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Le harcèlement sexuel au travail, une faute criminelle grave
Publié leMaître Adil Daoui, avocat au barreau de Casablanca, revient dans cette tribune sur un mal, hélas assez répandu chez nous et ailleurs: le harcèlement sexuel dans le milieu du travail. Il nous éclaire à ce propos sur ce que dit la loi et la définition que fait la cour de cassation de cette notion est à cheval entre le code du travail et la loi pénale
Le monde du travail a découvert avec les méfaits de la pandémie COVID-19, qui a confiné une grande majorité de la population active, que les outils technologiques doivent servir à modifier les habitudes professionnelles afin de répondre aux réalités actuelles.
Il en est ainsi du télétravail ou le travail à domicile, qui peut être qualifié comme un empiètement du professionnel sur la sphère du privé, dans la mesure où le domicile, qui était depuis longtemps réservé de façon exclusive à des activités d’ordre personnel, est devenu du jour au lendemain, souvent de façon spontanée, un lieu de travail.
Il va sans dire que le fait d’être dans un environnement professionnel, tel que le lieu du travail, abstraction faite de sa situation géographique, que ce soit dans un bureau fermé, un espace ouvert ou dans l’intimité de son salon, lors de l’exercice des activités professionnelles, les salariés restent liés par un standard comportemental, qui régit leurs interactions.
En effet, il est assez fréquent que les interactions entre collègues produisent des égards de conduite ou des agissements qui ne rentrent pas dans le communément admis. Il en est ainsi de l’expression maladroite, déplacée ou malveillante, l’expression d’une pensée, une envie ou un désir qui peut facilement dépasser certaines frontières invisibles, et virer vers ce qui sera par la suite qualifié comme un harcèlement sexuel au travail.
Outre le sens commun qui peut être alloué à l’harcèlement sexuel, la cour de cassation est intervenue, afin de lui donner une définition, et pour tracer des limites à cette notion qui est à cheval entre le code du travail et la loi pénale.
C’est ce qui apparaît à la lecture de l’arrêt N°156/2022 rendu en date du 02/02/2022 dans le dossier N°5265/6/3/2020 dans lequel la cour de cassation a précisé ce qui suit: « La cour d’appel a suffisamment motivé sa décision quand elle a adopté ses motifs, dont on peut conclure qu’elle a acquitté le défendeur des accusations pour les délits d’harcèlement sexuel et d’incitation à la débauche, pour défaut de preuves. Étant donné que les messages écrits et vocaux ne dépassaient pas les limites du désir de faire connaissance avec la plaignante, non à des fins sexuelles, et que le fait d’exprimer un sentiment d’admiration de la part du défendeur à l’égard de la plaignante ne constitue pas une incitation à la débauche ni un harcèlement sexuel, car elle ne contient pas de connotations ou de finalités sexuelles. »
Dans cet arrêt, la cour de cassation met l’accent sur le facteur déterminant de la qualification juridique, à savoir le caractère sexuel du contenu de l’expression. Ainsi, et abstraction faite de son support, que ce soit un message direct, texte, vocal ou sur un autre support informatique, l’élément caractéristique qui fait en sorte que l’expression soit considérée comme un harcèlement sexuel est le contenu à caractère sexuel du message.
Ceci dit, et vu la gravité des conséquences à la fois civiles, sociales et pénales d’une telle condamnation. La question se pose sur les moyens de preuve qui peuvent être admis pour prouver un tel acte doublement prohibé et doublement sanctionné.
Cette question a été portée au regard de la cour de cassation à plusieurs reprises, à titre d’exemple l’arrêt N°725/2021 rendu en date du 30/06/2021 dans le dossier N°2643/5/2/2019 qui a précisé ce qui suit : «Comme il incombe à l’employeur de prouver la faute grave imputée au salarié, justifiant son licenciement, conformément aux dispositions de l’article 63 du code du travail, l’accusation d’harcèlement sexuel, accompagné d’images pornographiques adressées à une responsable hiérarchique, doit être prouvée avec certitude et sans possibilité de doute sur l’identité de l’expéditeur. Or, devant le désaveu du salarié qui nie avoir envoyé les messages, et dans l’absence d’un rapport d’expertise précisant l’identité exacte de l’expéditeur, le licenciement reste abusif et injustifié».
Ou encore l’arrêt N°672/2013 rendu en date du 09/05/2013 dans le dossier N°1494/5/1/2012 dans lequel la cour de cassation a précisé ce qui suit : « La faute grave consistant en un harcèlement sexuel, a été prouvée par les témoignages d’un groupe de salariées détaillant, précisant et spécifiant certains comportements à caractère sexuel de la part du salarié et orientés contre un groupe d’employées. Ainsi, son licenciement pour cette raison est suffisamment justifié, la cour qui a apprécié la gravité de la faute a correctement usé de son pouvoir discrétionnaire ».
Dans ces deux arrêts, la cour de cassation rappelle que la présomption d’innocence demeure la règle en matière d’accusation, et que le doute bénéficie toujours à l’accusé, qu’il s’agisse de crimes et délits au pénal, ou de fautes au civil. Le salarié reste innocent, jusqu’à ce qu’une preuve de culpabilité soit établie, par une preuve d’expert, tel un rapport d’expertise judiciaire, ou par preuve témoin, quand les témoignages sont unanimes et précis.
Sachant que les preuves ne sont pas évaluées de la même façon selon qu’il s’agisse d’un tribunal social ou un tribunal correctionnel, le même comportement risque d’être qualifié différemment selon le tribunal en question.
Il est donc légitime de s’interroger sur l’hypothèse où un accusé est acquitté pénalement, pourra-t-il être sanctionné civilement pour les mêmes faits ? C’est précisément le point de lumière apporté par la cour de cassation dans l’arrêt N°758/2011 rendu en date du 02/06/2011 dans le dossier N°96/5/1/2010 qui a précisé ce qui suit : « Le fait d’envoyer des messages téléphoniques sexuels, indécents et contraires à l’ordre public est considéré comme un harcèlement sexuel exercé par le salarié sur une collègue de travail, ce comportement constitue une faute grave selon le code du travail, et justifie son licenciement. Le fait qu’il ait été innocenté, du délit d’incitation à la débauche ne fait pas obstacle à l’employeur pour prouver la faute grave du salarié, laquelle peut être prouvée par tous les moyens de preuve, y compris les témoignages. »
Il faut dire que la charge de la preuve diffère selon un barème, allant de la plus légère, qui est « la répondérance des probabilités » qui est une charge de preuve usuellement appliquée en matière civile, qui incombera à l’employeur d’apporter afin de justifier le licenciement du salarié pour faute grave, il lui suffira donc de prouver la faute grave selon une prépondérance de probabilité.
Or, le principe applicable en matière pénale n’est pas le même car il incombe au procureur de sa majesté, d’apporter une preuve beaucoup plus exigeante, car la charge de la preuve est beaucoup plus élevée dans le barème, plus lourde, plus complète, car il est exigé une preuve de responsabilité ou une preuve de culpabilité qui est « sans nul doute raisonnable ». Autrement dit, une preuve avec laquelle ne persiste plus aucun doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé, avant que son dossier ne soit déféré devant un tribunal pénal pour le jugement.
C’est la raison pour laquelle il peut arriver qu’une personne soit innocentée pénalement, mais sanctionnée civilement sur les mêmes faits, et pour les mêmes raisons, pour la toute simple raison que la charge de la preuve exigée diffère entre le pénal et le civil. C’est précisément ce qui caractérise cette série de comportements prohibés qui ont à la fois un volet civil et un autre pénal, tel l’harcèlement sexuel, l’insulte grave, le vol, l’abus de confiance et bien d’autres.
Finalement, il faut rappeler que « La moralité ne peut être légiférée, mais le comportement peut être réglementé. Les lois ne peuvent pas changer les cœurs, mais peuvent retenir les sans-cœurs », Martin Luther King.
Par Me Adil Daoui , Avocat au barreau de Casablanca