Les questions qui se posent après la défaite annoncée de l’État islamique en Syrie

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Dans l’Est syrien, la Syrie devrait annoncer sa victoire contre Daech d’ici «quelques jours». Mais la défaite du «Califat» ne signifie ni la fin du groupe terroriste, qui conserve des cellules clandestines dans de nombreux pays, ni celle de la guerre en Syrie avec une inquiétude sur le devenir des Kurdes.

Le village de Baghouz restera dans les mémoires. Situé dans le sud-est de la Syrie à proximité de l’Irak, sur la rive orientale de l’Euphrate, le dernier réduit de Daech était presque repris samedi 16 février par la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) qui combat depuis 2015 les djihadistes de l’État islamique. La victoire sera annoncée «dans quelques jours», a annoncé un commandant des FDS à l’AFP.

Une dernière poche de résistance subsiste encore. «Il y a toujours de nombreux civils à l’intérieur» du confetti d’un demi-kilomètre carré encore tenu par les djihadistes «et c’est une surprise de taille pour nous», a indiqué Adnane Afrine, porte-parole des FDS sur le terrain. Vendredi, le président américain Donald Trump promettait des annonces imminentes sur la fin du «califat». La défaite tant attendue de Daech, amorcée dès 2017 avec la chute de ses deux capitales – Raqqa en Syrie et Mossoul en Irak – comporte d’ores et déjà son lot d’interrogations.

● Est-ce vraiment la fin de Daech?

Non, Daech prépare depuis plusieurs années son retour à la clandestinité, comme Al-Qaïda ou d’autres groupes djihadistes. Sa défaite marque l’aboutissement d’un processus de «déterritorialisation» de l’organisation terroriste qui avait réussi dès 2014 à s’emparer de très vastes territoires dans l’est de la Syrie et dans l’ouest de l’Irak. De nombreux djihadistes pourraient tenter de se fondre dans la masse des civils et opter pour des actions de guérilla plus discrètes ou des attentats-suicide pour maintenir un climat de terreur. Mi-janvier, un attentat a frappé la ville syrienne de Manbij, tuant quatre Américains, quelques jours seulement après que Donald Trump a annoncé le retrait des troupes américaines.

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Daech possède aussi des cellules clandestines dans de nombreux pays du monde, principalement en Afrique, mais aussi en Asie. C’est notamment le cas en Afghanistan, en Ouzbékistan, en Libye, en Égypte (dans le Sinaï notamment), au Nigeria avec Boko Haram et plus largement dans une large partie de l’Afrique de l’ouest. Certains djihadistes de la zone irako-syrienne rejoignent depuis plusieurs mois ces pays.

● Est-ce la fin de la guerre en Syrie?

Non, même si les différents fronts se sont stabilisés ces derniers mois. Le pays se décompose en trois zones. La principale, qui représente près des deux tiers du territoire, mais une part plus importante de la population, est tenue par le gouvernement central de Damas, appuyé par ses alliés russe et iranien. Bachar el-Assad contrôle les principales villes du pays (Damas, Alep, Homas, Hama, Deir Ezzor) et voit son isolement réduit par la réouverture des frontières avec le Liban et la Jordanie. À l’Est de l’Euphrate, les FDS occupent une part importante du territoire. Il s’agit des cantons traditionnellement kurdes du Nord, mais également de territoires arabes au sud.

Reste enfin au nord-ouest du pays le gouvernorat d’Idleb qui demeure la dernière région tenue par la rébellion: il s’agit de divers groupes islamistes voire djihadistes placés sous influence turque, le principal étant le front Fatah al-Cham (ex-Al-Nosra) lié plus ou moins directement à Al-Qaïda. Cette dernière zone, située à proximité de lieux stratégiques (Lattaquié, fief de la famille Assad, ou Alep, ancienne capitale économique du pays) fait l’objet d’intenses tractations diplomatiques entre la Russie, l’Iran et l’Irak. Alors qu’Ankara continue d’appuyer certains groupes rebelles pour conserver son influence dans le jeu syrien et pouvoir s’opposer aux Kurdes, Damas souhaite au contraire reprendre cette province pour éradiquer le dernier bastion de la rébellion. Une reprise des combats en cas d’échec des négociations entre Moscou, Téhéran et Ankara est dès lors une possibilité.

● Que vont devenir les Kurdes?

Difficile à dire. Donald Trump a annoncé en janvier le départ des troupes américaines de Syrie, qui soutenaient les FDS dans leur lutte contre Daech, mais servaient aussi pour Washington à endiguer l’influence de l’Iran, bête noire des néoconservateurs américains. Avec la défaite territoriale du Califat, le retrait américain devrait s’accélérer, même si, comme l’a rappelé ce samedi le vice-président américain Mike Pence, «les États-Unis garderont une forte présence dans la région» et «continueront de traquer les vestiges de l’EI, partout et à chaque fois qu’ils sortiront leur sale tête». Washington conserve notamment des forces en Irak et au Qatar.

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Reste que, privés de leur principal soutien en Syrie, les Kurdes se retrouvent à la merci des Turcs qui ont déjà mené contre eux deux opérations en Syrie (Bouclier de l’Euphrate d’août 2016 à mars 2017 puis Rameau d’Olivier en janvier 2018, qui a conduit à la chute d’Afrin). Dans leur lutte contre l’influence régionale de l’Iran, les Américains sont tentés de renouer avec les Turcs qui, bien que dans l’OTAN, se sont considérablement rapprochés de Téhéran et de Moscou ces derniers mois, formant un «trio» qui dérange Washington au plus haut point.

Face au péril turc, les Kurdes n’ont d’autre choix que de se rapprocher du gouvernement central de Damas et de la Russie. Des négociations ont déjà lieu depuis l’annonce de Trump en janvier. Moscou pourrait obtenir de la Turquie qu’elle n’intervienne pas militairement contre les Kurdes en échange de garanties de sécurité, notamment le contrôle par Ankara d’une bande de terre d’une trentaine de kilomètres de large le long de la frontière turco-syrienne. La Turquie craint plus que tout que les Kurdes turcs du PKK se servent de la Syrie comme d’une base arrière.

Dans ces tractations, le gouvernement de Damas pourrait reprendre le contrôle de l’Est syrien – notamment les champs de pétrole et de gaz – actuellement tenu par les FDS, tandis que les Kurdes pourraient tenter d’arracher à Damas quelques concessions pour essayer d’obtenir un embryon d’autonomie. Mais, clairement, leur pouvoir de négociation est faible. L’une des inconnues reste la position de la France, qui dispose sur le terrain de forces spéciales. La ministre française de la Défense avait annoncé en janvier leur maintien après la décision de Donald Trump d’un retrait américain.


Syrie: un colonel français critique les opérations contre l’EI

Le commandant des artilleurs français appuyant les forces kurdes contre le groupe Etat islamique (EI) en Syrie affirme que la victoire aurait pu être obtenue plus vite et avec moins de destructions si les Occidentaux avaient engagé des troupes au sol. Le colonel François-Régis Legrier, qui commande depuis octobre le détachement d’artillerie français (Task Force Wagram) en Irak, se livre à ce constat cinglant dans un article de la Revue Défense nationale (RDN). Selon Le Monde, une sanction pourrait être prise contre lui. A l’état-major des armées, on juge «contestable le fond autant que la méthode» de l’officier qui doit achever sa mission en Irak fin février.

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