Littérature. Les bonnes feuilles de «La poule et son cumin» par l’auteure Zineb Mekouar

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Zineb Mekouar publie son premier roman «La poule et son cumin», l’histoire d’une amitié qui transcende les barrières sociales de la petite enfance à l’âge adulte. Deux Marocaines, deux existences qui s’entrecroisent, entre la fille bien-née qui part étudier à Paris et celle que la modeste condition contraint à ne pouvoir qu’en rêver. En voici les bonnes feuilles sélectionnées par cette jeune auteure de 31 ans. 

« Lorsqu’elles ne chassent pas les papillons, qu’elles ne jouent pas à la malade et au docteur, qu’elles ne dansent pas sur de la musique chaâbi, qu’elles ne courent pas après le chat des voisins pour lui tirer la queue, elles s’allongent dans l’herbe, près des hortensias, et font des projets de vie en regardant le bleu du ciel.
— Qui seras‐tu, plus grande?
— Médecin pour pauvres.
— Pourquoi pour pauvres?
— Parce qu’il y en aura toujours, je ne serai jamais au chômage.
Kenza se retourne vers les grands yeux, aussi bleus que l’horizon.
— Tu seras le meilleur médecin de Casablanca.
Elle le pense peut‐être, le dit surtout pour faire apparaître cette lumière dans le regard de Fatiha.
— Et toi, qui voudras‐tu être, plus tard?
— Je ne sais pas, elle m’angoisse ta question. Regarde, le ciel se couvre. Tu penses qu’il va pleuvoir?
— Il devrait faire toujours beau, le samedi.
— Viens, on rentre, j’ai reçu une goutte sur le front.
— Attends, attends encore un peu. Dis, on est comme des sœurs, hein?
— Pourquoi comme ? On est des sœurs.
Le visage de Fatiha se ferme, la lumière du regard disparaît.
— Pas vraiment, enfin pas dans la réalité.
Kenza se relève, s’assoit en tailleur, le dos droit, le regard plongé dans ce bleu éclatant.
— On peut faire ce qu’on veut, non? Alors, moi je te choisis comme sœur.
Fatiha sourit.
— Moi aussi. »
(pages 59-60)

 » En seconde, Kenza doit produire un exposé sur la nouvelle Moudawana. Comme la plupart des autres élèves, elle ne sait pas ce que c’est. M. Durand, soupire :
— La Moudawana, c’est le code de la famille marocain. Le roi Mohammed VI a décidé de le réformer pour donner plus de droits aux femmes. Vous allez suivre le passage de cette loi pendant la prochaine session parlementaire.
— Mais monsieur, la politique est en arabe classique ici, on ne va rien comprendre !
C’est Salim. Le professeur répond que, heureusement pour l’élite marocaine, une presse francophone existe dans ce pays. Salim s’avoue vaincu mais murmure :
— T’façon, mon père, il dit que c’est tous des vendus ou des chiens, et replonge dans un demi‐sommeil. » (page 107)

« Elle a chaud, ouvre la fenêtre, approche son nez pour respirer, referme aussitôt, tousse plusieurs fois, manque de s’étouffer. L’odeur. Un mélange de volaille pourrie, de pots d’échappement et de légumes desséchés. Elle a déjà senti cette odeur, vécu cette scène. Un jour, après le lycée, son chauffeur à Casablanca lui a demandé d’attendre dans la voiture, le temps d’aller chercher un poulet commandé au marché. «Exactement comme le souk lahjajma», se répète‐t‐elle à voix basse. Elle n’avait pas prévu que sa première impression de Paris serait celle d’un quartier populaire de Casa. »
(page 130)

« Ils ne se sont plus quittés depuis leur rencontre à Florence. Ils sont allés en vacances dans le sud de la France avant le retour à Paris. Ils n’ont pas pu passer au Maroc à cause de son grand‐père. Kenza lui a dit qu’elle a rencontré quelqu’un, qu’il n’est ni fassi ni musulman, qu’elle est heureuse. Bassidi Abbas a raccroché sans dire au revoir et ne lui a plus répondu au téléphone pendant plusieurs semaines. »
(page 188)

Lire aussi : Bonnes feuilles. « Aussi riche que le roi », le premier roman d’Abigail Assor

« Kenza a un début de vertige. Elle veut savoir où sont les toilettes, sort de la pièce. Elle ferme les paupières, apprécie le silence. Il lui faut un moment sans posture, sans position d’attaque ou de défense. Un moment sans conviction. Oui, elle a remarqué le débat qui agite le pays depuis des semaines. Elle manque d’air en se souvenant des mots de Pierre‐Yves. «Eux» et «nous». En essayant de construire un mot qui proviendrait de ces deux termes, elle se retrouve avec «neux». Des nœuds. Ce sont des nœuds au cerveau. Mais où est le «je» dans tout ça ? Où sont nos «je» à toutes ? Chacune avec sa complexité, ses déconstructions, ses reconstructions, son apprentissage? Chacune avec sa voix de femme? Mais voilà, ils parlent pour nous, ne nous donnant pas l’occasion de raconter, chacune, notre histoire. »
(page 192)

« Ils se parlent en français puis en arabe dialectal. Il lui raconte qu’il est enfant unique, elle dit qu’elle aussi, elle a honte d’avouer que sa mère est femme de ménage, en parle tout de même. Il lui prend la main en murmurant que personne n’est défini par sa naissance, que la vie de chacun est surtout ce qu’on en fait. Elle le regarde, étonnée, il dit ça parce qu’il est étranger. »
(page 247)

>>> Zineb Mekouar est née en 1991 à Casablanca et vit à Paris depuis 2009 où elle a étudié à Science Po et HEC Paris. La poule et son cumin est son premier roman à sortir en versions papier et numérique en France le 9 mars et au Maroc mi-mars (disponible déjà en pré-commande dans les principales librairies du royaume et à la Fnac).

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