Abdellah Tourabi: la révolution iranienne, Hassan II et nous

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Abdellah Tourabi. Crédit: DR.

C’était il y a quarante ans. En février 1979, devant le regard médusé du monde entier, se déroulait l’acte final de la Révolution iranienne. Après des mois de manifestations, de grèves et des milliers de morts, le puissant régime du Shah Mohamed Reza Pahlavi s’effondrait. L’Ayatollah Khomeiny, un obscur imam chiite, s’emparait du pouvoir et fondait une république théocratique.

Cette révolution constitue un tournant majeur de l’histoire moderne du monde musulman, un événement sans précédent. A une époque où certains dirigeants arabes et musulmans gouvernaient leur pays au nom du socialisme, du progrès et des lendemains qui chantent et que d’autres régnaient sous la bannière de la tribu, du clan ou de la dynastie, apparaissait un régime fondé exclusivement sur la religion.

L’Islam n’est plus uniquement une tradition ou des rites mais devient une idéologie, un Etat et le moteur d’une révolution qui arrache l’ancien ordre politique et économique de ses racines et le remplace par un nouveau. Avec prémonition, le philosophe français Michel Foucault, présent sur place, écrivait que désormais l’Islam : « risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’Hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires ».

 A l’autre bout du monde musulman, un homme observe ce qui se passe en Iran et réfléchit au sens des événements: Hassan II.

La Révolution iranienne est un choc pour lui, et à plus d’un titre. Le Shah est un ami personnel du roi du Maroc qui l’accueillera pendant des mois après sa chute et gardera pour toujours une animosité méprisante envers Khomeiny et son régime. Hassan II comprend rapidement les erreurs du souverain iranien déchu et en tire des conclusions qui changeront la face du Maroc.

Il en parle longuement dans son livre d’entretiens La Mémoire d’un Roi. Pour lui, le Shah avait eu tort de vouloir moderniser brusquement la société iranienne. Cette dernière était encore traditionnelle et percevait les comportements et les mœurs «à l’occidentale» du Shah et de son entourage comme une provocation, un outrage à l’Islam. Le Roi du Maroc est également choqué par «l’ingratitude» de la bourgeoisie persane, et surtout des femmes iraniennes, que le Shah pensait avoir émancipées, et qui se sont retournées contre lui pendant et après la Révolution.

Il réfléchit également au potentiel sismique de l’Islam politique et à ses capacités de mobilisation des masses. Il ne faut pas oublier qu’à l’époque l’islamisme en était encore à ses balbutiements: Cheikh Abdeslam Yassine n’était qu’un illustre inconnu, Benkirane et El Othmani, de jeunes étudiants.

Pour ne pas voir un Khomeiny marocain apparaître dans son pays, Hassan II déclenche sa propre révolution religieuse, à sa manière et avec ses propres ressources symboliques et politiques. Une véritable entreprise idéologique dont les effets subsistent jusqu’à maintenant. Les écoles, les mosquées, les médias publics et les lois sont les instruments de cette transformation. Le système éducatif, à travers les manuels scolaires et la formation des enseignants, devient la courroie de transmission d’une vision idéologique de la religion ; le statut de «Commandeur des croyants», véritable Constitution à l’intérieur de la Constitution, sert de prétexte à toutes sortes de décisions y compris celles qui n’avaient pas de lien avec les affaires religieuses. Quant aux médias publics, ils relaient un discours conservateur et traditionnel importé d’Orient.

Un nouveau Marocain fut ainsi forgé. Toutes les tentatives actuelles de modernisation et de changement se heurtent à ce Marocain des années 80 et 90, produit de cette opération idéologique menée par Hassan II. Ce Marocain qui est maintenant parent, enseignant, homme politique, imam, citoyen ordinaire…transmetteur et défendeur de valeurs héritées de cette période dont les contours ont été dessinés par Hassan II. Résultats d’un choix politique et d’un effet papillon de l’Histoire et de la géographie. Il y quarante ans, un séisme en Iran a provoqué des répliques au Maroc, et leurs effets sont encore là.

 

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