Cannabis: entre problèmes fonciers et lois pas très explicites, la ruée vers l’or vert compromise ?

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Crédits: FADEL SENNA / AFP

Les prospections dans la région du Rif ont déjà débuté et de nombreuses personnes sont déjà venues s’enquérir sur les terres à acheter ou les business à monter autour du cannabis thérapeutique. Mais entre rumeurs et méconnaissances du terrain, investir dans ce marché légal peut s’avérer risqué.

«Depuis l’annonce de la légalisation, on a remarqué beaucoup de va-et-vient dans la région. Ce ne sont ni des touristes ni des personnes du coin…», constate Hassan* revendeur d’huile de chanvre produite à Ketama.

Certains évoquent même une flambée des prix des terres depuis cette annonce, «même si ce phénomène avait déjà débuté bien avant», explique notre interlocuteur, natif de la région. «La flambée des prix a débuté avec notamment le lancement de plusieurs projets touristiques à Al Hoceima et Nador et surtout après le long séjour du roi Mohammed VI l’an dernier à Al Hoceima», où il avait d’ailleurs célébré le 67ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, explique Hassan.

Selon notre source, plusieurs personnes se sont rendues sur place pour s’informer et établir des contacts avec les producteurs. «La région qui semble intéresser le plus est celle de Ketama, historiquement et mondialement connue pour sa production de cannabis, mais pas seulement», poursuit-il, notant que les régions voisines semblent gagner en popularité.

 

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«Les gens viennent surtout s’informer, mais il n’y a encore rien sur le terrain, car, le projet de loi ne délimite pas encore la région où la culture sera autorisée, même si tout le monde évoque Ketama», poursuit notre interlocuteur.

Autrefois cantonnée dans cette région, la culture du cannabis s’est propagée bien au-delà. «D’autres plantations ont pris de l’ampleur ces dernières années à Hmada, Targuist ou encore Taounate (…) mais personne ne sait encore si ces régions seront incluses dans le projet», affirme Hassan.

Des questions sans réponses qui avaient même conduit à un rassemblement le 13 mars dans la région de Ketama.

L’homme qui harangue la foule sur la vidéo est bien connu dans la région selon notre interlocuteur qui rappelle que les contestations ayant débuté là en 2016 sont la véritable étincelle qui a conduit au Hirak rifain.

Le problème foncier à l’origine du Hirak en 2016

En effet, cinq ans plus tôt, le 8 mai 2016, une marche nationale était organisée depuis le douar de Talarwaq (commune Issaguen, près de Ketama), soit 20 jours avant la mort de Mohcine Fikri. Les raisons de cette grogne sociale étaient liées au problème foncier dans la région.

Contacté par H24Info, le sociologue Khalid Mouna, auteur notamment de l’ouvrage «Les nouvelles figures du pouvoir dans le Rif central du Maroc», affirme que «le Hirak du Rif est principalement fondé sur le foncier».

«Les cultivateurs de cannabis n’ont souvent aucun titre foncier et travaillent seulement sur des petites parcelles», indique le sociologue, notant que «la plupart des terres sont makhzéniennes et appartiennent au domaine forestier de l’État». «De ce fait, vendre ou acheter ces terres serait extrêmement compliqué, voire impossible», souligne-t-il.

En effet, «ces terres ont été récupérées par leurs exploitants actuels dans le but de faire du défrichage, qui est illégal et pour lequel sont accusés, entre autres, les producteurs de cannabis dans le pays», explique le spécialiste. D’ailleurs, «la plupart des incendies de forêts dans le Nord sont intentionnels et c’est justement dans le but de défricher certaines parcelles pour les récupérer», poursuit-il.

De ce défrichage illégal, répréhensible par la loi, découle un droit oral que les communautés locales surnomment «le droit à la hache ou le droit du feu», poursuit Khalid Mouna. Bien qu’il n’ait aucune validité juridique, ce droit octroie la propriété d’une terre à celui qui brulée ou défrichée», explique-t-il.

 

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De ce fait, la question de la propriété dans la région mêle plusieurs notions juridiques, mais aussi sociologiques, «qui rendent la tâche plus complexe et pourraient même conduire à une grogne sociale dans la région», estime Khalid Mouna.

Le sociologue souligne le fait que le projet de loi a été porté le ministère de l’Intérieur, et non pas par des associations, des partis politiques ou par le ministère de la Santé, comme cela a été le cas dans d’autres pays qui nous ont précédés dans le processus de légalisation.

«Ceux qui affirment vouloir investir en achetant des terres ont une méconnaissance de la région et du projet de légalisation lui-même», poursuit notre interlocuteur, notant que «le gouvernement n’a encore que très peu communiqué autour du projet, étant donné qu’il n’est pas encore passé par les deux Chambres du Parlement», conclut Khalid Mouna.

Avant de pouvoir se positionner sur ce futur marché, il faudra attendre la réalisation de plusieurs études et l’annonce de lois explicites, s’accordent à dire nos deux interlocuteurs.

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