Economie: 2019, l’année des bouleversements ?

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Perte de confiance des ménages, déficit budgétaire, chômage devenu structurel, investissement privé en décroissance…L’année 2019 ne démarrait pas sous le meilleur des hospices pour l’économie marocaine. Néanmoins, et malgré un contexte mondial marqué par l’agressivité commerciale, le royaume a pu maintenir une certaine solidité de ses agrégats. Tour d’horizon des évènements économiques ayant le plus marqué l’année qui vient de s’écouler.  

L’accord de pêche avec l’UE enfin conclu 

Objet d’un bras de fer politique et diplomatique, l’adoption de l’accord de pêche entre le Maroc et l’Union européenne par le parlement de Strasbourg a été le fruit d’une longue bataille des coulisses durant l’année 2018. La convention a fini par être validée à 415 voix pour, 189 contre et 49 abstentions sur 653 députés le 12 février 2019. A son titre, le Maroc bénéficiera d’une contrepartie financière de 52,2 millions d’euros contre 40 millions euros pour le précédent protocole de pêche. En échange, la flotte européenne (128 navires au maximum), pourra pêcher près de 100.000 tonnes de poissons, dont 94.000 tonnes de petits pélagiques par an. L’accord couvre une zone de pêche s’étendant du parallèle 35 jusqu’au parallèle 22, à savoir du Cap Spartel dans le nord du Maroc jusqu’au Cap Blanc dans le sud.

 

Le ministre de l’Agriculture Aziz Akhannouch en compagnie des responsables européens lors de la signature de l’accord de pêche. Crédits : DR/

Pas de plafonnement pour le prix des hydrocarbures 

«Le recours éventuel du gouvernement au plafonnement des marges bénéficiaires des carburants liquides ne sera pas un choix suffisant et judicieux d’un point de vue économique, concurrentiel et en termes de justice sociale». Après avoir été consulté par le gouvernement au sujet du plafonnement de la réduction des marges bénéficiaires des opérateurs des hydrocarbures, le conseil de la concurrence a émis un avis négatif sur la question. Il a ainsi fustigé une «politique de libéralisation mal préparée», tout en recommandant d’activer d’autres leviers, portant sur l’amont et l’aval de la structure de ce marché pour le rendre plus concurrentiel et en phase avec les objectifs stratégiques de sécurisation de l’approvisionnement. Néanmoins, après la flambée des prix du baril en mai 2019, l’exécutif, via le ministère délégué aux affaires générales, a ressorti l’éventualité d’un plafonnement temporaire pour limiter la casse au niveau des prix, mais sans aller jusqu’au bout de la démarche.

Bombardier cède ses activités au Maroc 

Dans le but de concentrer ses divisions d’avions d’affaires et d’avions commerciaux au sein d’une seule et même entité, Bombardier Aviation, le géant canadien de l’aéronautique décide de se libérer à partir de mai 2019  ses usines de Belfast, en Irlande du Nord, et de Casablanca, au Maroc. Trois repreneurs étaient en lice, en l’occurrence le français Airbus, l’anglais GKN et l’américain Spirit Aerosystems. Et c’est ce dernier qui a décroché le gros lot.  L’entreprise, basée au Kansas, fabrique des aérostructures pour l’aviation civile : fuselages et cockpits, ailes, supports de réacteurs. La fabrication de fuselages et cockpits représente 50 % de son chiffre d’affaires (2425 millions de US$), les nacelles 25 % (1221 millions), les ailes 25 % (1 208 millions).

Le ministre de l’Industrie Moulay Hafid El Alamy et le PDG Monde de Bombardier, Alain Bellemare. Crédits: DR/

TPE/PME: vers un véritable choc entrepreneurial 

Si le tissu économique marocain est essentiellement composé de petites et moyennes entreprises, ces dernières ne bénéficiaient que très peu de politiques publiques audacieuses. C’est en avril 2019 que Bank Al Maghrib (BAM), la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) et le Groupement professionnel des banques du Maroc (GPBM) ont décidé de prendre la problématique à bras le corps en décidant de mettre en place un dispositif spécial pour cette catégorie d’entreprise. Il s’agira de mettre en œuvre les leviers de la stratégie nationale d’inclusion financière et particulièrement ceux visant la TPE et la micro-entreprise, à travers notamment l’accélération du développement des modèles alternatifs comme la microfinance et le crowdfunding. Dans la foulée, la loi sur les délais de paiement et la mise en place de l’observatoire y afférents ont été activés. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a recommandé, dans son rapport sur le nouveau modèle de développement, rendu public jeudi, le lancement d’un programme intensif visant à faire émerger 30.000 petites et moyennes entreprises (PME) sur une durée de 5 ans. « Pour réussir le choc entrepreneurial, il faudrait se donner les moyens d’atteindre rapidement près de 10 Mds de DH par an à engager par le budget et près de 40 Mds de DH sous forme de garanties publiques aux prêts bancaires », indique le CESE.

Maroc Télécom, les premiers désengagements de l’Etat 

Orientation prévue par la loi de Finance 2019, le désengagement de l’Etat des entreprises publiques a pris sa première forme via le lancement de la vente des actions publiques de l’opérateur télécom historique. L’Etat compte en effet céder une part maximale de 8% du capital et des droits de vote de Maroc Télécom à travers des cessions de blocs d’actions et d’une offre publique de vente sur le marché boursier marocain».

Imbroglio à la CGEM 

Elu en mai 2018 à la tête du syndicat patronal, Salaheddine Mezouar n’a pas fait long feu. A peine une année après le scrutin, l’ancien ministre de l’Economie et des Finances a dû présenter sa démission après un manquement à un devoir de réserve. Alors que les contestations faisaient rage en Algérie contre le pouvoir en place, la diplomatie marocaine a choisi une stratégie de «non-ingérence». Sauf que l’ex patron des patrons a choisi de livrer son analyse de la situation dans le pays voisin lors du World Policy Center, devant un parterre de diplomates, experts et de journalistes. Il a ainsi considéré que «le pouvoir politique algérien était condamné au compromis et à l’ouverture». Un écart de langage qui n’a pas été du goût du département des affaires étrangères qui s’est fendu d’un communiqué cinglant à son encontre, considérant sa démarche «irréfléchie et irresponsable». Mezouar a dans la foulée présenté sa démission et laissé derrière lui un poste vacant. Le tandem Chakib El Alj/Mehdi Tazi par pour l’instant favori pour le remplacement du duo Mezouar/Mekouar.

Salaheddine Mezouar, ex-président de la CGEM, quelques minutes avant son « dérapage » sur l’Algérie. Crédits: DR/

Doing Business, le Maroc récolte le fruit de ses réformes 

Indicateur pertinent pour les investisseurs, le classement doing business de la Banque mondiale a livré une bonne suprise pour le Maroc, qui y a gagné 7 place en intégrant le top 50 des économies mondiales. Des résultats que l’institution financière internationale a justigié par la «série de mesures et de réformes importantes liées à l’activité économique et entrepreneuriale marocaine». Le Royaume conserve son avance en Afrique du Nord et se classe au troisième rang des pays de la région MENA, derrière les Émirats arabes unis (16ème) et Bahreïn (43ème), devant l’Arabie saoudite (62ème) et Oman (62ème). La  Jordanie est 75ème, le Qatar 77ème, la Tunisie 78ème, le Koweït 83ème, l’Egypte 114ème. Au niveau africain, le rapport a souligné que le Maroc maintenait sa troisième position derrière les îles Maurice, qui se classaient au 13ème rang mondial, le Rwanda au 38ème rang, et devant le Kenya 56ème, l’Afrique du Sud 84ème, le Sénégal 123ème, le Nigeria 131ème.

Le tournant protectionniste 

Alors que la prise de conscience a été prise quant au niveau des organes de décision quant au côté nocif de certains accords de libre-échange, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Moulay Hafid Elalamy, a décidé de prendre ce dosser au sérieux à partir de novembre 2019. Ainsi, face à l’agressivité commerciale, il s’agira donc de procéder à une révision globale des accords de libre-échange conclus et prospecter les meilleures voies possibles à même de favoriser un rééquilibrage des relations commerciales avec les partenaires, de renforcer le dispositif de défense commerciale dans le but de lutter vigoureusement contre la concurrence étrangère déloyale, notamment à travers un contrôle davantage strict à la frontière (fraude, contrebande, sous-facturation…) de «sorte à préserver l’intégrité du marché intérieur et favoriser son développement harmonieux», de l’explorer l’opportunité de recourir à une nouvelle doctrine en matière de conclusion des accords de libre-échange, en privilégiant plus les groupements régionaux que l’approche bilatérale et en ciblant en priorité les pays du Sud pour se prémunir contre les chocs concurrentiels asymétriques.

Les biens de l’Etat inattaquable ? L’article de la discorde

Lors de la présentation du projet de loi de Finance 2020, une disposition a spécialement attiré l’ire des professionnels de la Justice, à savoir l’article 9. Ce dernier édicte que les créanciers de l’Etat porteurs de titres ou de jugements exécutoires à l’encontre de l’Etat ne peuvent se pourvoir en paiement que devant les services ordonnateurs de l’administration publique concernée». Ces derniers sont certes tenus d’inscrire les crédits nécessaires pour l’exécution des jugements, mais «dans la limite des possibilités de budget». Si la dépense est imputée sur des crédits qui se révèlent insuffisants, l’exécution des jugements est faite dès lors, par voie d’ordonnancement de la somme concernée, à hauteur de crédits budgétaires disponible. Un texte que l’association des anciens batonniers a considéré comme «un discrédit pour le pouvoir judiciaire», et n’a pas hésité à mobiliser ses troupes. La CGEM également, première concernée, n’a pas hésité à parler d’un «pas en arrière». Le texte a été finalement amendé, avec la garantie pour les créanciers détenteurs de jugements définitifs en faveur d’une saisie des biens de l’Etat le droit de se faire payer dans un délai maximum de 4 ans.

Anti-inflationniste dur, le gouverneur de la Banque centrale refuse d’injecter de l’argent dans l’économie.

Un emprunt à l’international forcé ? 

Alors que Bank Al Maghrib refuse de mettre de l’argent dans l’économie et que les banques marocaine sont en crise de liquidité, l’Etat a choisi d’opérer une sortie vers les marchés financiers afin d’obtenir un emprunt obligataire. L’Etat a émis le 21 novembre 2019, cet emprunt pour un montant de 1 milliard d’euros, assorti d’une maturité de 12 ans. «Outre le rendement qui constitue le niveau le plus bas jamais obtenu par le Maroc sur le marché international, cette émission a bénéficié du carnet d’ordre le plus important par sa taille pour une transaction en euro du Maroc: il a dépassé 5,3 milliards d’euros au cours de la transaction avec plus de 285 investisseurs impliqués. Ce succès confirme la confiance dont jouit le Maroc auprès des grandes institutions financières internationales et des agences de notation», a indiqué le département de l’Economie et des Finances après son roadshow dans les capitales financières mondiales. Cette opération marque néanmoins la fin de la tendance baissière de la charge de la dette sur les finances publiques…

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