Mazagão, une ville brésilienne qui raconte l’histoire millénaire du Maroc et son influence dans le Nouveau Monde

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Fondée voilà 251 ans en pleine Amazonie brésilienne, la ville de Mazagão continue de raconter, par l’histoire et l’architecture, l’influence culturelle et civilisationnelle du Maroc sur le Nouveau Monde. Baptisée au nom de Mazagan, l’ancienne citadelle aujourd’hui appelée El Jadida, les ruelles de la petite ville amazonienne sont un récit de la richesse que dégageait jadis la mobilité humaine.

Les racines Mazagão Velho (ancienne Mazagan), qui fait partie de la municipalité de Mazagão, située à 32 kilomètres de Macapa, la capitale de l’Etat d’Amapa (nord), traversent l’Atlantique pour confluer vers El Jadida, plus précisément la cité fortifiée de Mazagan, ancienne colonie portugaise qui fut reprise par le Maroc vers l’an 1769, sous le règne du sultan Mohammed III du Maroc (1757- 1790).

Entre 1770 et 1773, Mazagão, construite sur la rive nord du fameux fleuve d’Amazonie, avait accueilli des centaines de familles ayant quitté la citadelle de Mazagan au Maroc, pour commencer une nouvelle vie au Brésil. Leur périple constitue aujourd’hui un héritage culturel et civilisationnel maroco-brésilien, dont le Portugal fut et est toujours un trait d’union.

« De Mazagão à Lisbonne, de Lisbonne à Belém, de Belém à la Nouvelle Mazagão, il (le voyage) durera plusieurs années au cours desquelles les populations vivront dans l’attente de leur nouvelle ville plantée dans la jungle amazonienne », lit-on dans le livre « Mazagão, la ville qui traversa l’Atlantique du Maroc à l’Amazonie (1769-1783) », de l’écrivain français, Laurent Vidal.

Dans un entretien à la MAP, M. Vidal affirme que l’idée d’écrire cet ouvrage lui est venue il y une vingtaine d’années lorsqu’il lut une note de bas de page sur « le déplacement d’une ville » du Maroc jusqu’en Amazonie.

L’historien, qui travaille sur les villes du Brésil, explique que la citadelle fut construite entre les années 1514 et 1540 au sud de Casablanca, dans un projet très particulier de conversion religieuse, mais aussi de contrôle économique et territorial.

La forteresse de Mazagan a été la dernière des présides à être abandonnés par les portugais. C’est une immense forteresse à l’architecture assez exceptionnelle pour l’époque. La ville résiste à plusieurs sièges de l’Etat et des populations marocains, souligne l’écrivain français.

« Au 18è siècle, les portugais n’en peuvent plus. En 1768, les tentatives du sultan Mohammed III, qui voyait en la reconquête de Mazagan un symbole de la construction de l’empire chérifien, sont couronnées de succès », ajoute-il.

Les portugais, acculés, ont dépêché 14 navires pour évacuer les colons, qui emportent avec eux plusieurs éléments symboliques dont la cloche de l’église. Lorsque les quelque 2000 personnes, dont beaucoup sont natifs de Mazagan, arrivent à Lisbonne, ils croyaient pouvoir s’y installer. Mais la Couronne portugaise leur a signifié que le Portugal allait leur construire une nouvelle Mazagan en Amazonie. « En fait, ces groupes, dont des marocains convertis au christianisme ainsi que des esclaves de l’Afrique subsaharienne, n’avaient pas le choix », fait observer M. Vidal.

Jusqu’à nos jours, la cloche de l’église de Mazagan amazonienne, qui n’est que celle ramenée de Mazagan marocaine, rappelle toujours ce lien nostalgique et historique liant la population de cette petite ville brésilienne à l’autre rive marocaine de l’Atlantique.

En juillet de chaque année, une fête, dite de Saint-Jacques, est organisée pour rappeler les batailles entre portugais et « Maures », mais aussi le brassage civilisationnel entre le Brésil et le Maroc, à travers le Portugal.

La présence du sang africain à Mazagao, des marocains en particulier, est prouvée par la science. Une étude en 2011 menée dans neuf communautés, dont deux à Mazagão (36 personnes de Mazagão Novo et 24 personnes de Mazagão Velho ), a étudié l’origine paternelle basée sur le chromosome Y (présent uniquement chez les hommes). L’ascendance masculine à Mazagão Novo était estimée à 77% d’européens, 14% d’africains et 8% d’indigènes. À Mazagão Velho, l’origine estimée est à 52 % européenne, 44 % africaine et 2 % indigène.

Pour l’écrivain, qui réside entre la France et le Brésil, « c’est une histoire qui raconte, d’autre part, le drame des migrants et des migrations, car en réalité c’était un exile forcé par les Portugais. Cette migration préfigurait déjà les mouvements migratoires actuels, perçus comme un choix de luxe, alors qu’en fait, pour les migrants, c’est généralement une fatalité ».

Au-delà des considérations et événements historiques, Mazagão devrait constituer un motif de plus pour consolider les liens authentiques et séculaires entre le Royaume et le Brésil, un pays-continent de près de 220 millions d’habitants qui représente la première économie en Amérique Latine.

« Je trouve intéressent de mettre en œuvre ces liens entre le Maroc et le Brésil. L’histoire de Mazagão pourrait paraitre une anecdote, mais en réalité c’est bien plus intéressent. Le Maroc et le Nouveau Monde partagent plusieurs éléments historiques à fructifier », souligne M. Vidal.

L’historien, qui dit que ce projet lui a fait découvrir le Maroc, qu’il visite régulièrement, au moins une fois par an, souligne que « dans l’imaginaire brésilien, une place de choix est accordée au Royaume. L’expérience de contact avec la religion musulmane c’est au Maroc que les portugais l’ont eue. Mazagão raconte de manière souterraine la relation entre le Maroc et le Brésil via le Portugal. C’est une histoire à écrire et à mettre en avant ».

« Ces jalons du brassage civilisationnel appellent des initiatives et des plateformes d’échanges entre les deux peuples. Je pense que ces éléments d’histoire peuvent servir à renforcer les liens entre le Royaume et le Brésil, un pays d’avenir, d’investissement et d’opportunités », conclut l’écrivain.

Il faut dire que l’histoire de Mazagão raconte surtout le rayonnement du Royaume, par la civilisation, la culture et l’art, qui ne s’est jamais fléchi même en période de colonisation. Au Brésil en l’occurrence, le couscous marocain, arrivé également par l’intermédiaire des portugais, est devenu un plat national dans ce pays. C’est un soft power déployé au fil des siècles à travers les quatre coins du monde et qui fait du Maroc aujourd’hui un pays visible et respecté partout dans le monde.

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