Ali Najab, ancien pilote des FRA, raconte ses 25 ans de calvaire dans les geôles du Polisario

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Huit questions à Ali Najab, ancien capitaine des Forces Royales Air (FRA), qui était l’invité de « Face à la MAP ».

Cet ancien pilote de chasse a été capturé par le polisario le 10 septembre 1978, après que son Mirage F5 ait été touché par un missile sol-air.

1. Dans votre ouvrage sur les 25 ans passés dans les geôles du polisario, vous dites qu’aussitôt capturé, vous avez été interrogé par des officiers algériens. Vous rappelez-vous d’autres formes de présence qui reflètent la mainmise d’Alger sur les bourreaux du polisario ?

Dès mon arrivée on m’a amené dans le bureau de Mohammed Abdelaziz. Il n’avait pas fini de me poser sa deuxième question quand trois officiers algériens (un capitaine et deux lieutenants) sont entrés dare-dare pour m’emmener. Ils m’ont pris à Tindouf et m’ont mis dans une cellule d’un sous-sol.

Depuis 1976, les Algériens n’ont fait qu’emmener des prisonniers marocains au nord de l’Algérie. Ils ont en emmené au total 476 dans les centres de Blida, Chlef, Boufarik et autres avec des officiers et pilotes. En 1979, ils ont ramené des pilotes et des officiers à Tindouf, ils les ont remis au polisario, le reste est resté au nord de l’Algérie.

En 1987, ils ont échangé 150 prisonniers marocains contre 106 prisonniers algériens qui étaient détenus au Maroc. Ces prisonniers algériens avaient été capturés à Amgala. Le reste est resté entre les mains des Algériens qui les ont remis au polisario plus tard.

2. Y avait-il une relation hiérarchique entre les responsables algériens et les séparatistes du polisario ? Les Algériens étaient tout le temps là. Quand de nouveaux prisonniers marocains arrivaient à Rabouni, les Algériens arrivaient immédiatement pour les interrogatoires. Quand les Algériens débarquaient à Tindouf, c’était pour donner des ordres, point barre. C’était clair et net.

Pour l’anecdote, il y avait un groupe d’officiers venus à Rabouni. Ils nous ont ramenés, nous officiers marocains prisonniers, pour les rencontrer. Parmi ces gens, il y avait le premier ministre du polisario (de l’époque), Mohamed Lamine Ahmed, qui se tenait debout devant une fenêtre. Le vent s’était levé et un lieutenant algérien lui a dit: « eh toi, ferme la fenêtre! ». L’autre l’a regardé, ébahi. « Je t’ai dit de fermer la fenêtre », lui a-t-il enjoint. L’autre l’a regardé, les yeux ronds, puis il est parti.

On se rend vite compte à quel point leur influence était considérable !

3. La période de votre emprisonnement était nettement marquée par des cas de retour de responsables du polisario au Maroc. Comment les autres séparatistes vivaient-ils ces défections, de votre point de vue ?

C’était le mutisme complet. Ils essayaient de ne pas donner d’importance à ces défections pour ne pas paraître marqués par ces événements.

Il y avait un blessé de guerre du polisario, qui s’amusait à entretenir des discussions avec les prisonniers. Un jour il m’a demandé : « qu’est-ce que tu penses du retour de Omar Hadrami au Maroc ? ». J’ai dit que le polisario le considère comme un traître. Il a souri puis a dit : « il y a beaucoup de gens dans les camps qui voudraient faire comme lui. Mais comme ils ont des enfants, ils ne peuvent pas ». Quand je lui ai demandé ce qu’il en pensait, il m’a dit : « Je serais beaucoup plus utile pour le Maroc ici, en sensibilisant la population des camps pour le Maroc ». J’en suis resté épaté.

4. Comment parveniez-vous à rester informés de ce qui se passait au Maroc ? Et comment viviez-vous ces développements (amendement de la Constitution, gouvernement d’alternance, décès de feu SM Hassan II) ?

Ce qui nous intéressait le plus, c’était la situation sur le terrain. Il y avait un prisonnier originaire de la région de Tata qui se faisait passer pour un réparateur de postes radio. Il gardait les postes qu’on lui ramenait pour réparation le plus longtemps possible pour écouter les informations et nous les raconter. Par la suite, des prisonniers arrivaient à se procurer des postes.

Après le cessez-le-feu, le polisario commençait à fermer les yeux. Ensuite, le CICR (Comité international de la Croix-Rouge) a négocié avec le polisario et l’Algérie pour nous installer des télévisions juste avant la mort de Hassan II. C’est ainsi que nous avons pu suivre les obsèques grandioses de feu Hassan II. Ces obsèques, qui avaient un écho international considérable, étaient une douche froide pour le polisario. Ils ne s’attendaient pas à ce que feu Hassan II ait une popularité aussi grande. Ils se sont tus.

5. Votre emprisonnement vous a ôté 25 années -peut être les plus belles – de votre existence et de celle de votre famille, vous a-t-il donné quoi que ce soit en contrepartie ?

Mon emprisonnement m’a donné deux choses: la satisfaction que le Maroc ait récupéré son Sahara; la fierté d’avoir servi mon pays.

6. Quel est votre message aux anciens détenus marocains ?

Je leur conseille d’écrire leurs mémoires. Chaque prisonnier est un livre et ces écrits vont servir aussi bien pour l’armée que pour l’histoire du Maroc. 18 ans d’une guerre pénible et très dure, pour laquelle beaucoup de Marocains se sont sacrifiés, doivent être connus dans l’histoire du pays.

Nous avons un devoir de reconnaissance envers tous ces martyrs qui ont donné leur vie pour la récupération du Sahara et pour tous ceux qui ont sacrifié leur vie pour le Sahara, même s’ils sont toujours vivants. C’est une dette et pour nous acquitter de cette dette, il faut pérenniser ce devoir de mémoire et de reconnaissance, condition sine qua non pour forger chez le citoyen le sens de la citoyenneté, du courage, du devoir et du sacrifice.

7. Quel est votre message aux jeunes Marocains ?

Les jeunes d’aujourd’hui sont les adultes de demain. Ils vont avoir des enfants qu’ils vont éduquer. Autant s’y préparer dès maintenant. Laissez tomber un peu le Barça et le Real pour plonger dans l’Histoire de votre pays. Le Maroc d’aujourd’hui, ce n’est pas celui que la France nous a légué en 1956. Le Maroc d’aujourd’hui est de loin meilleur. Bien sûr tout n’est pas parfait dans notre pays, mais nous ne sommes pas à la traîne. Il suffit de regarder autour de soi.

Malgré tout, le Maroc de Hassan II est resté debout, et ça continue avec Mohammed VI. Le Maroc va bien. Au lieu d’être nihiliste, il faut regarder la moitié pleine du vase et essayer de le remplir.

8. Quels sentiments éprouvez-vous quand vous rencontrez l’un de vos anciens geôliers, aujourd’hui retourné au Maroc dans le cadre de l’appel « La patrie est clémente et miséricordieuse » ?

Si l’intérêt suprême du Maroc le dicte, je pardonne. Ils sont revenus au Maroc dans le cadre de la patrie est clémente et miséricordieuse. C’est au nom du peuple que feu Hassan II leur a donné cette chance. Je suis obligé de respecter la décision de mon roi, car il l’a fait au nom de l’Etat marocain. À un moment donné, il faut se réconcilier. Il va falloir panser toutes les cicatrices. Même les martyrs, tombés dans les deux camps, comment allons nous les appeler. Les nôtres sont des martyrs… et les autres, de l’autre côté ? J’ai une suggestion, qu’ils soient tous des martyrs d’une erreur historique.

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