Décryptage. Ces islamo-humoristes qui s’en prennent aux femmes

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C’est une nouvelle forme de prosélytisme. De plus en plus d’imams, parfois autoproclamés, se lancent dans la prédication humoristique. Un bon filon qui rapportent des milliers, voire des millions de clics. Ces islamistes sont-ils cool pour autant ? Leur message est-il si modéré qu’ils veulent faire croire?  Décryptage.  

« Un jour, un homme est venu voir son ami. Il l’implore afin qu’il lui prête de l’argent. Le fisc lui doit une somme qu’il doit régler sous deux jours, sinon l’administration saisira ses biens. Son ami le regarde et lui répond : “si tu traines à payer l’État qui possède d’énormes moyens entre inspecteurs d’impôts, policiers et gendarmes, moi, si par malheur je te prête, tu ne me rembourseras jamais». Cette blague n’est pas extraite du dernier one-man-show de Hassan El Fad ni encore moins d’un sketch de l’humoriste Eko. Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette histoire drôle est l’œuvre d’un prédicateur dont les vidéos font des ravages sur les réseaux sociaux.

Une barbe légère, un visage expressif et une voix affirmée, l’homme fait de ses sermons de véritables spectacles d’humour en bonne et due forme. Lui, c’est Cheikh Al Alaoui. Il ne laisse rien au hasard. Avec son accent aux sonorités marrakchies, ces prêches s’apparentent à des scènes de Halqa. Les gestes, le rythme et les intonations, tous les ingrédients y sont réunis.

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Ce vieil homme énergique fait partie de cette génération d’islamo-humoristes qui usent du rire comme arme de prosélytisme. Une tendance qui s’est développée ces dernières années dans la sphère médiatico-religieuse.

Ils sont de plus en plus nombreux. De temps en temps, des vidéos d’un tel ou tel théologien apparaissent sur facebook ou twitter avec toujours ce type de titre “écoutez bien ce Cheikh”, ou encore “quelle éloquence ! ce prédicateur me fait rire et ce qu’il est vrai”. 

La formule est assez simple : parler de religion en enchaînant les vannes. Et ça marche. Leurs prêches, immortalisés sur internet, sont alors partagés massivement sur les réseaux sociaux ou encore via messagerie instantanée. Il y en a même ceux qui semblent avoir bien assimilé les nouveaux codes de la communication à l’ère du tout numérique : humour, rapidité, références à la pop-culture, tout y est. Certains sont devenus quasiment des stars sur le net. 

Avec son accent du nord et sa langue acerbe, Redouan Ben Abdeslam est sans conteste le plus célèbre d’entre eux. Ce gaillard, originaire de Tétouan, soigne même sa présence sur internet. Il poste régulièrement des clichés de lui ou des vidéos sur les réseaux jouant ainsi la cool attitude.

Sa femme est souvent présente à ses côtés lors de ces moments privées partagés avec sa communauté de fans. D’ailleurs, elle l’est également dans ses « spectacles ». Il parle d’elle en sortant ici et là quelques anecdotes. Le but étant d’afficher le visage sympathique d’un mari aimant et respectant la femme. Mais quel genre de femme ?

Pour lui, la femme se doit d’être couverte de la tête au pied à la manière des afghanes sous l’ère des talibans. Il ne le dit pas, mais l’insinue, le suggère et le glisse entre les lignes. Et si vous ne comprenez pas, ses photos de couple sont là pour vous le faire comprendre.

Vision radicale

Si chacun y va de sa doctrine, ces prédicateurs qui se veulent rigolos, sympathiques et branchés véhiculent tous cette vision archaïque de l’islam à la sauce wahabite. Certains s’en prennent aux amateurs de football, d’autres s’attaquent aux feuilletons télévisés. Mais leur principale cible reste la femme. Sur ce sujet, ils sont presque tous d’accord. Apparemment dans l’islam qu’ils prodiguent et dont ils rêvent, le sexe féminin n’a pas de place. L’un d’eux est même allé jusqu’à interdire aux non-mariées de faire le pèlerinage à la Mecque. « Elle veut accomplir le haj ? Elle a de l’argent ? Elle n’a qu’à se marier. Elle fera un heureux au passage », lance-t-il sous les rires des spectateurs. 

Plus ils mettent le paquet sur le femme, plus ça cartonne. Finalement, un discours radical reste un discours radical peu importe la manière dont il se présente. «Les propos radicaux de certains groupes qui excluent une partie de la société ont tous un point en commun. Ils ont une vision simpliste et archaïque du monde», affirme Mohamed Benhammou, Directeur du Centre Marocain des Etudes Stratégiques.

Si les régulateurs comme la HACA veillent au respect des dignités et à la lutte contre toutes formes de discriminations dans le paysage audiovisuel, sur internet c’est une autre paire de manches. Car il s’agit surtout d’un phénomène de société plutôt qu’autre chose, juge Mohamed Benhammou. Pour le chercheur, il faut un travail de fond dans la société en passant notamment par l’éducation. «Il faut changer ces mentalités qui ne sont plus de cette époque. Ni encore moins du siècle dernier. Si ces propos passent sur internet et, de surcroît, font rire c’est qu’en société, on tolère ça», regrette-t-il. 

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