Vidéo. Mostafa Derkaoui raconte son premier film, censuré il y a 50 ans

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Après près de 50 ans d’interdiction et d’oubli, Mostafa Derkaoui a présenté son film « De quelques événements sans signification » au public marocain. Le réalisateur raconte pour H24Info l’histoire rocambolesque qui accompagne la création et la sortie de ce premier long-métrage en 1974. 

Longue standing ovation, mardi 15 mars au Théâtre 121 de l’Institut français de Casablanca, après la projection du film « De quelques événements sans signification » de Mostafa Derkaoui. Il y a des réussites qui prennent du temps. C’est la quatrième fois au Maroc et la seconde à Casablanca que le réalisateur âgé de 77 ans présente son film tourné et sorti en 1974. Il aura fallu près d’un demi siècle pour que ce pionnier du cinéma marocain puisse partager son premier long-métrage avec le public.

« J’ai été convoqué au Centre cinématographique marocain (CCM) par la commission du contrôle à une séance lors de laquelle fut annoncée l’interdiction du film. Un des membres de l’honorable commission me précisa que je devais me réjouir que mon film ne soit pas censuré mais interdit, ajoutant sur le ton de la confidence: « On ne vous coupe pas la parole, on vous interdit de dire des énormités. Un jour viendra où vous nous remercierez pour cette décision », se souvient comme si c’était hier, Mostafa Derkaoui, à propos de l’interdiction de son film par les autorités marocaines avant même sa sortie officielle.

« Il est certain que cet homme voyait plus loin que moi et sa vision était exacte. Je dis merci car mon film n’a pas été charcuté mais gardé au frais pour réapparaitre 48 ans après, meilleur qu’il n’avait jamais été, plus beau grâce à une restauration parfaite, plus fort car en 48 ans le goût et l’intelligence des spectateurs se sont développés et ont atteint un haut degré de raffinement« , se console-t-il.

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Après des problèmes de santé, Mostafa Derkaoui a perdu l’usage de la parole. Il écrit ses réponses à notre interview sur un cahier et sa nièce, Sanae Nour, les lit tout haut. Un acte symbolique… Même s’il a perdu la voix, son film gagne enfin la sienne, passée sous silence près d’un demi siècle. Et dans son regard, on peut voir l’enthousiasme intact des premières réalisations.

Mi-fiction mi-documentaire, le film retrace l’histoire d’une équipe de cinéastes en quête d’un thème à traiter. Ils parcourent les rues de Casablanca et interrogent des jeunes sur leurs attentes et leurs rapports au cinéma marocain. Un fait divers survient auquel ils décident de s’intéresser. Le crime commis par un docker du port, qui tue involontairement son chef, sert alors de prétexte pour questionner le but du cinéma marocain et aborder les problématiques sociales de l’époque, notamment le chômage.

Manifeste cinématographique

Sorte de « méta-film » comme le qualifie l’historien du cinéma Federico Rossin, Derkaoui élabore un manifeste cinématographique sur le cinéma qui, au Maroc, en est à ses prémisses. De quoi devrait parler le cinéma marocain? Doit-il être engagé et porter les revendications des citoyens? Comment ne pas tomber dans l’écueil d’un « cinéma bourgeois »? Des questions toujours d’actualité qui rendent ce film résolument moderne, si ce n’est les cols roulés couleur ocre, pantalons pattes d’éph, blousons en cuir, grosses lunettes aux verres fumés et coupes de cheveux longs. C’est aussi un véritable document historique du Maroc des années 70 où la pensée des intellectuels de gauche postindépendance s’organise, pleine d’espoir et avide de changement.

Ce film est d’ailleurs l’une des premières réalisations cinématographiques au Maroc qui ne disposait pas encore de tous les équipements nécessaires au montage. Au-delà de son interdiction, ce film a connu une véritable épopée pour voir le jour, développée une première fois à Madrid, puis au Maroc, entre le premier laboratoire cinématographique à Rabat et les locaux de la RTM (actuelle SNRT) à Aïn Chock, à Casablanca.

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« J’ai porté les négatifs du film d’aéroport en aéroport, de ville en ville, Casablanca, Rabat, Madrid, Barcelone, Paris où je perds à (l’aéroport, ndlr) Charles-de-Gaulle les trois caisses les contenant. Je les retrouve l’automne de la même année (1974, ndlr) dans un hall de ce même aéroport. C’est à Madrid que le film a été développé« , se rappelle Derkaoui.

« J’ai pu rapatrier les négatifs lorsque Me Abdelhamid Dziri, un cinéphile, me donna l’argent pour payer le laboratoire au royaume du Maroc et grâce aux efforts d’un grand homme du cinéma marocain nommé par dahir royal à la direction du CCM, Kouider Bennani. C’est grâce à ce dernier et à la volonté de Feu Sa Majesté le roi Hassan II qu’à Rabat fut construit le laboratoire en couleurs », poursuit le réalisateur. Mais le long périple de Derkaoui ne s’arrête pas là.

« Le premier tirage de 16 mm en couleurs fut effectué dans ce laboratoire équipé également de deux salles de montages. J’en occupais une pendant longtemps. La facture du CCM grossissait à mesure que progressait la première étape du montage. La seconde fut assurée dans une autre salle de montage à Casablanca, dans les locaux de la RTM (ex-SNRT, ndlr) à Ain Chock. Je n’ai jamais pu payer les factures du CCM et c’est encore une fois Me Dziri qui m’aida à obtenir une copie 35 mm effectué à Barcelone« , détaille le réalisateur.

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Et de conclure: « J’ai pris cette copie sous le bras et je me suis rendu à Paris où « De quelques événements sans signification » a bénéficié d’une première mondiale au Premier festival de cinéma de Paris (en 1975, ndlr). La projection s’est déroulée dans la salle du palais de Chaillot, entre celle de La soif du mal d’Orson Welles et Vol au-dessus d’un nid de coucous de Milos Forman. »

C’est l’unique fois où ce film a été projeté à l’époque avant d’être « interdit » de diffusion par le CCM, au Maroc et à l’étranger, une sentence en vigueur jusque dans les années 90. En 2016, un travail de restauration est mené par la chercheuse Léa Morin, avec le soutien de l’Observatoire, le Musée Collectif de Casablanca, la Filmoteca de Catalunya, Arab Fund for Art and Culture (AFAC), Solitude Schloss Akademie et Kibrit.

Cette initiative fait suite à la découverte des négatifs originaux (réputés perdus) dans une cinémathèque européenne (Filmoteca de Catalunya) qui les avaient récupérés après faillite du laboratoire en charge du développement dans les années 70, lit-on sur le site de l’Observatoire. Il sera par la suite programmé pour la première fois depuis sa renaissance à la 69e édition de la prestigieuse Berlinale en février 2019 à Berlin.

Mostafa Derkaoui est né en 1944 à Oujda (Maroc). Étudiant en philosophie à Casablanca au début des années 1960, passionné de théâtre, il se verra interdire pour raisons politiques une de ses premières pièces en pleine période de répression contre l’extrême gauche et l’opposition sous Hassan II. Il part alors pour la France où il fera une année d’étude au sein de l’IDHEC. Après un bref retour au Maroc et la réalisation d’un premier court métrage Les 4 murs (aujourd’hui perdu), il part étudier, avec son frère le chef opérateur et réalisateur Abdelkrim Derkaoui, à l’Ecole de Cinéma de Łódź en Pologne.

Au cours de sa carrière, il a notamment réalisé Les Beaux jours de Shehrazade (1980), Titre provisoire (1984), Les Sept portes de la nuit (1994) ou encore La Grande Allégorie (1995), Les Amours de Hadj Mokhtar Soldi (2000), Casablanca by Night (2003) et Casablanca Day Light (2004).

 

 

 

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