Évènements de Fnideq: “Un malaise profond s’installe dans le pays” (Samira Mizbar, sociologue)

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Des migrants irréguliers tentant d'atteindre Sebta. ©AFP

Le 15 septembre, plusieurs centaines de jeunes, en majorité Marocains, ont tenté de passer en force dans l’enclave occupé de Sebta. Un événement qui a ravivé le débat sur les raisons qui poussent ces jeunes à voulour quitter le Royaume à n’importe quel prix. L’éclairage de Samira Mizbar, sociologue.

Ils étaient venus à Fnideq en provenance de plusieurs villes du Maroc. Ces jeunes, dont beaucoup de mineurs, ont tous le même objectif: rejoindre « l’autre côté » à tout prix. Leurs témoignages inondent les réseaux sociaux. Certains sont sans emploi, d’autres n’ont jamais fréquenté l’école, tandis que d’autres encore sont diplômés.

Des vidéos montrant des centaines de personnes tentant d’entrer illégalement à Sebta ont choqué l’opinion publique et relancé le débat sur les raisons qui poussent ces jeunes à vouloir fuir leur pays.

Pour la sociologue Samira Mizbar, il est évident que ces raisons sont directement liées à la perception des jeunes sur les conditions de vie de leurs familles. « Ils ont des revenus très limités face à un coût de la vie qui a augmenté fortement. Ils sont également dans une activité professionnelle peu accessible, peu protégée, irrégulière et peu rémunératrice. Sans même mentionner la précarisation qui s’accentue, l’école qui n’est plus synonyme d’ascenseur social, ou encore l’environnement urbain et rural qui évolue lentement, quand il ne se dégrade pas« , énumère-t-elle dans un entretien avec H24Info.

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À cela s’ajoute « une évolution extrêmement rapide des systèmes familiaux et de la société en général vers plus d’autonomie, des familles élargies en voie de disparition, des institutions d’encadrement social défaillantes« .

Des éléments moins intuitifs sont également à prendre en compte, à l’image de « la transformation de l’agriculture marocaine qui a détruit les petites exploitations familiales et le circuit de redistribution de produits agricoles, ainsi que la disparition de métiers dont les qualifications ne sont plus à l’ordre du jour. Et la liste est longue« , confie la sociologue.

Impact des réseaux sociaux

Selon Samira Mizbar, cette perception de leurs réalités est intensifiée par un usage quotidien des réseaux sociaux qui scénarisent la détresse des individus. « Ils permettent à la fois une identification des personnes à des situations perçues comme semblables, une inhibition de la perception du danger, et l’illusion d’une communauté de destin« .

Rapidement, ces réseaux sociaux deviennent des « chambres d’amplification » alimentées facilement par quiconque, que ce dernier soit sincère dans le partage de son ressenti ou qu’il ait des visées politiques. Mais, souligne notre experte, « le retour à la réalité du terrain pour ces jeunes est dur et très violent« .

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Autre élément marquant: la présence de nombreux enfants parmi les candidats à l’émigration s’explique par l’idée largement diffusée qu’ils ne peuvent pas être rapatriés dans leur pays d’origine. Mais quid du danger qu’ils devront affronter, de la cohésion familiale, des obligations parentales?

Des questions à se poser

« Alors que les opérations d’émigration irrégulières se préparent et se mettent en œuvre dans le silence, une vaste communication a été faite autour des événements de Fnideq avant même qu’ils aient lieu« , observe Samira Mizbar.

Et de poursuivre: « Que faut-il déduire de cette situation inédite? Que la politique de domestication des partis politiques et des associations de la société civile leur a fait perdre toute légitimité sur le terrain aux yeux de la population en tant qu’interlocuteurs d’intermédiation? Que ces structures ont connu un vaste mouvement de désertion des militants et qu’ils ont perdu tout lien avec la population? Il y aurait beaucoup à creuser sur le sujet. »

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Notre interlocutrice se dit surtout intriguée par «cet étonnement public face à l’événement certes spectaculaire, mais prévisible. Comment pensez-vous que les gens vivent dans un contexte de raréfaction des ressources? Sans travail, donc sans revenus, comment pensez-vous que les gens se nourrissent, se logent, subviennent à leurs besoins? Invisibiliser la souffrance des autres ne signifie pas l’effacer».

En effet, la question sociale ne peut être évacuée d’un revers de la main. « Il est essentiel de la prendre en considération dans les politiques publiques de développement, sous peine de voir tous les efforts anéantis. Les opérations de communication et de marketing du pays, si coûteuses, ont été anéanties par ces images terribles de souffrance« , déplore-t-elle.

Du point de vue de Samira Mizbar, ces jeunes issus de milieux défavorisés ne font que révéler un malaise plus profond. « En l’absence de données sur ce phénomène difficile à quantifier, cette émigration illustre néanmoins un malaise profond qui s’installe dans le pays», conclut-elle, tout en relevant que peu de gens parlent des classes moyennes et aisées qui partent légalement. Un mouvement qui touche tous les secteurs: ingénieurs, médecins, enseignants, cadres, etc.

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