Don d’organes: la série « Kaina Dorouf » crée la polémique

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La diffusion de la série télévisée « Kaina dorouf » traitant de la question du don d’organes a suscité des réactions mitigées, suite à la mort de l’héroïne du feuilleton qui a fait don de son rein à son frère souffrant d’insuffisance rénale chronique.

Ce choix dramatique a fait l’objet d’une vive critique de la part d’une catégorie qui y voyait un coup porté à tous les efforts déployés en matière d’encouragement de la culture du don d’organes au Maroc, tandis que d’autres personnes ont estimé qu’il s’agissait d’une œuvre dont le choix de l’intrigue adéquate revient aux producteurs.

Cette œuvre soulève de nombreuses questions sur les limites entre le droit des producteurs à la créativité et l’obligation de diffuser des informations médicales fiables, à l’instar de ce feuilleton pointé de semer la peur parmi les donateurs et un sentiment de désespoir chez les insuffisants rénaux en attente d’un donneur qui leur redonnerait espoir de vivre.

Dans cet entretien accordé à la MAP, le président de la Société marocaine de néphrologie, Dr Tarik Sqalli Houssaini, répond à trois questions sur l’impact de la diffusion de cette série et les messages véhiculés auprès des téléspectateurs, compte tenu de la forte influence de la production médiatique sur l’opinion publique, et montre également le bien-fondé d’un ensemble d’informations transmises par la série d’un point de vue médical.

1- Quel est votre commentaire sur les messages transmis à travers cette série concernant le don d’organes en général et des reins en particulier ?

En tant que médecin en contact quotidien avec des patients atteints d’insuffisance rénale chronique terminale qui suivent une hémodialyse et souhaitant une greffe de rein dans l’espoir d’une vie meilleure, je pense que la diffusion de cette série ramadanesque a eu à la fois un impact positif et négatif. Le bon côté de cette série, qui a généré une audience importante, consiste en la mise en lumière de la question de transplantation rénale au Maroc, au-delà de l’aspect médical pour s’ériger comme étant une question sociétale.

Quant au côté négatif, il renvoie aux inexactitudes et messages erronés qui ont été relayés par la série de manière qui semble non intentionnelle, dans le cadre d’une intrigue dramatique avec une sorte de suspense.

Ce qui gêne dans l’affaire, c’est que la mort de la donneuse de rein dans la série est non conforme à la réalité et induit le téléspectateur en erreur en associant l’acte de don d’organes au risque de décès.

Lire aussi: Don d’organes: le nombre des donneurs demeure très faible comparé à celui des patients

De même, cette série a malheureusement occulté tous les efforts consentis et les critères stricts adoptés lors du processus de don du rein. Au Maroc, une grande importance est accordée à la sécurité du donneur et à l’adoption de conditions précises tout au long des étapes de l’opération. Les résultats sont excellents car aucun décès n’a été enregistré jusqu’à présent. Par ailleurs, j’affirme l’absence de négligence ou de manquement aux conditions sanitaires associées à ce type de don, contrairement à ce que laisse croire le feuilleton.

2- Quelles ont été les réactions après la diffusion de l’épisode du décès de la donneuse, notamment de la part des patients qui espèrent obtenir une greffe de rein ?

Les réactions suscitées par la diffusion de cet épisode de la série sont nombreuses et mitigées, et on les comprend. Le sujet du don d’organes refait surface, ce qui est bon pour le développement de ce type d’opérations au Maroc. Or, des commentaires se sont concentrés sur l’aspect dramatique, disant qu’il s’agit d’une série télévisée et non d’une histoire vraie ; L’auteur et le scénariste ont donc le droit de choisir l’intrigue et le déroulement des faits de la série à leur guise, dans le cadre de leur droit à la créativité.

Nous regrettons seulement que cet aspect créatif ait fait croire à de nombreuses personnes qu’il s’agit d’une histoire vraie car leurs réactions montrent qu’elles ont été profondément touchées par le sort de la fille qui a fait don de son rein à son frère, ce qui risque d’affecter les choix des Marocains concernant la transplantation d’organes à l’avenir.

D’autres réactions ont rouvert le débat sur la transplantation d’organes du côté religieux sur lequel la question est tranchée, étant donné qu’il existe des fatwas et un avis clair du Conseil supérieur des Ouléma et de ceux d’autres pays musulmans, outre un texte juridique basé sur la référence islamique du Royaume. Le débat a également porté sur l’aspect juridique et les conditions du don d’organes et d’autres points liés à ce sujet.

Lire aussi: Le don d’organes au Maroc, toujours pas monnaie courante

En revanche, une catégorie de téléspectateurs n’a pas associé le décès de la donneuse au processus de don, autant qu’elle l’a attribué à la négligence et à l’indifférence de la patiente qui a tardé à se rendre chez le médecin. Par conséquent, le message a été adressé aux citoyens pour privilégier les consultations médicales au moindre problème de santé vu qu’il pourrait avoir de graves répercussions.

3 – D’un point de vue médical, le don de rein peut-il réellement entraîner la mort du donneur ?

Le risque de décès est très faible. Au Maroc, aucun décès n’a été enregistré, car toutes les conditions requises lors d’une opération de prélèvement d’organe sont respectées. Quelques complications légères peuvent être observées chez le receveur mais qui disparaissent avant sa sortie de l’hôpital. Au Maroc, les greffes de rein sont couronnées de succès, même si nous ne réalisons toujours pas un nombre suffisant de ces opérations en raison notamment du manque du nombre de donneurs vivants ou de la volonté de faire don de ses organes après la mort.

En tant que médecins spécialisés dans ce type d’opérations, nous rejetons la dramatisation et la diffusion d’idées fausses qui suggèrent au grand public que le processus de don peut entraîner la mort du donneur et qu’il est préférable d’éviter complètement cette opération qui constituerait un risque sur l’état de santé et la vie du donneur.

Enfin, nous espérons que le débat suscité par cette série sur la question du don de rein sera l’occasion de clarifier les différents aspects liés à ce sujet et de collaborer avec les artistes, les professionnels des médias et les autres acteurs pour lutter contre plusieurs stéréotypes liés au don de rein en particulier, et du don d’organes en général, vu qu’il constitue un enjeu de société qui mérite beaucoup d’attention.

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