Musique. Jawi: « Le lien entre le gnaoua et l’électro, c’est la transe »

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Guitariste autodidacte, Jawi sort son premier album. Une "carte d'identité" musicale mêlant ses inspirations française et marocaine, les musiques électro et gnaoua. Crédits photo : Baptiste Cazaubon

Le guitariste du groupe de reggae français Jahneration, Jawad Oumama, alias Jawi, sort à l’automne prochain son premier album « Mgoun ». L’histoire très personnelle de sa quête identitaire entre ses deux pays, la France et le Maroc, qu’il incarne à travers la fusion originale entre les musiques gnaoua et électro. Interview. 

H24Info: Présentez-vous en quelques mots.
Jawi: Jawad, Franco-marocain, 32 ans, né à Vienne dans le Sud-Est de la France. Mes deux parents sont marocains originaires du Moyen-Atlas. La musique est arrivée très tôt dans ma vie, j’ai toujours été attiré par ça. A l’âge de 13 ans, j’ai décidé de me mettre à la guitare. Aujourd’hui je suis intermittent du spectacle, je vis pleinement de la musique. Je joue dans le groupe de reggae français, Jahneration, avec lequel je tourne. En parallèle, j’ai créé mon projet qui unit mes deux identités.

H24Info: Quel est votre parcours musical ?
Jawi: Au départ, j’ai appris totalement en autodidacte. Issu des quartiers populaires et d’une grande fratrie, nous n’avions pas forcément les moyens de nous payer des cours. Je regardais des clips et j’essayais de copier les accords, j’ai beaucoup appris à l’oreille. Entre 2014 et 2016, je me suis formé pendant deux ans au conservatoire en jazz. En 2016, j’ai intégré le CFMI (Centre de Formation des Musiciens Intervenants) pour devenir professeur de musique en école élémentaire. Il s’agit d’un cursus universitaire en bac +3 en alternance que j’ai effectuée au conservatoire de musique pendant deux ans. En 2018, j’ai eu la proposition de rejoindre le groupe Jahneration que j’ai acceptée.

H24Info: Comment es-tu venu à lancer ton propre projet musical?
Jawi: Comme beaucoup de projets, l’idée m’est venue pendant le premier confinement. En plein milieu de la tournée avec Jahneration, tout s’arrête. On ne savait pas combien de temps ça allait durer. Je me suis donc mis derrière mon ordinateur et j’ai commencé à rejouer du guembri que j’avais commencé à pratiquer en 2016, comme pour la guitare, en apprenant à l’oreille via des vidéos YouTube ou vieux disques.

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« Cette fusion représente un peu ma carte d’identité et permet de dévoiler ce que j’aime écouter, tout en créant quelque chose d’original. » Crédits photo : Baptiste Cazaubon

J’ai commencé à réfléchir un peu à ce projet par souci d’identité et en même temps, j’ai toujours adoré les musiques gnaoua et électronique. Je me suis dit pourquoi ne pas mélanger les deux qui font partie de moi. En France, je suis vu comme un étranger et on me demande toujours de montrer que je suis « bien intégré »; et au Maroc, on me dit aussi que je suis un étranger ou un Français car je n’ai pas tous les codes ni une très bonne élocution en arabe, je suis plutôt berbérophone. J’ai donc ce souci-là d’être entre les deux et la musique est ma manière à moi de répondre à cette problématique.

H24Info: Comment en arrive-t-on à fusionner deux musiques si éloignées?
Jawi: En fait, elles sont éloignées culturellement car on a quelque chose de très moderne et très ancien par leur histoire, mais elles sont assez proches dans la musicalité car elles partagent quelque chose en commun: la transe. On a pu la retrouver dans des musiques très anciennes comme indienne, sud-américaine… C’est un lien fort. Au cours du processus de création, la question qui revenait à chaque fois était « peut-on danser, rêver sur cette fusion? ». Par ailleurs, cette fusion représente un peu ma carte d’identité et permet de dévoiler ce que j’aime écouter, tout en créant quelque chose d’original. Chez moi, mes parents écoutaient des musiques berbères. En même temps, j’habitais à côté de Lyon qui est un gros vivier de la scène électro avec plusieurs festivals spécialisés. C’est une musique que je pouvais écouter avec mes potes et quand je rentrais chez moi, j’écoutais la musique berbère avec ma mère.

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H24Info: En quoi la musique peut aider dans une quête identitaire?
Jawi: Elle présente un aspect intemporel, de l’évasion, que ce soit dans une salle de concert, dans les transports ou autres. On perd la notion de temps et d’identité, on appartient au moment et à la musique. On le voit avec des artistes de renom comme Bob Marley ou Jimmy Hendrix dont les messages traversent les époques, sans penser à cette notion d’identité qu’on nous rappelle au quotidien. Surtout en France actuellement, on nous demande souvent si on est français, étranger… Comme s’il fallait toujours faire ce choix impossible entre père et mère. Je suis les deux, et la musique a cette force-là, le temps d’un concert, de nous faire oublier nos origines, notre place politique, sociale en partageant quelque chose de commun. La musique mais l’art en général est un moyen de s’exprimer et de s’émanciper de tout ça.

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« C’est dans la mixité, autant humaine que musicale, que nous trouverons une solution meilleure et positive pour appréhender le monde qui arrive. » Crédits photo : Maxime Ellies

H24Info: Un mot sur l’album que tu t’apprêtes à sortir et tes projets?
Jawi: L’album est terminé depuis une année et sortira en automne, fin septembre début octobre. Il s’intitule « Mgoun », hommage au sommet éponyme du Moyen-Atlas, ainsi qu’au nom de la tribu y vivant et dont mes parents sont originaires. Il se compose de 10 titres originaux, chacun porteur d’une histoire, et où je chante en arabe et en berbère sur un titre. J’aborde des thématiques classiques du répertoire gnaoua comme les louanges spirituelles. Le titre en berbère « Izwa », qui signifie asséché, parle par exemple de l’importance de l’eau dans la région de mes parents. En France, on ouvre un robinet et l’eau coule sans qu’on réfléchisse, alors qu’au Maroc, il y a encore des zones où l’eau se fait rare. Là-bas, la pluie est un signe d’abondance, de culture, alors que pour nous, quand il pleut, c’est horrible. Ce sont ces différences de perception issues de mes deux mondes que j’ai souhaité mettre en parallèle dans cet album. Côté concerts, il y en aura à Paris et à Lyon. Au Maroc, j’ai postulé à Visa for Music, sinon je compte organiser une série de dates courant 2023 dans les grandes villes marocaines.

H24Info: Imagines-tu une autre fusion avec la musique gnaoua ?
Jawi: Très bonne question. La musique gnaoua est très modale donc je pense qu’elle peut aller avec d’autres styles. On a pu le constater à travers le Festival Gnaoua d’Essaouira où il y a eu pas mal de fusions autour de cette musique. De mon côté, j’aimerais bien la mixer avec des musiques plus africaines ou de manière générale les musiques traditionnelles du monde. Le gnaoua étant à l’origine la musique des esclaves noirs, je pense qu’on peut la retrouver dans les musiques afrocubaine, sud-américaine, latine, même indienne. Elles ont en commun des rythmes très dansants et répétitifs. Nous sommes dans une ère où je pense qu’il faut tester de nouvelles choses. Il y a beaucoup d’artistes et c’est difficile de se démarquer avec une proposition originale. Selon moi, c’est dans la mixité, autant humaine que musicale, que nous trouverons une solution meilleure et positive pour appréhender le monde qui arrive.

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