Etude: le capital marocain fermement concentré entre quelques mains

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La structure de gouvernance du tissu économique marocain est l’objet d’une étude menée par les chercheurs Mohamed Oubenal et Abdellatif Zeroual. Pour ces derniers, le capital marocain est fermement concentré entre quelques mains.
Qui dirige l’économie marocaine? Deux chercheurs marocains, Mohamed Oubenal et Abdellatif Zeroual, se sont attelés à répondre à cette question en étudiant la structure de gouvernance du tissu économique marocain. Leur travail, publié par le think-tank Tafra, examine la composition des conseils d’administration des 76 entreprises cotées à la Bourse de Casablanca au 31 août 2013 pour décrire le système de gouvernance du grand capital marocain. Ce faisant, ils reconstruisent le réseau des interlocking directorates marocains, établissant une connexion entre deux des 441 administrateurs de ces entreprises s’ils siègent au sein d’un même conseil.
Les deux chercheurs soulignent un aspect fragile du système de par sa forte concentration se présente sans résistance face aux crises potentielles. Ils soutiennent que « la structure du réseau de gouvernance des entreprises a des conséquences sur le fonctionnement de notre économie. Or, sa forte concentration, telle que démontrée dans cette étude, n’est pas sans interroger la capacité de résistance du système en cas de choc macro-économique. Ce dernier, à l’instar de la crise financière de 2008, a des effets directs, indépendants de la structure du système mais aussi un effet propre à la structure même du système: une faiblesse de la part du centre peut se répandre rapidement dans la périphérie, engendrant la contagion du réseau« .
Deux investisseurs institutionnels au centre de l’intermédiation
L’étude montre par ailleurs que l’économie marocaine se caractérise par « une forte concentration autour de quelques groupes privés et de deux investisseurs institutionnels. Ceci s’explique par « la distribution de la participation aux conseils d’administration des entreprises cotées« .
Ainsi, « sur un total de 561 sièges existants, 8 des groupes les plus importants s’accaparent 105 sièges, soit 19% de tous les sièges (tableau 1). Six de ces 8 groupes sont des groupes familiaux privés, dont la famille Benjelloun et la holding royale SNI ; les deux autres, la CIMR et la CDG« .
Selon l’étude, les investisseurs institutionnels, à l’instar de CIMR et CDG, jouent un rôle prépondérant dans la connexion d’autres investisseurs. « En analyse de réseau, on mesure la capacité à connecter des acteurs qui ne sont pas eux-mêmes connectés par la «centralité d’intermédiarité». Intuitivement, plus un acteur est un passage obligé sur des chemins que d’autres doivent emprunter pour se rejoindre, plus il aura un score d’intermédiarité élevé».
Du fait de ce rôle d’intermédiation, la CDG et la CIMR sont très sollicitées pour faire partie du tour de table des investisseurs privés et n’implique pas qu’elles exercent un contrôle sur ces groupes privés. «Dans la place casablancaise, quelqu’un comme Cheddadi de la CIMR est très exigeant. Il décortique les comptes et la situation financière des groupes dans lesquels il investit. Il est même parfois un signal qui encourage d’autres comme la MAMDA à suivre, c’est-à-dire que si vous avez la CIMR dans votre tour de table, c’est un signal positif pour le marché et vous pouvez avoir d’autres investisseurs, mais s’il dit « non », et que ça se sait, ça peut être l’inverse».
Enfin, les financements apportés par l’administrateur dans les projets du groupe sont l’autre ressource échangée, comme l’explique un haut cadre d’un grand groupe au cœur du réseau :
«Notre PDG a tout fait pour avoir des institutions comme la CDG, la CIMR ou la MAMDA. Vous savez, ces groupes ont une force de frappe financière importante. Pour comprendre leur apport, allez voir les filiales de notre groupe. Vous verrez qu’elles (CDG, CIMR, MAMDA) sont associées à beaucoup de nos projets. C’est eux qui cofinancent».
Ainsi, de par leur poids financier, «la CDG et la CIMR apparaissent aujourd’hui comme les principaux financeurs des grands groupes privés marocains. Ce qui fait de ces deux investisseurs institutionnels des acteurs pouvant potentiellement modifier la gouvernance des entreprises cotées».
Une structure cœur-périphérie
L’étude montre que deux éléments sont importants dans la structures économique: l’accès à l’information et et aux investissements dispensés par les acteurs centraux. «Plus un administrateur est proche de la CDG et de la CIMR, plus il a de chances d’obtenir une information importante ou des fonds. Or, l’analyse de la structure du réseau (Figure ci-dessus) montre une structure cœur-périphérie, importante car elle engendre des inégalités: au cœur, deux tiers des nœuds sont connectés à la CIMR et à la CDG, et peuvent accéder aux ressources échangées (informations, financements); le tiers restant forme la périphérie: des ilots indépendants, sans lien avec le cœur».
L’étude note par contre une exception de trois des plus grands hommes d’affaires qui composent la périphérie, bien qu’ils soient dans certain cas beaucoup plus riches que ceux du centre. Il s’agit d’Aziz Akhannouch, Miloud Châabi et Anas Sefrioui (3 des 5 milliardaires marocains selon le classement Forbes 2014 des plus grosses fortunes d’Afrique).
Les plus grosses fortunes, quant à elles, figurent au centre du réseau: «deux des plus grosses fortunes du pays, Othmane Benjelloun (dont le groupe dispose de 19 sièges dans les CA) et le roi Mohammed VI via la holding royale SNI (18 sièges dans les CA), ainsi que plusieurs millionnaires (Mohamed Bensalah – 11 sièges -, Mohamed Lazrak – groupe El Alami, 8 sièges – et Moulay Hafid Elalamy – 7 sièges -); les administrateurs de différentes banques et assurances, ceux des investisseurs institutionnels qui gèrent l’épargne salariale tels que les fonds de la sécurité sociale ou des retraites (CDG, CIMR) ou les mutuelles agricoles et centrales (MAMDA-MCMA); les administrateurs de groupes étrangers comme Lafarge ou la BNP ainsi que les représentants des 3 institutions financières qui comptent dans leur tour de table les investisseurs du Golfe».
Donc, d’après l’étude, la clé à la réussite économique réside dans le rapprochement de la sphère des investisseurs institutionnels. «Ces dispositifs d’ingénierie financière, telle que la participation à des conseils d’administration, ont conduit à l’arrivée de nouveaux acteurs, à l’instar du groupe de Moulay Hafid Elalamy qui n’existait pas avant 1995, et qui est devenu un acteur émergent du noyau dur de l’élite économique après avoir racheté, en 2005, l’assureur privé marocain CNIA. Mais aussi à la montée en puissance de groupes plus anciens comme celui d’Othmane Benjelloun après que ce dernier a pris le contrôle de l’assureur RMA et de la BMCE; ou encore de la holding royale après l’absorption de Wafabank du groupe Kettani».
La SNI, tour de contrôle de l’économie marocaine
Bien qu’elles jouent un rôle prépondérant dans le tissu économique, la CDG et la CIMR demeurent sous le contrôle et l’influence, directs ou indirects, du groupe tentaculaire la SNI. Contrairement aux fonds de pension américains qui ont joué un rôle important dans la transformation du capitalisme et qui disposaient de l’autonomie d’investissement, la monarchie marocaine influence, directement ou indirectement, le processus de décision d’investissement de ces deux institutions.
L’étude illustre cette influence de la SNI par un exemple très concret. Le pouvoir central est parvenu à garder une certaine forme de contrôle sur la BMCE après avoir placé un administrateur au cœur de l’entreprise la plus importante du groupe Benjelloun, lors de la prise de participation de la CDG au CA de ce dernier. «Concrètement, la SNI est le groupe qui partage le plus de sièges avec la CDG et la CIMR. Dans 5 entreprises où la SNI est actionnaire en collaboration avec le capital étranger, on retrouve 4 fois la CIMR et 5 fois la CDG. Par ailleurs, l’étude du CA de la CIMR montre que sur ses 15 membres, 7 appartiennent à la SNI (notons également que parmi les grands groupes présents dans son tour de table, siègent deux entreprises publiques, RAM et BCP, dont les PDG sont nommés par le roi). Une participation que l’on retrouve dans le comité d’investissement de la CIMR qui compte deux représentants d’entreprises (sur les 4) où la SNI est actionnaire. La holding royale a donc un contrôle important sur la prise de décision de cette institution».
 

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