Au XIXe siècle, un Maroc affaibli entre pandémies et visées étrangères

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Image d'illustration. DR.

Affaibli sur tous les points, le Maroc n’en sera que plus dévasté par la succession des pandémies tout au long du XIXe siècle, précipitant un peu plus le royaume entre les mains des puissances étrangères.

Tanger, 1818. Un navire en provenance des Lieux saints de l’Islam accoste avec à son bord des centaines de pèlerins. Ayant eu vent de l’existence à bord de cas de contaminations par la peste, plusieurs diplomates étrangers réclament au sultan Moulay Slimane de mettre tous les passagers du bateau en quarantaine. Hors de question pour le sultan alaouite dont deux de ses fils se trouvaient à bord. Résultat du compte: le pays est rapidement ravagé par la maladie, qui a eu comme conséquence de décimer 10% de la population totale du Maroc, 25% pour la seule ville de Tanger, alors capitale diplomatique de l’empire chérifien.

Affaiblissement général

Cet épisode est l’un des plus révélateurs de la mauvaise gestion par le Makhzen des pandémies qui s’abattent pourtant souvent sur le pays. Entre le XIIe siècle, qui coïncide avec le début de l’édification d’un État central au Maroc, et le XIXe siècle, pas moins de 120 épidémies se sont abattues sur le royaume, dont 40 à portée majeure, soit l’équivalent de cinq grandes pandémies par siècle, rappelle l’historien Nabil Mouline. Souvent, l’Etat central marocain s’est montré défaillant face à ces calamités, comme le montre l’exemple cité plus haut. Mais au XIXe siècle, la succession des pandémies s’est accompagnée d’un inexorable affaiblissement du Maroc sur tous les plans, aussi bien économique, militaire, que politique, rendant l’impact des épidémies sur le pays encore plus dévastateur. Face à cela, le pouvoir central accumulait les gabegies.

 

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Moulay Slimane n’a pas seulement refusé de placer en quarantaine les passagers du navire en provenance de la Mecque pour «libérer» ses deux fils Moulay Omar et Moulay Ali, mais il a également répondu favorablement aux demandes des puissants commerçants de la ville de Fès, qui craignaient que la quarantaine ne fasse un précédent et se retrouvent alors privés de leurs précieuses marchandises. Outre le népotisme et la pression exercée par certains lobbies économiques, Moulay Slimane a également du faire face à la rigidité des clercs de l’époque, qui considéraient la mise en quarantaine comme une «bid’a».

L’abus de pouvoir et le conservatisme religieux ont souvent accompagné la gestion des grandes pandémies au Maroc. Les sultans marocains ont souvent montré peu de cas pour leurs populations durant ces périodes. Certains en profitaient même pour liquider certaines tribus réfractaires. C’est d’ailleurs ce même Moulay Slimane qui, profitant de l’affaiblissement des tribus de Abda et de Haha ravagées par la peste qui s’est abattue sur le pays en 1798, décide de mener une harka (expédition militaire) pour mater ces tribus rebelles. Une expédition qui, naturellement, a sillonné plusieurs provinces du Maroc et par conséquent, a propagé la maladie sur tout le territoire faisant perdre au pays près du tiers de sa population.

La brutalité et la mauvaise gestion des pandémies par le sultan Moulay Slimane finiront par causer sa chute. En pleine épidémie de peste en 1818, des tribus confréristes se soulèvent contre le monarque qui, après deux ans de lutte, remet le pouvoir à son successeur Moulay Abderrahmane.

L’affaiblissement du Maroc, notamment sur le point économique, a conduit le pays à s’ouvrir davantage vers l’étranger à travers les échanges de marchandises. Cette entrée forcée dans la globalisation des échanges a eu impact sur la multiplication des épidémies tout au long du siècle. Il y eut tout d’abord la peste puis, à partir de 1834, six vagues de choléra, surnommé boughlib en darija, s’abattront sur le royaume.

« Conseil sanitaire international »

De plus en plus nombreux depuis la deuxième moitié du XIXe siècle, les Européens, installés majoritairement à Tanger, décident d’instaurer un «Conseil sanitaire international» dans la ville du Détroit, doté de prérogatives relevant en principe de la souveraineté marocaine. Ce qui n’a pas manqué de soulever des crispations avec l’Etat central.

«On institua le contrôle des voyageurs débarquant à Tanger et dans l’ensemble des ports ouverts au commerce européen, et l’instauration de la quarantaine pour les pèlerins de retour au pays. Ces mesures ont atténué les risques de propagation épidémique, mais elles ont en même temps suscité une série de crises entre les représentants européens et un Etat marocain hésitant. Ce dernier devait faire face aux réactions négatives des populations locales, et à celles de clercs influents qui remettaient en question l’idée de contagion et la légitimité de la quarantaine à partir d’arguments religieux», indique l’historien Abdelahad Sebti.

 

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Un des exemples frappants de ces crispations entre le Makhzen et le Conseil sanitaire international a lieu en 1978. La peste fait alors son retour au Maroc. Après concertation avec les membres du Conseil sanitaire, le ministre des Affaires étrangères de l’époque, Mohamed Bargach, préconise au sultan Hassan Ier la réalisation d’un cordon sanitaire à Tanger pour empêcher la propagation de la maladie à l’ensemble du territoire marocain. La réponse du Makhzen a encore une fois été calamiteuse.

N’ayant pas apprécié les recommandations du Conseil, qualifiées d’ingérences étrangères, le sultan réagit avec colère à la lettre de Mohamed Bargach et refuse la mise en place du cordon sanitaire. Résultat: près du tiers de la population marocaine perdra la vie dans la décennie qui suivra. Vidé de sa population, le Maroc n’en sera que plus faible face aux visées des puissances européennes, conduisant à l’inévitable colonisation du Maroc au début du XXe siècle.

 

 

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