Depuis, aucun accord n’a été signé entre les propriétaires des lieux et l’État et les commerçants continuent à occuper un terrain qui ne leur appartient pas. Et ce provisoire s’est installé jusqu’à nos jours.
 

 
L’autre technopark 
Avec le lancement des télévisions satellitaires et la commercialisation des premiers décodeurs des chaines, Derb Ghallef entame une transition de la culture du marché aux puces  à celui réservé aux dernières nouveautés techniques, et devient par entrainement un marché du neuf où l’artisanat côtoie le matériel électronique le plus sophistiqué. Cette mutation attirera les investisseurs au point de provoquer une surchauffe du marché en raison des spéculations à tout-va. Résultat: les commerces se négocient à des millions de dirhams et les loyers grimpent jusqu’à atteindre 10.000 DH.
Une légende urbaine naîtra de ce foisonnement économique: Derb Ghallef est la Mecque des génies du numérique. Ces techniciens donneront du fil à retordre à plusieurs chaines de télévision cryptées comme Al Jazeera Sport, devenue BeIn sport, sans oublier Canal+ qui a finit par jeter l’éponge au Maroc en raison des pertes accusées par le piratage de son bouquet. À partir du début des années 2000, l’informatique, les jeux vidéos, et les DVD piratés, et les premiers téléphones portables deviennent le principal cœur du business à Derb Ghallef qui attire de jeunes techniciens qui ont sens poussé de la débrouille et du bidouillage.

Achat, vente, réparation, installation de logiciels piratés… Derb Ghallef devient un marché fréquenté par toutes les couches sociales et sa réputation dépasse même les frontières du Maroc. Pour le moment, ce marché légendaire est devenu l’emblème d’une économie à deux vitesses, dont les retombés sur la population retardent chaque jour sa réorganisation et son entrée dans le secteur formel.

 

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