Histoire du Maroc: Mouna Hachim réédite ses chroniques insolites

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Publié une première fois en 2016 sous le nom Chroniques insolites de notre histoire (Maroc, des origines à 1907), Histoire inattendue du Maroc, écrit par Mouna Hachim, invite à «la relecture apaisée de l’histoire» du royaume chérifien, en «dépassionnant le débat». Explications.

Vendredi 22 février dernier, l’auteur du Dictionnaire des noms de famille du Maroc a donné une conférence à l’Institut français de Casablanca pour présenter l’ouvrage réédité récemment chez Erick Bonnier, un éditeur français spécialisé dans les sujets relatifs au monde arabo-musulman. Dans le théâtre 121, une assemblée de férus d’histoire écoute avec attention la vision de l’auteur, qui se veut «distanciée de toutes les instrumentalisations qu’on peut en faire, qu’elles soient d’Orient, d’Occident, ou même nationalistes».

L’Institut français de Casablanca a organisé une rencontre avec Mouna Hachim pour son dernier ouvrage « Histoire inattendue du Maroc », le 22 février dernier. Modération par la journaliste Hanane Harrath. Crédits : DR.

Qu’est-ce que l’histoire inattendue du Maroc selon Mouna Hachim? Une histoire qui ne mystifie pas les Idrissides comme point de départ de toute l’histoire du Maroc, une histoire qui ancre l’identité marocaine dans ses racines berbères et même chrétiennes et latines.

A ce propos, saviez-vous que les premières versions latines de la Bible furent données par des Berbères? Alors même que la langue majeure en Occident était encore le grec. Parmi les grand théologiens berbères de langue latine, on cite souvent le célèbre Tertullien mais aussi Saint-Cyprien et Saint-Augustin.

Ou encore, saviez-vous que trois papes antiques étaient originaires d’Afrique du Nord? Que les premiers martyrs chrétiens étaient des Berbères? C’est ce genre d’informations insolites qu’on déniche dans cette «réédition légèrement enrichie» du livre de Mouna Hachim.


«Débroussailler les contes officiels»

L’écrivaine passe en revue l’histoire des Berbères durant la période antéislamique jusqu’à la signature du Traité du Protectorat. Elle ambitionne de «débroussailler les contes officiels élaborés au fil des siècles, soutenus avec force dans les manuels scolaires», lit-on dans l’avant-propos. L’ancienne chroniqueuse pour L’Economiste («Chroniques d’hier et d’aujourd’hui») rappelle en souriant qu’elle n’est ni enseignante, ni historienne. Pourtant, c’est bien un livre d’histoire qu’elle nous livre à travers «ces chroniques thématiques» sur les «faits et figures inhabituels» de l’histoire du Maroc.

La chronique, un exercice qui lui est donc familier. Car Mouna Hachim est avant tout une littéraire, diplômée en littérature française et en littérature comparée. C’est donc tout naturellement qu’elle écrit ses ouvrages dans un style romancé, «mais non dépourvu de valeur scientifique», affirme-t-elle, ajoutant que «trop de rigueur académique peut rebuter le lecteur». La chronique permet ainsi de rendre la compréhension de l’histoire plus abordable et non réservée qu’à une élite.

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Pour ses recherches, l’auteur s’est concentré sur des documents écrits variés, arabes orientaux comme autochtones, contemporains comme anciens, ainsi que sur les mythes et les contes populaires. «Je suis fascinée par le conte, c’est un réservoir d’informations historiques qu’on prend à la légère, mais qui porte des mythes à décortiquer», explique Mouna Hachim qui travaille beaucoup à la Bibliothèque Al Saoud à Casablanca.


Nos ancêtres les Berbères

L’un des reproches qu’elle fait à l’historiographie coloniale est sa vision «dichotomique sans nuances» qui oppose sans cesse des blocs les uns contre les autres: Arabes/Berbères, plaines/montagnes, sédentaires/nomades, juifs/musulmans… «Le Marocain devient un objet d’étude et non un destinataire. Pire que cela, il est privé de l’enseignement de l’histoire de son propre pays. D’où la naissance d’une phase nationaliste après l’Indépendance avec des auteurs tels que Germain Ayache ou Abdallah Laroui qui ont souhaité raconter l’histoire de l’intérieur», déclare l’écrivaine, refusant tout manichéisme entre Orient/Occident ou Nord/Sud.

«Les Berbères ne sont pas un peuple passif qui se contente de recevoir de l’étranger», poursuit l’auteur. Du côté de l’historiographie arabe, Hachim déplore une vision assez courante de l’histoire consistant à commencer celle du Maroc à l’avènement de l’Islam et de faire table rase sur tout ce qu’il s’est passé avant.

Raconter l’histoire du Maroc des Idrissides jusqu’aux Almoravides sans considérer les principautés antérieures qui ont également régné sur ces terres est une «hérésie», selon l’auteur. Ces royaumes antéislamiques méconnus ont pourtant joué un rôle déterminant, notamment dans les guerres puniques, soit le conflit le plus long et meurtrier du monde antique.

Les chroniques de Mouna Hachim se donnent le rôle de réinvestir le socle de la berbérité dans l’histoire marocaine. La première s’intitule d’ailleurs «D’où viennent les Berbères?», c’est dire l’importance des débats que cristallise cette question dans notre société.

«Les Arabes vont adorer la thèse de l’origine sémitique orientale», constate l’auteur. «A l’école publique, on nous apprend depuis les premières classes que les Berbères sont originaires du Yémen et des pays du Shâm et qu’ils sont arrivés au Maroc via l’Egypte et l’Ethiopie, ce qui minimise l’ancrage du Maroc au continent africain et ce qui donne des théories biaisés sur l’origine de ces peuples», regrette-t-elle. Du côté occidental, on trouve des thèses selon lesquelles les Berbères seraient issus des Germains, des Celtes, etc.


Interdite des salons

«La première édition, je l’avais faite au Maroc, seule; elle avait bien marché et été classée première des ventes par Sochepresse dans la catégorie essai», raconte celle qui a autoédité son Dictionnaire des noms de familles du Maroc ainsi que son premier roman, Les Enfants de la Chaouia, en 2004. C’est pour cette saga familiale relatant trois générations d’habitants de Casablanca et de son arrière-pays que la romancière a essuyé bien des déboires avec un éditeur.

«L’éditeur espérait probablement glaner des subventions à droite et à gauche pour ne payer absolument rien de sa poche et ne prendre aucun risque…alors qu’un éditeur doit prendre un risque», s’insurge Hachim qui, après cette mauvaise expérience, a opté pour l’autoédition, convaincue que «la valeur ajoutée de l’éditeur est de l’ordre du zéro».

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Ce qui n’est pas sans préjudice pour l’écrivaine «follement passionnée» par son travail de recherche et qui regrette d’être «exclue des salons et de toutes manifestations culturelles», «je suis comme une pestiférée», renchérit-elle. Alors qu’elle bénéficie d’une certaine notoriété auprès de la presse et du public, Mouna Hachim s’étonne de cet ostracisme qui la bannit même du salon du livre du Maroc, organisé par des instances nationales.

Preuve de son succès, c’est un de ses lecteurs en France qui a demandé à la chercheuse indépendante la permission d’envoyer sa première édition de ses Chroniques à un éditeur, lui assurant qu’«elle avait tout à gagner à être connue à l’international».

Toutes ces entraves n’empêchent pas pour autant l’auteur d’avancer. En exclusivité, Mouna Hachim confie à l’auditoire la sortie l’été prochain d’un roman historique, ainsi qu’une production monumentale de 800 pages intitulée Villes et villages du Maroc: étymologies, histoire et légendes, dans laquelle elle raconte l’histoire des régions.

Dans l’assistance, plusieurs spectateurs témoignent leur soutien à l’historienne malgré elle. «Si j’avais eu l’occasion d’avoir votre version de l’histoire lorsque j’étais à l’école, j’aurais suivi le cours avec plus de passion», s’enthousiasme l’un d’eux. Et même si Hachim se déclare «trop timide» pour endosser le rôle de précepteur (elle a déjà tenté l’expérience à l’université Mundiapolis), il est à souhaiter que des érudites à son image fassent légion dans le corps enseignant.

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