Post-Covid: le Maroc doit « entamer des transformations structurelles profondes », estime la directrice Maroc de la BERD

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Marie Alexandra Veilleux-Laborie. Crédit: DR.

La directrice en charge du Maroc à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), Marie Alexandra Veilleux-Laborie, a accordé une interview à la MAP dans laquelle elle s’exprime sur la relance de l’économie après le coronavirus et les actions menées par cette institution pour soutenir les efforts du Royaume pour sortir de cette crise.

Selon Veilleux-Laborie, le Maroc, qui démontré par le passé sa résilience face aux chocs internes et externes, dispose des fondamentaux solides pour faire face à cette crise mondiale inédite de par sa violence et sa soudaineté.

Elle estime aussi que la réflexion entamée par le Royaume sur le renouveau de son modèle de développement est encore plus d’actualité pour préparer le lendemain de la gestion de l’urgence, rappelant que la BERD a lancé une réponse immédiate sous forme d’une enveloppe de Solidarité, dont le Maroc a bénéficié en premier avec 145 millions d’euros en faveur du secteur bancaire et des petites et moyennes entreprises (PME).

Tout d’abord, comment évaluez-vous l’impact du covid-19 au Maroc ?

Le monde entier est touché par cette pandémie, avec une crise globale inédite et exceptionnelle de par sa violence et sa soudaineté. Le Maroc n’y échappe pas malheureusement, mais les autorités publiques ont été très réactives, voire même proactives dans la gestion de cette pandémie avec des mesures prises très tôt dès l’apparition du premier cas, le 02 mars dernier.

Je pense qu’il faut s’attendre à une année 2020 extrêmement difficile économiquement et socialement, non seulement du fait des conséquences de la crise sanitaire, mais aussi de la sécheresse agricole avec un niveau de pluviométrie très bas.

Par conséquent, la balance des paiements est fortement impactée, notamment du fait de la perte des revenus du tourisme, de la baisse des transferts d’argent provenant de l’étranger et des exportations, principalement vers l’Europe. A cela s’ajoute la baisse de la demande domestique qui impactera fortement les finances publiques avec un fort accroissement du déficit public.

C’est une situation inédite. Ce que nous voyons aujourd’hui sur le terrain, puisque la BERD est fortement présente au Maroc, est qu’au niveau des entreprises, la situation est très grave avec plus de 140.000 entreprises à l’arrêt, d’après les dernières données du Haut-commissariat au Plan (HCP). Le secteur informel est également touché de plein fouet, notamment du fait du confinement. Ceci a un impact direct social très important.

Ceci dit, je pense que le Maroc dispose de fondamentaux solides pour faire face aux difficultés actuelles. Par le passé, le Royaume a démontré sa résilience face aux chocs internes et externes.

Quelles sont les actions menées par la BERD pour soutenir les efforts du Maroc pour sortir de cette crise ?

De manière globale et institutionnelle, notre approche consiste à proposer des solutions de financement et d’accompagnement pour atténuer l’impact de la crise mais également à préparer demain, une fois la gestion de l’urgence est passée.

Dès mi-mars, la BERD a été le premier bailleur de fonds à lancer une Enveloppe de Solidarité – de 1 milliard d’euros (Md€) – dans le monde visant à soutenir les entreprises qui font face à des problèmes de liquidité, de financement des besoins en fonds de roulement. Il s’agit d’une réponse immédiate, pour faire face aux besoins de liquidité des pays et du secteur privé.

Vendredi dernier, notre conseil d’administration a approuvé la deuxième phase de cette Enveloppe de Solidarité pour 21 Md€ sur 2020-2021 avec cinq principales composantes. Parmi ces composantes, deux me paraissent importantes d’être soulignées: Une enveloppe de résilience de 4 Md€ destinée à fournir des liquidités d’urgence à court terme à nos partenaires et filiales (entreprises et institutions financières) et le soutien aux services vitaux d’infrastructure – tels que l’électricité et l’eau par exemple.

Le Maroc a été le premier pays à bénéficier de cette Enveloppe de Solidarité et notre premier client a été le groupe Bank Of Africa – BMCE auquel nous avons accordé, la semaine dernière, un package de financement de 145 millions d’euros (M€).

L’objectif de ce package de financement est triple: continuer de soutenir notre partenaire bancaire de longue date et la liquidité bancaire, soutenir l’économie réelle pour garantir une certaine résilience des petites et moyennes entreprises (PME) et accroître la ligne qui promeut les échanges commerciaux à l’international pour justement soutenir les importations et les exportations du Maroc, lesquelles subissent aujourd’hui la crise de plein fouet.

La deuxième réponse que nous avons déjà apporté au Maroc consiste en l’accompagnement technique des PME, qui est financé par l’Union européenne.

A cet effet, nous avons lancé en ligne des webinaires de formation. Les premiers, portant sur la formation sur le marketing digital, se sont adressés aux femmes chefs d’entreprises. Bientôt, nous allons lancer des webinaires concernant le secteur de la santé.

Ces deux actions sont des réponses immédiates, mais notre objectif est également de préparer la sortie de crise et soutenir des projets qui s’inscrivent dans des politiques publiques de long terme. C’est pourquoi nous accompagnons le ministère de l’Agriculture dans l’implémentation du plan « Generation Green » avec un prêt de 150 M€.

Comment peut-on relancer l’économie marocaine après le coronavirus ?

C’est une question très difficile, car cette crise est inédite et aucun modèle économique n’existe sur lequel nous pourrions nous baser.

Les autorités marocaines ont été proactives dans la gestion d’urgence et de la crise sanitaire pour atténuer les retombées négatives économiques et sociales. Je pense surtout au soutien aux populations les plus vulnérables, aux PME et plus généralement aux entreprises et à l’emploi, ainsi qu’à l’appui de la Banque centrale (Bank Al-Maghrib) au secteur bancaire.

Chaque pays décidera de la manière de relancer l’économie mais, bien sûr, il sera nécessaire de coordonner les politiques publiques à l’international, notamment compte tenu de l’interdépendance entre le Maroc et l’Europe.

Avant la pandémie du covid-19, le Maroc avait déjà entamé une réflexion sur son nouveau modèle de développement économique. Je pense qu’une fois la gestion de l’urgence sanitaire passée, cette réflexion sera encore plus d’actualité afin de redéfinir le modèle de développement. L’objectif sera d’entamer des transformations structurelles profondes, tant économiques que sociétales, et de créer un environnement propice à une économie inclusive, notamment en termes d’accès aux services vitaux tels que la santé et l’éducation, et à une économie verte décarbonée pour faire face aux changements climatiques.

Quels sont les secteurs prioritaires à cibler pour réussir cette relance ?

Tout d’abord, il faudra, à l’instar de nombreux pays, démarrer avec précaution pour éviter une rechute. Nous assistons aujourd’hui à une digitalisation extrêmement rapide qui entraine une évolution technologique importante, en particulier avec l’enseignement en ligne et le travail à distance par exemple. Je pense que cette tendance ne sera pas passagère car les bénéfices environnementaux en termes de pollution, mais aussi le gain en productivité et les économies liés à la digitalisation sont significatifs, et pousseront les entreprises et les Etats à avancer davantage dans cette voie. Évidemment, le secteur touristique marocain est très touché, comme dans tous les pays où ce secteur est important. Il est urgent de soutenir ce secteur tant à court terme qu’à long terme, montrer qu’on est prêt à accueillir de nouveau des touristes dans un environnement sain.

Parallèlement, le secteur agricole reste et sera primordial. La stratégie « Generation Green » devrait permettre de transformer en profondeur ce secteur et répondre aux besoins de première nécessité et d’assurer la souveraineté alimentaire. Nous nous attendons à une pénurie mondiale de l’offre de produits agricoles, non pas à cause de faible récolte mais faute de main d’œuvre capable de récolter en temps voulu du fait du confinement et de la perturbation des circuits d’acheminement et de transport classiques. Cela peut être une opportunité pour le Maroc de mettre en place des processus innovants pour répondre aux attentes des consommateurs mondiaux, compte tenu de la nouvelle donne.

Il en est de même pour les industries exportatrices, notamment l’automobile, l’aéronautique et le textile où une coordination est nécessaire avec les partenaires en amont et en aval des chaînes de production marocaines, avec des cahiers de charges sanitaires très précis pour garantir la fluidité des échanges commerciaux.

Enfin la dimension africaine est un atout compte tenu de la perturbation de flux commerciaux et des chaînes de valeurs qui va probablement mener à une recomposition de la carte mondiale des échanges au profit et au détriment des uns et des autres. Le Maroc me parait très bien placé pour tirer des avantages de cette nouvelle recomposition.

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