Etudes en médecine en six ans: ce qu’en pensent les spécialistes

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Le ministre de l’Enseignement supérieur, Abdellatif Miraoui, a récemment proposé de passer à six plutôt que sept ans la durée des études en médecine. Quel est l’intérêt de cette réforme? Trois professeurs donnent leurs avis. 

Dans une circulaire adressée aux doyens des facultés de médecine datée du 17 février 2022, le ministère de l’Enseignement supérieur a annoncé étudier la possibilité de réduire la durée des études en médecine de sept à six ans. L’objectif: « augmenter le nombre de diplômés et renforcer les capacités médicales nationales ».

Il s’agit aussi « d’augmenter le nombre de places pédagogiques ouvertes aux étudiants dans chacune des facultés de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire », lit-on dans le document qui précise que « les moyens matériels et humains nécessaires » suivront pour cette réforme.

C’est surtout ce second aspect qui interpelle les spécialistes interrogés. En substance, ils sont d’accord avec la proposition de réduire le délai de formation d’une année, mais pensent que cette dernière n’a de sens que si elle s’accompagne de tout une série d’autres mesures.

« Je ne vois aucun mal à ce qu’on puisse réduire d’une année le cursus universitaire mais cela doit s’inscrire dans une véritable réforme des études médicales qui n’a pas eu lieu depuis le début des années 80. A cette époque, on avait réduit d’une année le cursus des études théoriques et on prolongé de deux ans les stages. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la bête noire de notre système de santé est la pénurie des ressources humaines et des médecins en particulier », réagit Dr. Allal Amraoui, médecin, chirurgien et député Istiqlal.

En effet, un médecin marocain sur trois est hors du pays et le ratio médecin par habitant est de 7,3 pour 10.000 habitants (recommandé 15,3 médecins pour 10 000 habitants). Ce sont les chiffres rapportés dans une étude publiée dans la Revue européenne de santé publique le 20 octobre dernier par l’université d’Oxford et intitulée « Intention de migration des étudiants en dernière année de médecine ».

« Ce n’est pas ce qui va régler le problème »

« Cette mesure ne va pas résoudre le problème sur le plan quantitatif parce que même en réduisant les études médicales d’un an, on ne gagne finalement qu’une promotion dans tout le processus, donc ce n’est pas ce qui va régler le problème », reprend Dr. Amraoui, ancien directeur régional de la santé pendant huit ans, et président fondateur du centre marocain des études et recherches sur les politiques de santé (SMERPS).

Même son de cloche chez Pr. Yahia Cherrah, enseignant de pharmacologie à la faculté de médecine et de pharmacie de Rabat: « Cette réforme va permettre de former des médecins en un temps un peu plus court, on gagne une année, ce n’est pas beaucoup, mais je ne pense pas qu’à elle-seule cela va régler le problème de la fuite des médecins à l’étranger. De mon point de vue, ça se discute. »

Selon l’étude précédemment citée, 70,1% des 251 étudiants de dernière année sondés avaient l’intention de quitter le pays, dont 63,6% étaient des femmes. Aucune association significative n’a été trouvée entre l’intention de migrer et le profil socio-économique des étudiants.

Les décideurs politiques en matière de santé devraient améliorer les conditions de travail, la qualité de la formation et le salaire des agents de santé afin de réduire la migration des étudiants en médecine qui représente l’un des indicateurs clés de l’avenir du système de santé du pays, conclue l’étude élaborée entre le 1er et le 31 janvier 2021.

Du côté de Pr. Mohamed Mouhaoui, la réforme des études en six ans « augmentera le ratio médecins/population mais il va falloir cadrer tout ça en travaillant sur la qualité de la formation, l’amélioration au niveau des stages hospitaliers et l’introduction de nouvelles méthodes pédagogiques comme la simulation santé ». « Cela affectera peut-être un peu plus la qualité de la formation », s’interroge toutefois l’anesthésiste-réanimateur et responsable du service des urgences au CHU de Casablanca.

De meilleures conditions de travail, première cause de départ

Dans le schéma actuel de la formation en médecine, les stages démarrent en troisième année (généralement cours le matin, hôpital l’après-midi). Les 6e et 7e années sont consacrées exclusivement et à plein temps à des stages à l’hôpital. Est-ce à dire qu’une année de stage sera supprimée à la suite de la proposition de réforme?

« On ne supprime pas les stages de la 7e année mais on va les répartir différemment sur les années précédentes. Cela ne veut donc pas dire qu’on va réduire le volume horaires des stages. Il faut surtout un peu plus de moyens matériels et humain, tout est lié, ce n’est pas question d’une seule action, c’est un tout », répond Pr. Cherrah.

Toujours selon l’étude de l’université d’Oxford, la première raison qui pousse les médecins marocains à exercer à l’étranger est de meilleures conditions de travail (99%). Viennent ensuite une meilleure formation (97,6 %), une meilleure qualité de vie (97,2 %), le salaire (97%), l’insatisfaction de la formation proposée au Maroc (95,2%) et le dénigrement du médecin dans les médias (83,6%).

Lire aussi : Médecine: une formation en 6 ans au lieu de 7, ce qu’en pense un expert

Dans le même sens, Pr. Mouhaoui estime que pour que le Maroc maintienne ses médecins, il faut en priorité « améliorer les conditions de travail qui doivent être plus attractives », outre la rémunération. « Il faut avoir des mesures accompagnatrices, un système de roulement équitable par exemple dans les zones de déserts médicaux ».

Pr. Cherrah s’inscrit dans cette même vision de rendre les conditions de travail plus attractives. Réduire d’une année la formation médicale, « on peut le faire, mais de l’autre côté il faudrait revoir tout l’environnement de la pratique médicale pour encourager les médecins à rester au Maroc et à aller s’installer là où il y a un besoin réel ».

« Le fait d’augmenter le nombre de candidats aux études médicales est une nécessité pour un pays comme le Maroc. On ne peut plus se permettre de produire aussi peu de médecins, pratiquement 1800-1900 par an. Et il faudra réformer le système de santé pour pouvoir les garder en leur proposant des conditions de travail et d’évolution décentes, sinon ils vont aller les chercher auprès d’autres systèmes de santé dans le monde », renchérit Dr. Amraoui. A ce titre, l’Allemagne est la destination favorite (34%), souligne l’étude.

« Penser la formation médicale dans sa globalité »

« Il faut penser la formation médicale dans sa globalité, adopter de nouvelles méthodes pédagogiques, de nouveaux stages, utiliser les dernières technologies, revoir le taux d’encadrement, l’implication des ressources humaines (professeurs et étudiants), la communication autour de ces mesures pour s’assurer de l’adhésion de tous les intervenants. On a besoin d’autres profils dans le système de santé comme des gestionnaires, des commissions médicales », poursuit le médecin.

Le spécialiste mentionne d’ailleurs « l’urgence d’accélérer la refonte globale du système de santé pour pouvoir réussir le chantier gigantesque de la couverture médicale généralisée », qui nécessite « des conditions de travail favorables et attractives » pour les ressources humaines sollicitées. « Qu’il s’agisse de médecins nationaux ou internationaux puisqu’on a passé une loi qui autorise l’exercice des médecins étrangers au Maroc », précise-t-il.

« Il faut que notre système de santé soit attractif au même titre que les autres à travers le monde, il n’y a pas de raison pour que le français ou l’allemand continue à démarcher nos médecins de cette façon », clame l’expert qui met en avant le fait que « nos médecins sont particulièrement demandés ».

Un constat partagé par Pr. Cherrah. « C’est sûr que nous formons des médecins compétents puisqu’ils sont recherchés par ailleurs. S’ils étaient mal formés, on ne les accepterait pas. On veut de l’excellence et on voudrait qu’elle reste au Maroc en priorité. Pour cela, il faut revoir tout le rôle de l’environnement de cette pratique médicale », conclue-t-il.

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